Nous sommes projetés au début des années soixante, dans une famille américaine assez ordinaire en apparence. Scott, le fils, sa maman et son papa. Scott entretien une relation quasi-fusionnelle avec sa mère. Elle est infirmière, travaille de nuit. Quand elle revient du travail, ils se croisent et s’échangent quelques mots qui sont comme une lumière dans la vie ténébreuse du jeune garçon. Une vie difficile. Le père a fait 40-45 puis la guerre de Corée. Il en est revenu avec une jambe de moins et surtout quelques neurones affectifs fort perturbés. La guerre est une toile de fond réaliste dans ce roman dense. Tout américain en a connu une ou en connaitra un jour, assure l’auteur. Le tonnerre gronde à nouveau. A Cuba, les Rouges ont implanté une base nucléaire. Uncle Sam est outré. Une tension à la limite de la rupture, on échappera tout juste à une calamité mondiale.
Le père de Scott est celui par qui tous les malheurs semblent arriver, dans cette famille pourtant pieuse à l’extrême. Déboussolé, violent, il fait vivre à ses proches un véritable calvaire. Scott est battu, humilié, brimé. Il s’en remet à sa mère, à Dieu, à un éternel omniprésent mais silencieux. Ils veulent partir tous les deux. S’y sont déjà essayé, sans succès. Le père a la dent dure, et des manières formatées par une vie qui lui a désappris la douceur et la tolérance. Pourtant, Scott voudrait l’aimer, ce père, et implore Dieu de lui venir en aide…
L’auteur dresse ici un portrait sensible d’une famille livrée à elle-même, mais un portrait extrêmement noir, que l’amour mère-fils parvient parfois à éclairer, avant de retomber dans la pénombre des non-dits et de la violence…
La plume est belle et rigoureuse, poétique, mais aussi fluide et abondante. J’ai ressenti toutefois une certaine insistance et quelques longueurs, ainsi qu’une certaine impression de tourner en rond, dans ce huis clos oppressant, étouffant. Il aurait, peut-être, mérité quelques événements extérieurs pour rompre une certaine monotonie. L’auteur fait presque oublier qu’il est français… Mais pas totalement à mon avis.
“La ville suintait de rancœur et de ressentiments. Chacun se comportait en témoin obscur du destin du voisin. Qui s’était vu grandir se regardait vieillir. Le malheur qui frappait chez vous résonnait à toutes les portes. Votre manière de saluer trahissait l’effroi de vos nuits. Aucune parole ne connaissait l’oubli, aucun acte ne restait dans l’ombre. Les instants de joie solennels, les extravagances secrètes étaient donnés en partage.”
La légende des fils – Laurent Seksik. Éditions Flammarion
Date de parution : 24/08/2011
Article publié par Noann le 31 octobre 2011 dans la catégorie
Cru bourgeois
L’arrivée inattendue d’un chat dans la maison peut-elle changer le cours de la vie ?
Indubitablement…
Samuel de Juan est un professeur d’allemand solitaire, passionné de musique et de littérature, qui aime se claquemurer chez lui. C’est lors d’un réveillon de Nouvel An que sa vie va basculer … Il entend des bruits suspects, quelqu’un gratte à la porte d’entrée de son appartement. Avec une certaine prudence il s’approche de celle-ci et en l’ouvrant précautionneusement, il découvre … un chat. Celui-ci est bien déterminé à entrer chez lui et, après quelques mouvements de mains et de pieds pour le chasser, le Professeur doit se rendre à l’évidence … le chat ne veut pas quitter les lieux.
Que faire ? Samuel déteste les chats… Il se rend alors chez son voisin avec le petit importun dans ses bras pensant que c’est le sien… C’est alors qu’il fait la connaissance de Titus, un gars un peu revêche, ancien rédacteur. Puis vont se succèdent une suite de rencontres insolites…
Et notre Samuel imagine que le chat est un signe du destin.
Plus tard, le héros va croiser Gabriela, une femme très belle et énigmatique qu’il découvre être son amour de jeunesse…
De sa petite vie pépère, il ne reste plus grand-chose. Samuel est chaque jour un peu plus bousculé, bouleversé, surpris, ému aussi…
Avec une écriture magistrale, l’auteur se livre à une sorte de cavalcade de sentiments. Le récit est plein de surprises et d’humour. Les mots pour traduire le chaos intérieur du héros sont magnifiquement choisis et donne au récit toute la puissance et la force d’une partition de musique, l’ouverture d’un opéra.
Dans ce carrousel de mots tous les plus émouvants les uns que les autres, l’auteur nous berce d’une symphonie d’amour, à chaque page un peu plus…
On suit sans relâche les péripéties de ce héros déconcerté, ses bouts de vie qui s’arc-boutent harmonieusement et les pas de deux de celui-ci dans une danse inhabituelle…
Un régal … Pour moi LE coup de cœur de cette rentrée.
L’amour en minuscules de Francesc Miralles, Éditions Fleuve Noir
Date de parution : 08/09/2011
Article publié par Catherine le 30 octobre 2011 dans la catégorie
Premier Grand Cru Classé
En 2008, Lucile, 61 ans, troisième d’une famille de neuf enfants, met fin à ses jours. Elle était belle, si belle, mais si blessée au fond d’elle aussi. Lucile, c’était la mère de Delphine de Vigan. Et l’auteur, torturée à son tour par ce passé douloureux, se décide, pour guérir un peu des meurtrissures que sa mère endurait jadis, d’analyser chaque événement de son histoire familiale.
L’auteur se livre à une bouleversante fouille dans les tréfonds de l’âme fissurée de sa mère. Elle enquête, scrute, interroge, assaille ses proches pour connaître des vérités trop longtemps tenues secrètes. Dans sa quête de renouer avec ce passé éclaté, elle croisera des écrits, entendra des confidences.
Certes un roman poignant, fort, sous la plume d’un auteur qui retranscrit à merveille les fissures de l’âme de sa mère, les euphories mais aussi les désarrois.
Les morceaux de vie de Lucile et des siens, partis déjà, les amours, les tristesses de cette famille de guingois sont couchés sur papier avec des mots frappants, lourds, mais exempts de pathos toutefois.
Et emportés par ce récit, chacun d’entre nous ressentira dans le cœur ses peines larvées, ses échecs, ses souffrances, ses soubresauts de bonheur aussi…
Une belle surprise de cette rentrée littéraire…
Cependant, un peu lassée des récits biographiques, même si certains d’entre eux comme celui-ci révèlent un bouleversement de soi, j’émettrai quelque circonspection quant au classement de ce roman dans les catégories de notre site… J’ai donc décidé de ne lui attribuer qu’une place de « cru bourgeois » en me tournant vers l’auteur si elle passe par ici et en lui demandant de n’y voir dans mon chef qu’une réserve quant à la thématique …
Rien ne s’oppose à la nuit de Delphine de Vigan, Éditions J.C. Lattès
Date de parution : 17/08/2011
Article publié par Catherine le 26 octobre 2011 dans la catégorie
Cru bourgeois
Après avoir connu la Terreur, Rose de Beauharnais et Thérésia Cabarrus vivent une époque où la jouissance et la liberté sont à l’ordre du jour. Thérésia, qui collectionne les amants et lance les modes les plus provocantes, présente à Rose un petit général corse du nom de Bonaparte. Mais à son retour d’Égypte, celui-ci s’empare du pouvoir et exige de son épouse un sacrifice …
Catherine Hermary-Vieille nous emmène avec une plume enjouée et rythmée dans ce Paris qui se lâche … Dans ce tumulte libertaire elle nous entraîne aux côtés de femmes qui savourent de nouveaux bonheurs allant de la coquetterie à outrance frisant même le ridicule en passant par le libertinage, les salons où l’on se pâme, séduit pour se faire une collection d’amants, hommes que l’on mène à la baguette sans vergogne.
Dans ces salons de volupté, l’auteur nous fait passer des moments d’exception. Ses mots dansent et virevoltent pour donner au récit tant de véracité qu’on s’y croirait de peu.
Elle retrace avec talent la vie de ces femmes en quête de liberté, prêtes à tout jusqu’à perdre leur âme …
Je salue l’auteur mais aussi l’historienne qui nous fait revivre à travers plus de 400 pages cette époque qui ne fut que de courte durée … quelques enjambées entre la fin de la Terreur et la fin du Directoire …
Merveilleuses de Catherine Hermary-Vieille, Éditions Albin Michel
Date de parution : 05/10/2011
Article publié par Catherine le 25 octobre 2011 dans la catégorie
Grand vin
La voici, Edith, au faîte de son immeuble parisien duquel elle contemple la ville dans toutes ses couleurs, dans tous ses tumultes. Edith est traductrice et interprète. Un beau jour elle se décide d’apprendre à lire à Fadila, sa femme de ménage marocaine. D’emblée les deux femmes s’affrontent et les bonnes intentions d’Edith se voient refoulées par les attitudes de Fadila. Celle-ci donne à son enseignante un regard froid, sorte de refuge pour échapper à la mentalité d’Edith, bourge parisienne qui se targue de comprendre l’univers de « son élève ».
Edith se pose des questions face au visage de marbre et la moue renfrognée que lui offre Fadila. Les regards courroucés que lui lance Fadila donnent le frisson. Et l’enseignante reste bien démunie devant ce chaos des mentalités, des mondes auquel elle est confrontée.
Ce qui s’annonçait comme une expérience positive tourne au vinaigre, se transforme en une espèce de guerre larvée … Il faudra à Edith une sacrée dose de patience pour continuer l’aventure.
L’auteur dépeint ici deux personnalités aux antipodes, à la rencontre improbable, démontrant par la suite que s’il y a de part et d’autre franchise et respect, on arrive à nouer des liens très forts.
De paragraphes troublants en bouquets de mots justes, vrais, on se laisse porter par ces femmes différentes en leur accordant même un charme fou, une profondeur, une douce complaisance.
Le chemin de l’auteur est subtil, déconcertant, inattendu. Et ce roman qui aurait pu friser la banalité devient accrocheur.
Une apologie de l’amitié, celle qu’on n’attend pas, celle qui vous surprend au détour d’un chemin escarpé, jalonné de mystères.
J’ai aimé cette histoire douce-amère qui mène aux confins de deux mondes résolument opposés pour se rejoindre enfin dans la force, la sincérité et la vérité.
Les amandes amères de Laurence Cossé, Éditions Gallimard
Date de parution : 01/09/2011
Article publié par Catherine le 23 octobre 2011 dans la catégorie
Grand vin
Simon Axler est le personnage central de ce roman. Naguère, autrefois et one uponce a time, il était un grand acteur de théâtre vénéré, à qui tout réussissait. Mais à soixante ans, sa vie prend un tournant. Il semble avoir perdu définitivement ce qui a fait son succès, cette clé mystérieuse qui fait toute la différence. Ce que l’on nomme parfois inspiration… ou talent. Commence alors pour lui une longue période de misère. Sa femme, modèle de tolérance et de patience, le quitte. Il se retrouve dans un hôpital psy et fait la rencontre d’une jeune dame, bien plus jeune même que lui. Mais pourquoi les femmes ont elles toujours 20 ou 30 ans de moins que l’homme dans les scénarios ? Ça sent un peu le cliché… L’auteur va-t-il nous emmener dans des sentiers trop battus, faits d’ornières ?
Pegeen a les mêmes penchants qu’Axler (et que bon nombres de personnages des romans de Roth), elle vit dans un marasme sentimental fait de doutes et de reculades. Elle a fréquenté longtemps une femme. Elles se sont aimées passionnément. Mais Axler lui donne envie de renouer avec le lit d’un homme. Celui-ci la transforme, l’encourage. Ils ont une relation, dépêchons-nous, il ne reste que 30 pages… Au coin d’un bar, nos deux tourtereaux vont faire une rencontre ambigüe, décidément, l’auteur aime les paumés. Axler a une lubie érotique. Ils passent à l’acte. Retrouvera-t-il son énergie ?
Mon avis : je parlais de clichés… En effet, ce livre a priori n’en manque pas… L’acteur désabusé, c’est du déjà vu, et cette femme qui ne sait choisir entre un amour homo et hétéro, en 2011, ça n’étonnera plus personne. Pourtant si l’on regarde plus loin, l’histoire n’est pas si simple et pas si clichée. Quand on parle d’homosexualité, de nombreuses idées prévalent, comme chez les hommes celle du gay efféminé, chez les femmes la tendresse. Or l’homosexualité est bien plus diversifiée. Roth évite le thème trop convenu de la relation entre femmes basée sur la douceur, et esquisse une autre réalité : la domination lesbienne, beaucoup plus courante qu’on l’imagine. La lesbienne n’est pas forcément douce, elle peut être machiste, et bien plus féroce que les hommes. Roth nous dépeint une relation tumultueuse, qui n’a rien à voir avec les principes bienséants des films érotiques, ou la bave mielleuse des journaux. Les personnages de Roth sont authentiques. Il reste que ce court roman peut décevoir… Roth a troqué les longs monologues intérieurs introspectifs, qui ont fait son succès, pour des dialogues superficiels et un peu longs. La fin semble précipitée, à 100 pages à peine, et 20 pages après le début de l’action. Le roman se résume à un prélude, alors qu’il aurait pu faire 100 pages de plus, et aller plus loin, plus loin dans tous les sens.
“Lorsqu’elle regarda dans la direction d’Axler, ce fut en anglais que Pegreen s’exprima. Elle était maintenant allongée sur le dos à côté de Tracy, elle lui passait dans ses longs cheveux le petit chat à neuf queues, et avec ce sourire malicieux qui découvrait ses deux dents de devant, elle dit doucement à Axler : “À toi maintenant. Profane-la.”
Le rabaissement de Philip Roth. Éditions Gallimard
Date de parution : 29/09/2011
Article publié par Noann le 23 octobre 2011 dans la catégorie
Cru bourgeois
‘Samedi 14’ est, comme son titre ne l’indique pas forcément – quoique – un roman de la série ‘Vendredi 13’. Cette série noire comportera, 13 romans qui ont commencé de paraitre le 13 octobre. Treize amusant…
Un roman agréable à plus d’un titre ; souvent drôle, décapant, gouailleur. L’auteur nous promène dans la tourmente d’un papy qui a décidé de prendre sa retraite après avoir…. pas mal travaillé. Il s’installe dans une bicoque loin de tout, sauf que ses voisins ne sont pas n’importe qui; les parents d’un ministre ! Du coup, voilà notre paisible retraité, qui se fait appeler Maxime, ennuyé, surveillé de près par la police. La sécurité d’un ministre n’a pas de prix, et on n’hésite pas à le pister et à venir fouiller dans sa demeure. C’en est trop pour cet homme qui a fait de sa liberté un cheval de bataille. Il s’éclipse.
Mais voilà qu’apparaît la commandante Yvonne Berthier de la police. Elle découvre que notre Maxime ne s’appelle pas Maxime mais Maurice, entre autres. C’est un type recherché, accusé d’avoir mené des attaques à main armée. Maxime est-il réellement ce dangereux terroriste qu’on veut faire croire ? N’est-il pas simplement un anar, doux rêveur près à toutes les croisades pour changer le monde ? La police l’a identifié trop tard. Maxime a déjà mis les voiles. Il parcourt le pays, se permet une excursion en Italie où il fait une tendre rencontre. Il joue avec les autorités, pour notre plus grand bonheur. Yvonne Berthier elle est furibarde… Elle invective ses sous-fifres, pique des crises. Ce Maxime-Maurice-Patrick-etc va lui donner du fil à retordre !
Nous voilà embarqués dans des aventures truculentes, sous la plume d’un auteur qui ne mâche pas ses mots. Du langage de tous les jours, de l’argot, quelques néologismes, on s’en fout et tant mieux, la langue est crue, sincère, authentique, mais avec quelques passages poétiques et plus délicats. L’auteur sait faire parler son héros-gauchiste avec une langue mordante, et sait aussi prendre un ton narratif plus recherché. Maxime-etc est féroce, revanchard, emporté. Il nous raconte ses pensées sans détour. Sans être trop moralisateur, il écorche la bourgeoisie bienséante, les forces de l’ordre, et il y va, et ça suinte, et ça bourdonne, et ça grouille de vie. La police en prend pour son compte, la femme aussi… Yvonne Berthier est l’archétype de la femme qui abuse de sa position. Personnage qui, comme tous les autres, nous rappelle des personnes croisées un jour ou l’autre. Qui n’a pas connu une de ces femmes prises du démon de la domination. ‘Samedi 14’ donne une vision univoque de la société, qui devrait plaire à plus d’un, et finalement assez réaliste. Certes, par rapport à certains polars, on n’est pas dans une rigueur absolue, dans l’analyse des pouvoirs publics… Mais là n’était sans doute pas le but.
Un bon petit roman qui se lit d’une traite, où l’auteur trace sa voie d’une voix forte, que le lecteur suit avec délice. Un bon moment de lecture.
“Être un inconséquent ludion.
Mais de ne rien branler est un sacré boulot. Les nerfs fatiguent, à force de faire attention à tout. Le corps, tendu, fait mal. Néanmoins, miracle, mon lumbago me laissait tranquille. Je le sentais, là, pas loin, mais, le matin ce n’étaient plus les tenailles rougies au feu qui m’enserraient les reins. Ce n’était plus qu’une douleur diffuse, qui, certes, réapparaissait nettement sur les sièges improbables des trains, mais me foutait la paix lors de mes longues et incessantes promenades.”
Samedi 14 de Jean-Bernard Pouy. Éditions la Branche
Date de parution : 13/10/2011
Article publié par Noann le 21 octobre 2011 dans la catégorie
Cru bourgeois
Nous voici plongés en quelques mots en septembre 1305 dans le bourg de Mortagne-au Perche. Hardouin cadet-Venelle est un homme encore jeune qui porte un vil fardeau : la profession de bourreau léguée par son père, et qui était en principe dévolue à son frère ainé. Dans un premier temps, Hardouin s’acquitte de sa mission avec la philosophie que son père lui a inculquée. La justice ayant été rendue, le bourreau ne fait que son travail, selon la loi des hommes, qui invoquent à leur tour celle de Dieu. L’on se couvrait souvent de la volonté divine à cette époque…
Le bourreau était un personnage important, craint autant que décrié. Si son office comporte quelques actes de chirurgie de temps à autres, le reste de sa besogne est sinistre. Il a si mauvaise réputation qu’un nom d’emprunt plus noble lui est donné : le Maître de Haute-Justice. Il existe des bourreaux, pardon, des maîtres de Haute- Justice, plus renommés que d’autres, en fonction de leurs capacité à donner la mort vite, proprement. A tel point qu’on les fait parfois mander de l’étranger. Toutefois, il faut encore que le tribunal, dans son ordonnance, ait autorisé cette faveur. Car la condamnation à mort comporte de nombreuses variantes : précédées de torture ou non, bourreau imposé ou choisi, le type d’exécution. Les femmes sont, le plus souvent, ensevelies vivantes : on craint que ses jupons se lèvent de façon indécente si elle était immolée ou pendue. Chouette époque ! On ne sait pas la chance qu’on a… Le bourreau a aussi une fonction de tortionnaire. Il est chargé de supplicier les accusés pour leur extorquer la vérité.
Mais voici qu’une jeune femme, Marie de Salvin, est accusée. Elle aurait proféré des mensonges à l’égard d’un homme, en l’accusant à tort de l’avoir violée. C’est un crime gravissime ; l’honneur de cet homme est bafoué. La jeune femme est jugée de façon expéditive et envoyée sur le chafaud ; brûlée vive. Elle clame son innocence jusqu’au bout. Pour une fois, notre bourreau-héros a un doute. Elle semble sincère et si droite… Peu après, il surprend dans un estaminet ledit accusateur, se vantant d’avoir troussé Marie contre sa volonté, la garce, elle devait aimer ça quand même. Hardouin Cadet-Venelle est bouleversé. Marie la poursuit en rêve. Il n’a plus qu’une idée, lui rendre son honneur. Il retrouve l’accusateur et le châtie dignement. Évidemment, l’histoire ne fait que commencer (le livre fait quand même 400 pages). Le sous-bailli Arnaud de Tisans, sorte de supérieur de Hardouin, remarque le nouveau penchant de son bourreau pour la vérité. Il lui propose un curieux marché… Sous des dehors scrupuleux, le sous-bailli agit en fait pour le compte de son chef, le bailli, qui agit en faveur de sa maîtresse. Ce roman va nous emmener dans une intrigue conséquente, pleine de rebondissements…
J’ai adoré l’écriture de Andrea H. Japp. Elle recrée avec brio le langage de l’époque, utilisant des expressions savoureuses, des mots oubliés, ou qui ont évolué. Les bas de page donnent quelques explications étymologiques et historiques, avec parfois une touche personnelle. “Le viol était puni de mort au Moyen Âge, même celui des prostituées. Encore fallait-il qu’il soit prouvé !”
L’écriture est originale, faisant usage de formules anciennes et de mots désuets. Elle reste cependant légère et lisible, on reconnaitra dans ces mots originaux souvent une analogie, une racine commune, ou un sens dérivé, et c’est alors un plaisir de redécouvrir ce langage ancien chatoyant, de faire des rapprochements avec notre façon de parler actuelle, pas si différente (sauf si l’on ne connait que le sms !)
Quelques exemples :
La bourrelle, on l’aura compris, est la femme du bourreau.
Enherber = ’empoisonner’.
Un caquetoire ; endroit où l’on bavardait.
L’ouvroir : première pièce d’une maison.
Prendre l’escampe: a donné ‘la poudre d’escampette’.
L’escobarderie = la tromperie.
… et d’autres mots qui n’ont pas changé auxquels la note en bas de page donne une précision : Dorloter (le mot est très ancien et vient de dorelot qui signifiait chéri, favori en ancien français)
Cette langue savoureuse donne un piment particulier à la lecture, sans être rébarbative. On prend plaisir à le parcourir rien que pour son style. Rarement un style ne porte aussi bien une œuvre littéraire. Quant au récit, l’auteur donne un réalisme à son histoire, par sa façon de décrire en quelques mots des lieux, des attitudes, toujours avec des mots bien choisis au charme suranné. La façon de conter est particulière, avec une certaine distance, un rien de cynisme presque drolatique. Il m’a fait penser au “Parfum” de Süskind.
L’histoire va de péripétie en péripétie, dans une intrigue compliquée, savamment menée, un peu longue… Mais attention, il s’agit d’une saga romancée et non d’une reconstitution historique pointue.
“Elle connaissait ces regards de noyé, cette pâleur cendrée. Son mari les manifestait parfois, lorsque le boniment consolateur qu’il se racontait chaque jour craquelait après un supplice de main coupée infligé à un encore presque enfant arrêté pour braconnage ou chapardage alors que son ventre creux le tiraillait…”
‘L’hôtel particulier acheté par Garin Lafoi (…) s’élevait dans la rue D’Orée. Rencogné sous le porche d’un immeuble qui lui faisait presque face, cadet-Venelle en admira l’aisance. Protégé d’un haut mur percé d’un portail surmonté de pigeonnier, l’hôtel aux murs de pierre s’élevait à double solier, une hauteur peu commune.”
“Est-ce forfaiture que de permettre qu’éclate la vérité, que des innocents soient lavés d’odieuses accusations, que la ternissure qui a rejailli sur leurs familles soit enfin effacée ? Vaut-il mieux rompre le sceau d’une transcription ou envoyer au trépas un innocent ? Quant aux desperatis qui sont parfois, en réalité, des assassinés, ne doit-on pas rendre leurs biens à leur famille et leur restituer le sein de l’église ?”
“- Pas de vilains mots envers moi, mon tout mignon. J’ai susceptibilité de pucelle et mes oreilles vont rougir d’encombre !”
Le brasier de Justice – Andrea H. Japp. Éditions Flammarion
Date de parution : 12/10/2011
Article publié par Noann le 17 octobre 2011 dans la catégorie
Premier Grand Cru Classé