Close-up, c’est le nom du spectacle que Miranda exécute chaque soir devant le public désintéressé d’un cabaret sans envergure, le Quolibet, situé dans la banlieue déshéritée de Lille. C’est un numéro un peu loufoque, fait de bouts de ficelles, un tour de voyance que personne ne prend au sérieux mais qui amuse les rares spectateurs. Un petit groupe d’amis débarque dans cette boite, dont le meneur, un certain Bruno, se laisse prendre au jeu de Miranda. Il l’invite à une soirée privée. Mais Miranda n’est pas dupe de ses manières bourgeoises. Malgré ses allures de pauvresse qui se donne en spectacle pour trois sous, elle est futée et refuse dans un premier temps. Mais surtout, elle l’a reconnu. C’est un promoteur immobilier qui a bouleversé sa vie, indirectement.
Miranda a eu un grand amour, Eric. Si Eric et Miranda sont à présent séparés, ils entretiennent encore une relation chaleureuse. Miranda le soutient de tout son petit cœur, elle le défend. Eric a eu un accident grave, il est handicapé. Miranda veille sur ses intérêts et passe ses soirées à construire un dossier démontrant la culpabilité de son employeur.
Après réflexion, Miranda accepte la proposition de Bruno. Elle assure une prestation chez lui, devant un public snobinard, la haute de Lille. L’opposition par rapport au milieu modeste de Miranda est manifeste et donne évidemment lieu à un certain malaise. Pour couronner la soirée, Miranda fait à son hôte une révélation terrifiante : il lui arrivera un accident grave. Il va mourir avant le vendredi 13 ! Et comme par enchantement, comme si une bonne fée veillait sur la pauvresse, Bruno est attaqué. Une opération immobilière douteuse. Il s’en sort et revient vers Miranda, qui poursuit le fil de son idée : prendre une revanche sur Bruno, l’homme fat et méprisant, responsable de ses malheurs…
Dans ce roman bien construit, l’auteur nous aspire pour ne plus nous lâcher. C’est par petites touches noires qu’il nous fait entrer dans son univers glauque. Une écriture enflammée et singulière, une véritable signature de style. L’ambiance du cabaret est rendue avec beaucoup de vie et de piquant, de même que l’autre, l’inverse, celle de la haute de Lille. Le jeu entre les protagonistes est bien mené, avec son lot de surprises, et peut-être à la fin, une dénouement positif, je n’en dirai pas trop (d’ailleurs il me reste quelques pages à lire – trop pressé de le faire découvrir…) Le lecteur ne risque pas de s’ennuyer une seconde, pour peu qu’il maintienne son attention et ne se laisse pas désorienter par quelques expressions inhabituelles et tournures propres. Surprises et frissons sont garantis, cependant, la psychologie des personnages n’est pas laissée de côté, ils sont bien épais… Et attachants.
Close-up fait partie de la série Vendredi 13, composée de 13 romans écrits par des écrivains chevronnés, destinée à être adaptée au cinéma. Sortie des trois premiers volumes demain 13 octobre, ce Close-up est, jusqu’à présent, mon préféré.
“Ce mercredi, disons jeudi en début d’après-midi et n’en parlons plus, rien que le nom, Eric Dutaillis, sous la sonnette et appuyer sur le bouton. Miranda en a le jarret flageolant. Il fait un temps de crime belge, de noyé repéché dans un canal par un marinier aux cheveux collés de brune. Un temps à boire des fines à l’eau ou des grogs. Un temps d’autrefois. Quand l’interphone bourdonne, oui, qui est là, elle répond c’est moi, elle l’entend rire, l’ouverture à distance se déclenche, elle pousse la lourde porte blinde et entre.”
Close-up de Michel Quint. Éditions la Branche
Date de parution : 13/10/2011
Article publié par Noann le 12 octobre 2011 dans la catégorie
Grand vin
Esclarmonde a 13 ans. En l’an de grâce 1187, au jour des noces et du mariage que lui impose son père avec un fiancé désigné, elle se coupe d’abord une oreille, puis exige d’être emmurée pour se rapprocher de Dieu et prier jusqu’à sa mort. Pour respecter sa volonté, son père fait alors ériger une chapelle où celle-ci vivra recluse… Mais la mort ne veut pas d’elle et au cœur de cette prison mystique, la vie coule inlassablement …
Voici donc une caricature de la femme au Moyen-Âge, tantôt dominée, tantôt idéalisée. L’auteur nous livre un conte médiéval et redonne vie à cette page mystique de l’histoire et à ces femmes longtemps oubliées, noircies, le tout sur fond de sensualité exacerbée …
Carole Martinez signe ici un premier volet consacré à la place de la femme dans l’Histoire. Et elle se penche sur cette femme à la fois dominée et vénérée à l’extrême. Elle décrit un univers fébrile sous le joug des coutumes, des croyances, un monde où tout est faute ou à l’opposé, béatitude …
Un récit médiéval déposé comme le scénario d’un film d’aventures. Le style au parfum de croisades et de ménestrels fait parfois sourire mais, on se laisse porter par cette fresque vivante, qui a plutôt la forme d’une balade en plein Moyen-Âge où l’héroïne fait le choix radical de l’enfermement … peut-être tout simplement pour propager un message spirituel, murmuré dans les tréfonds de son âme jusqu’à toucher les pèlerins qui ne tarderont pas à affluer de tous azimuts pour l’entendre …
Et l’auteur de nous susurrer cette folie, cette solitude, passerelle vers la mort, mais vers la sainteté aussi …
Un beau voyage envoûtant dans l’Histoire, où la poésie sonne en écho …
Du domaine des murmures de Carole Martinez, Éditions Gallimard
Date de parution : 18/08/2011
Article publié par Catherine le 9 octobre 2011 dans la catégorie
Grand vin
Une étrange épidémie, qui provoque enflures aux membres, difformités diverses, des nez en patates, des pieds d’éléphants. Une pandémie qui s’étend lentement à travers la population, et que le gouvernement semble vouloir cacher. Pas de mise en garde, pas de communiqué, juste un rappel de vaccination à la radio, pour la grippe. Jeff, un jeune médecin, s’inquiète. Personne ne semble prendre ce problème au sérieux, ou du moins essaie-t-on de le minimiser. Il se confie à Vladimir, son ami de toujours, un homme aux multiples ressources, un peu peintre, un peu vendeur de légumes, curieux de nature. Vladimir interroge son ami, il se renseigne sur la maladie. Il voit les gens se comporter de manière bizarre, ça l’inquiète.
La maladie est, dans ce roman, un personnage à part entière, une entité multiforme, qui meuble de façon tacite et sournoise la vie des habitants de cette cité. Autour de ce personnage insidieux et de Jeff et Vladi gravitent une diversité de personnes, parfois simples figurants, à peine esquissés… L’un s’adonne à une collection de pommes-de-terre, auxquelles il donne une âme. Un autre est boxeur, convié par le gouvernement à prester des combats contre des animaux, en échange d’un visa. Et toujours l’épidémie en arrière-plan.
L’auteure donne à voir un univers étrange et fascinant à la fois, qui rappelle un peu “Le voyage d’Anna Blume d’Auster” ou le moins connu “Les amants de la dernière heure” dont je parlais ici voici quelques semaines. Savamment, patiemment, une toile est tissée, dans ce monde un peu décalé. L’auteure nous fait entrer dans son univers par petites touches, des bribes, des moments, des esquisses. Elle nous fait prendre des chemins de traverse, des impasses, revient parfois, fait un pas de côté, avec un art de la digression et de l’aparté, ce qui demande une certaine concentration et un esprit déductif au lecteur. Il faudra peut-être relire certains passages et remettre des éléments en place. Les idées sont amenées parfois sans fluidité. Certaines transitions sont rapides, abruptes, des éléments tombent au moment où on ne s’y attend pas. Ce qui donne un effet de surprise… Peut-être un peu trop systématique. Autant de choses qui confèrent au récit une ambiance et une densité, mais aussi, une certaine lenteur.
Roman envoyé grâce à Babélio et les éditions “Dialogues”, que je remercie. Toutefois, puisque le principe de ce partenariat est de donner son opinion personnelle, je dois avouer que je reste un rien mitigé. J’ai buté sur certains passages, me suis un peu perdu en chemin, parmi ces nombreux figurants secondaires. Mon esprit peut-être trop rationnel a trouvé quelques défauts, une syntaxe perfectible. Je ne prendrais qu’un exemple : “Le jeune homme servait ses clientes, soupesait les pièces…” Selon le sens premier, “soupeser” veut dire “évaluer un poids de la main”. Au sens strict, un commerçant ne soupèse pas, il pèse avec précision. Ce n’est certes pas grave, mais les détails de ce genre ne manquent pas. J’ai trouvé que c’était un bon roman, qui aurait pu être encore meilleur avec quelques coupes et élagages. Je le conseillerai aux lecteurs attirés par ce genre en finesse, subtil, avec un rien de fantaisie, sur un ton particulier, décalé.
“Il se demanda si c’était cela vieillir. La loi du temps lui était révélée, avec ses changements de vitesse sans préparation.; il découvrait que dix ou quinze ans peuvent passer sans vous effleurer et qu’en l’espace d’une minute, ses reptations jusque là invisibles se resserrent et vous étranglent.”
La décadence et autres délices de Véronique Beucler
Date de parution : 06/10/2011
Article publié par Noann le 5 octobre 2011 dans la catégorie
vin de table
Comme d’habitude lorsque je rédige un articulet, je tente de faire un résumé de mon cru. Ici, je suis confronté à une difficulté majeure. Si je devais résumer ce petit bouquin de 100 pages à peine, mon résumé ferait 100 pages. Mission impossible, donc, quoique ce ne soit pas la place qui manque dans un blog, mais compte tenu que le séjour moyen d’un internaute est de une minute 54, il faut rester succinct… J’en dirai tout de même trois mots conducteurs.
Paul reçoit une lettre de son frère Odd. (la fratrie est tentaculaire : six enfants et de nombreux beaux-enfants et ainsi de suite). La lettre est sibylline. Odd part on ne sait où. Ce départ est inquiétant; leurs père a disparu de la même manière pour la Malaisie, laissant ses enfants dans le désarroi, après que leur mère norvégienne fut morte. La lettre d’Odd contient aussi un P.S. étrange. Il demande à Paul d’aller dans sa maison, à 300 kms, vérifier qu’un robinet à l’étage est bien purgé. Si ce n’était le cas, le gel pourrait faire éclater le truc et inonder la baraque. Paul se rend dans le bled en question. Le robinet est bien purgé.. Mais la neige tombe dru, et il se résigne à rester dans l’étrange demeure. Les souvenirs refluent…
Alors bon. Je ne vais pas passer mon temps à emmerdifier l’internaute, d’autant que 37 secondes sont déjà passées. Je dirai juste que c’est un bouquin foutrement mal écrit, chiant à souhait. Ce type qui se retrouve seul dans une bicoque sordide, et qui parle sur un ton monocorde de ses vieux souvenirs. Ça sent l’emmerdement depuis le début. Qu’est-ce qu’il est cafardeux ce bonhomme, et il bavasse sur sa famille sans fin, ces frères et sœurs tous plus bizarres les uns que les autres, quelle famille de tarés. L’auteur ne fait vraiment rien pour rendre notre lecture agréable. Pas un saut de ligne, peu de chapitres, de mise en page, pas le moindre dialogue, une voix narrative unique et lassante, endormante, et ça cause ça cause, de trucs sans intérêts, cette famille est loufoque à l’extrême. Tout ça dans une écriture clinique, glaciale, chargée, avec des propositions qui s’enchainent les unes aux autres par des ‘donc’, des ‘que’, des ‘qui’ et des ‘parce que’ à en vomir. Ça cause et saute du coq à l’âne en passant par le mouton. La rentrée littéraire bien chargée se serait passée de ce bouquin imbuvable, même si c’est un ivrogne qui le dit.
Voici un auteur, une auteure pardon, qui fait fi des usages, enfile des lignes à la suite sans ménager son lecteur. Des phrases de cinq lignes, dix lignes, trois pages. Et pourtant, en insistant un peu, il y a une certaine magie qui opère.
Au fil des lignes, je me suis laissé prendre au jeu. J’ai commencé à éprouver un vif plaisir dans la parenthèse sur ce type qui construit un téléphérique, un étrange personnage qui a d’ailleurs le vertige et ne quitte pas sa maison en bas de la falaise. Son édifice s’écroule le premier jour, il y a des morts. Une sorte de jouissance m’est venue, doucement, je ne ne sais comment. Parfois en amour c’est comme ça, t’as un partenaire, tu lui fais tout ce qu’il faut, et rien, pas le moindre murmure, et d’autres fois, une simple caresse et voilà l’amant(e) au septième ciel sans passer par le sixième. Mystère donc. On (enfin je) me suis laissé prendre au jeu, sans savoir comment. Si l’écriture est clinique, froide en apparence, elle est nimbée d’une saveur particulière, due à une sorte de deuxième ou trente-sixième degré intangible. Et voilà que finalement, j’ai connu une sorte d’orgasme littéraire, car l’histoire est à la fois dure et sans espoir, et aussi contée avec une légèreté qui fait qu’on (je) passe du rire aux larmes.
La magie de ce bouquin mal écrit, c’est de (nous) me faire entrer sans cri dans une ambiance à la fois tragique et comique, on ne sait pas, enfin c’est insolite, curieux, mais aussi extrêmement jouissif… pour peu qu’on entre dedans, ce qui ne sera pas forcément le cas de tout lecteur. J’ai adoré le parallélisme entre Paul, le pragmatique, et Odd, l’artiste raté, et les considérations sur l’art versus la science, et tout ce qu’il y a entre les lignes et entre les mots. Ce petit livre est finalement plus riche que prévu, d’où l’impossibilité de le résumer sans le trahir! Je ne sais pas pourquoi ça marche mais ça marche, chez moi du moins, et je l’espère chez d’autres aussi. Ce n’est pourtant qu’un gouffre sans fond a priori, pas amusant du tout!
“Quoi qu’il en soit, je n’aurais été d’aucun secours à Odd, qui, sans jamais rien concrétiser, s’était depuis longtemps engouffré dans son processus et, comme je l’ai toujours confusément ressenti, avec une sorte de délectation perverse. Le fait qu’Odd a d’abord abordé l’existence sous sa forme désespérante, là où je me suis contenté de la considérer comme une farce inhumaine, et si je tiens un fond de mélancolie et quelque chose comme une nostalgie – mais de quoi ? – Odd s’est tout entier consacré à son désespoir.”
Un avenir de Véronique Bizot. Éditions Actes sud
Date de parution : 12/08/2011
Article publié par Noann le 3 octobre 2011 dans la catégorie
Premier Grand Cru Classé
Le dernier livre de Laurence Tardieu est en fait une lettre à son père. Celui-ci a été condamné en 1996 à la Réunion pour corruption à 24 mois de prison, dont 6 mois fermes. Une sentence plutôt lourde pour un fonctionnaire qui a agi dans l’exercice de ses fonctions. Il était cadre à l’ex Compagnie générale des eaux.
Plus qu’un récit ou une biographie, “La confusion de peines” est surtout un recueil d’émotions… Et un livre sur le silence. Car dans cette famille on ne s’épanche jamais. Ce n’est même pas que le silence soit d’or, il est tout simplement là, partout, il fait partie des mœurs familiales. Les effusions et déballages de sentiments n’ont pas cours dans cette famille bourgeoise. Dès lors, on comprend ce besoin compulsif de parler. Son père lui demande de ne pas écrire sur ce sujet délicat, elle transgressera sa volonté, par besoin, besoin de se vider, mais aussi besoin impérieux de trouver des réponses. L’écriture de ce livre donnera-t-elle des explications? Permettra-t-elle de débroussailler les mobiles de cet acte, ou de faire la lumière sur un aspect ou l’autre de la personnalité du père ? Rien n’est moins certain. L’écriture n’apporte pas forcément des solutions… Pourtant, elle est parfois un passage indispensable, car comment se vider l’esprit d’un poids insoutenable, quand personne n’est disposé à partager le fardeau? Comment se délester d’un secret ? La rédaction de se livre semble une étape obligatoire, même si le résultat sera probablement en dessous des espérances…
Au fil du récit, elle tente de comprendre. Elle ne voit pas la faute, contrairement à sa sœur qui elle condamne son père sans appel. Elle voit l’homme, comment il était, ce qu’il a fait de bon, sa gentillesse, sa générosité. Pourquoi un père si tendre se retrouve-t-il derrière les barreaux ? Il n’a peut-être fait que son travail. Les gros contrats s’obtiennent toujours à coups de malversations, c’est la règle dans les grandes marchés publics. Ce père pourrait avoir agi simplement par la nature même de sa fonction, et sous la bienveillance de sa hiérarchie, qui a présent se soustrait de ses responsabilités. Il pourrait à son niveau n’être qu’un simple bouc émissaire. L’amour de sa fille prend le dessus, envers et contre tout, et on a l’impression que ce père là pourrait avoir commis les pires ignominies, elle continuerait à l’adorer.
L’auteure nous conduit, à travers ses pensées foisonnantes, dans sa quête de vérité et d’absolu, avec un style sensible, tout empreint d’émotions. Mais c’est aussi un livre très personnel, très intimiste, dans lequel on n’entre pas forcément. C’est malgré tout un beau témoignage d’amour.
“Un beau matin, les juges ont décidé de mettre un peu d’ordre dans tout ça. On a su que ça sentait le soufre. Ils ont eu accès aux dossiers, ont perquisitionné les bureaux, cherché, fouillé, enquêté. Ils ont trouvé ce qu’ils cherchaient. Mis au jour les manœuvres frauduleuses. Ceux qui ont pu ont affiché des mines offusquées. Ils ont joué les candides, les innocents : moi rien savoir. Restaient les autres, ceux qui ne pouvaient pas s’enfuir. Ceux qu’on cueillait la main dans le sac. Tu en faisais partie.”
“Je voulais convoquer des images d’avant le basculement. Je me rends compte en écrivant combien cette période de ma vie, la détention de mon père et la mort de ma mère, a tracé une ligne de rupture définitive.”
La confusion des peines de Laurence Tardieu. Éditions Stock
Date de parution : 17/08/2011
Article publié par Noann le 2 octobre 2011 dans la catégorie
Grand vin
Chère Sophie.
Alors comme ça, vous soufrez du mal du siècle de la femme. Vous avez perdu toute libido. Du moins, votre personnage central, mais on a du mal à croire que ce soit pure fiction. Ça sent le vécu, et le vécu ça sent drôlement fort, plus fort qu’un camembert à l’abandon depuis dix ans. Et ça vous a donné l’idée d’écrire un livre, une sorte d’éloge du déplaisir, à l’inverse d’une écrivaine que j’aime beaucoup. Une ode à l’absence, qui n’en est pas pour autant une ode à l’homosexualité, ni à l’onanisme. Une consécration d’une période de vide, que vous semblez avoir vécue. On écrit beaucoup sur le vide en ce moment. Les lecteurs s’habituent. Enfin, votre vide n’est pas banal. J’ai senti un désarroi et une amertume, que vous mettez en lumière.
Il faut dire que l’idée est bien dans l’air du temps – mode et post-féminisme oblige… On a commencé par revendiquer d’égalité de sexes, puis celle du plaisir, auquel la femme avait droit, la pauvre, depuis un million d’années on ne la butinait que pour des gosses. Des discours pompeux pour revendiquer son droit au Q, sa zone X, son point G. Et voici à présent le point Zéro absolu, la nouvelle mode. Ça va faire fureur dans les milieux féministes. Je vois ça d’ici : “Fini les mâles. Vive l’absence!” C’est finalement une assez bonne idée à défendre… La femme n’a plus de plaisir. Voilà. C’est normal. Point.
Votre point de vue n’est pas sans intérêt (il a toutefois le défaut d’être à sens unique). On vous attendait au tournant, nous les p’tits mecs. Le sexisme n’est pas loin, mais vous l’évitez adroitement, au début, bien consciente que des hommes aussi liront votre bouquin, et que même si 99 % des blogs de littérature sont tenus par des ménagères femmes, certains journalistes sont mâles, et quelques lecteurs aussi. Prudence donc. Il ne faut pas vexer les ego masculins boursoufflés.
Mais voici que l’homme est pointé du doigt, du bout du petit doigt… Son corps est encombrant, l’homme est maladroit. C’est un peu du ressassé, et un soupçon méprisant pour Nous. Après, ça se corse encore. Le corps de l’homme est laid, dites-vous subtilement, par le biais d’une autre voix. Un vieux stratagème de romancier, quand on a un truc délicat à dire, on le fait par le biais d’un personnage. Certes, sur ce point, je suis d’accord avec vous, nous sommes laids. Enfin, remarquez, les femmes, elles… Moi à choisir entre Richard Gere et Carol Ann Yager (720 kilos) , je réfléchirais quand même.
Un livre parfois étrange, illustré d’exemples qui laissent quelquefois perplexe… Une visite à l’hôpital montre ce déplaisir. L’aiguille dans le pied. Une intrusion inacceptable. Parallélisme avec la sexualité déficiente. C’est amusant mais un peu gros. Quoique… Certains hommes ne l’ont guère plus épaisse qu’une aiguille, parait-il, et moins rigide, en plus…
De déception en déception, le personnage central rabâche son désamour, présenté comme légitime, contre l’avis de tous, les amis qui s’inquiètent, trop bienveillants, harassants même. Mais elle tient bon. Elle n’a plus envie et c’est tout. Ce n’est pas sa faute mais celle de Pierre-Paul-Jacques. Heureusement, à la fin, il y a un espoir de trouver, peut-être, un renouveau. Alors l’envie renait, et on se dit que ce nouvel homme, à l’apparence insignifiante, pourrait faire changer d’avis notre désabusée. Peut-être a-t-elle enfin compris. Peut-être Sophie cette fin est-elle une lumière (que vous ne cherchez pas vraiment le long du bouquin). J’ose espérer que cette désenvie provînt de mauvais choix de vie et que vous, enfin l’héroïne, le réalise et trouve une voie nouvelle, forte de ses erreurs… Ouf, me voila soulagé, mais ai-je bien compris? Si la morale de ce bouquin est que l’on peut avoir un moment de vide, tirer des leçons et rebondir, alors il n’est pas vain. Mais si c’est juste une litanie d’aigreurs… Cependant, on ne voit pas trop clair dans ce jeu. Un défaut de ce livre est d’avoir des intentions pas trop bien affichées, et j’eusse préféré un peu plus de clarté et de vigueur, quitte à choquer. Faute d’intentions bien avouées, je l’ai peut-être interprété à ma guise. Tant pis.
Extrait :
“La nuit, j’étreignais mon oreiller, exactement comme s’il se fut agi d’un être humain à ma portée. J’avais pour lui les égards qu’on a pour celui à qui on ne veut aucun mal. Je le couvais, il aurait fallu me l’arracher des bras pour me le prendre. Oserais-je dire que je l’embrassais ? C’était me livrer au dos d’un homme imaginé par moi, poser mon front entre les omoplates, je l’entourais. Et lui, là-bas devant, il me prenait les mains”
L’envie de Sophie Fontanel. Éditions Laffont
Date de parution : 18/08/2011
Article publié par Yves Rogne le 1 octobre 2011 dans la catégorie
Cru bourgeois
Tout commence un soir d’octobre 1987 lorsque Gustavo Izzara rentre de vacances et découvre que sa maison a été visitée par des quidams indélicats, qui en lieu et place de dérober le moindre objet, se sont contentés d’habiter les lieux…
Découverte pour le moins étrange qui coïncide avec la disparition tout aussi insolite de Paloma, 18 ans, la fille de Gustavo, tombée dans les bras d’Adolfo séduisant et inquiétant jardinier et bien décidée à ne plus mettre un pied dans la somptueuse demeure de Villanueva.
Alors naissent une enquête policière menée de main de maître par un flic intriguant et moins bizarre et la rencontre entre celui-ci et Vida, épouse de Gustavo.
Nous voici cahin-caha ballotés entre quatre personnages qu’au départ rien ne rapproche.
Les pages de ce roman sont tournées comme on aborde un océan à la nage. On se laisse porter d’abord par de douces vagues pour progresser ensuite avec ardeur et être enfin avalé par les lames plus menaçantes. Tout ici une éloge à la liberté, aux émotions fortes, à l’envie d’exister à n’importe quel prix.
L’auteur explore les relations entre les hommes et les femmes à travers quatre histoires où les personnages se mêlent et s’arc-boutent dans une danse de sentiments grandiose. Elle soude la mère et la fille comme la nuit étreint le jour. Les personnages sont entiers, vrais, tantôt charnels mais jamais vulgaires, tantôt perclus de douleurs, mais leur parcours, toujours, est gorgé de sentiments, d’émotions, de recherche de cette liberté nécessaire et salvatrice.
Véronique Ovaldé dit les douleurs, les violences avec beaucoup de pudeur. Elle parle des différences entre les riches et les pauvres, des zones sensibles de l’Amérique latine, peint les paysages avec une poésie infinie, raconte ces oiseaux fragiles en quête d’espace et de liberté qui réussissent malgré tout à changer de cap parce que l’amour est là, toujours omniprésent, pour les y aider.
Un roman incontournable … Un écrin d’amour et de liberté …
Des vies d’oiseaux de Véronique Ovaldé. Éditions de l’Olivier
Date de parution : 18/08/2011
Article publié par Catherine le 28 septembre 2011 dans la catégorie
Premier Grand Cru Classé
Sahil est un jeune militaire afghan qui a fui l’armée, miné par le sang, les viols et les exactions en tous genres. Il se retrouve à Paris dans une cave, un squat minable. Le vie occidentale le fascine et l’irrite à la fois ; les mœurs frivoles, la légèreté des femmes, une vie très différentes de son ancienne vie, mais qui a du charme, il doit le convenir. Il ne rêve que d’une chose : s’enfuir vers la Grande-Bretagne et s’installer. C’est hélas chose fort difficile quand on n’a pas un sou vaillant. Il faut immanquablement graisser des intermédiaires, des passeurs. Un jour, une occasion providentielle se présente : “on” lui propose un contrat : il devra tuer une jeune femme, à une heure bien précise. Il n’y parviendra pas, pris de remords, et méfiant; elle est entourée de gardes du corps, la supprimer équivaudrait sans nul doute à la suivre dans l’autre monde… Il décide de s’enfuir, sans rembourser l’acompte sur le meurtre, ce qui provoque le courroux de ses commanditaires.
C’est alors qu’il se retourne sur “Ten”, jeune femme embarquée dans une mouvance satanique, aux côtés d’autres personnes louches, un certain Méphisto, qui projette de donner un spectacle glauque dans un cimetière, le Père Lachaise. Ten semble bienveillante envers Sahil. Elle lui propose un gite, elle le prend en charge. Mais cette jeune femme est décidément à la fois trop bonne et trop délurée aux yeux du jeune musulman… Que cache cette générosité suspecte ?
Dès la première ligne, l’auteur nous plonge dans un univers de noirceur, mais aussi d’interrogations et de repentir, car Sahil, s’il porte sur sa conscience des hectolitres de sang et de nombreuses vies humaines, sait aussi s’interroger et se remettre en question. Dur parcours pour ce garçon fragile, partagé entre des racines extrémistes et un vent libertaire. C’est constamment qu’il s’analyse et cherche sa voie. Le conflit de traditions et le choc de cultures est fort bien exploité, ainsi que le dessin du conflit afghan, entre factions extrémistes, armées officielle et occidentale.
De péripétie en péripétie, les rôles des gentils et des méchants se mélangent, se confondent, et quelquefois semblent s’inverser. On s’aperçoit alors que le noir n’est pas si sombre et le blanc pas toujours immaculé.
C’est un roman dans la plus pure tradition noire, de la série Vendredi 13, dont j’aurai encore l’occasion de parler. Peu de moments de répit dans ce thriller haletant, mais on peut éventuellement lui reprocher l’une ou l’autre répétition. Au bilan, c’est une belle réussite, qui ravira les amateurs du genre.
La collection Vendredi 13 aux éditions La Branche comportera 13 romans noirs, dont les trois premiers sortiront le 13 octobre (qui hélas ne tombe pas un vendredi…)
L’arcane sans nom de Pierre Bordage. Éditions ELB
Date de parution : 13/10/2011
Article publié par Noann le 26 septembre 2011 dans la catégorie
Cru bourgeois