Ça y est, le Foenki nouvelle cuvée est arrivé. On l’attendait depuis longtemps, un an au moins, depuis la sortie de “la Délicatesse”, qui a fait un tabac, et pas du genre de ceux qui provoquent le cancer, entre autres. Que donne ce nouveau futur millésimé? “Les Souvenirs” a hérité de la délicatesse de “la Délicatesse”, sans en retenir la pulpe un peu trop épaisse, le goût un peu trop prononcé, le jus parfois trop clair, parfois trop amer. Une évolution positive, en somme, pour cette variété de cépages bien ensoleillée, et même un peu trop.
On a vu Foenki dans l’émission “La grande librairie”. On l’a entendu affirmer que ce livre n’est pas auto-biographique. Difficile à croire… Le bouquin est écrit à la première personne (le fameux moi-je), mais surtout, il semble très personnel : le héros central est écrivain en devenir, ce qui nous rappelle le Foenki-ado et ses errements d’écrivain débutant. Il nous parle de ses parents, de ses grands-parents, et tant qu’on y est, de ses arrière-grands-parents.
La star de ce bouquin, outre le narrateur, qui admettons-le donc n’est pas Foenki, c’est incontestablement la grand-mère. Celle-ci a du tempérament. Elle a connu tant de choses, comme le dit bien son petit-fils préféré : “Ma grand-mère avait traversé tant d’épreuves, d’horreur, de morts. Tout cela l’avait rendue robuste malgré elle.” Ses parents, des quincailliers pauvres, avaient subi, dans les années trente, les affres de la crise économique. Ils avaient dû partir sur les chemins pour subsister. Mère-grand a beaucoup voyagé, malgré elle, et a connu les années de disette… Il est difficile de ne pas se prendre au jeu et de ne pas éprouver une certaine tendresse pour cette vieille femme à la fois délicate et forte.
Grand-maman a une vie tranquille. Mais voilà qu’arrive un chambardement. Elle montre des signes de faiblesse. Inquiet, son fils veut la mettre en maison de retraite. D’abord farouchement opposée, elle finit par accepter, à titre d’essai. Son caractère bien trempé va prendre le dessus : elle fait une fugue. Elle décide de retourner vivre dans ses souvenirs, et retourne sans avertir personne dans son pays natal. La famille est désemparée. Le petit-fils part à sa recherche. Il se doute qu’elle est retournée à ses origines. Il la retrouve assez vite… Pour vivre avec elle quelques jours magnifiques…
David Foenkinos met en relief les troubles du temps qui passe et de l’âge qui avance, féroce, impitoyable. C’est toute la problématique de la vie défilante qui est mise en évidence à travers ces trois générations ; la retraite et ses journées impossibles à remplir, la santé qui se détériore, la confrontations aux souvenirs, les disparités des générations, etc…
On se laissera prendre au jeu du romancier… Ou pas… Car cette exploitation systématique de bons sentiments peut aussi agacer, à force. (Gide disait : c’est avec les bons sentiments qu’on fait de la mauvaise littérature…) Cependant, Foenki semble ici plus sincère et plus authentique que dans “la Délicatesse”… Roman parfois trop… romancé et maniéré, ce qui n’a pas manqué d’agacer quelques lecteurs. Plus réaliste, moins alambiqué, “Les souvenirs” est un bon cru, à lire sans modération. Un livre qui a le mérite de n’être jamais ennuyeux, pour peu que le lecteur se laisse mener par le manège désormais bien rôdé de l’auteur. Foenki s’ingénie à mettre en exergue le moindre sentiment, mais il faut bien le reconnaitre, avec du talent, et un art de toucher immédiat.
“Mes grands-parents se sont rencontrés dans un bal. A l’époque, c’était commun. Il y avait des carnets de bal, et celui de ma grand-mère était bien rempli. Mon grand-père l’avait repérée, ils avaient dansé, et tout le monde avait pu constater une harmonie entre leurs genoux. Ensemble, ils étaient comme une rhapsodie des rotules. Leur évidence se transforma en mariage. Dans mon imaginaire, c’est un mariage figé, car il n’existe de ce jour qu’une seule photo. Une image en forme de preuve et qui, avec le temps, fixe d’une manière hégémonique tous les souvenirs d’une époque. Il y eut quelques balades romantiques, un enfant, puis un deuxième, et un enfant mort-né. Comment imaginer la violence du passé, celle d’un temps où l’on perdait un enfant comme on rate une marche.”
Les souvenirs de David Foenkinos. Éditions Gallimard
Date de parution : 18/08/2011
Article publié par Noann le 22 septembre 2011 dans la catégorie
Premier Grand Cru Classé
L’histoire d’un type qui connait une période de point mort, racontée par lui-même. Jean, un quadra plutôt dépressif, plaque tout un beau jour et prend sa voiture, direction : le midi. Il part à la recherche d’on ne sait quoi, il n’en sait rien lui-même…
Il quitte sa petite vie rangée. La suite est assez rocambolesque. Il rencontre un certain nombre de personnes assez louches sur les bords, certaines au milieu ; un couple d’auto-stoppeur qui se baigne nu devant lui. Notre pauvre Jean n’a même plus une once de libido et hésite pendant 30 pages. Je me baigne, je me baigne pas ? Ensuite il rencontre un couple d’agriculteurs. Je reste, je reste pas ? Encore 30 pages. Puis un copain qu’il n’a plus vu depuis 40 ans, Fred Malebranche. Celui-ci possède une sorte de château où il héberge des hôtes. Il invite Jean. J’y vais, j’y vais pas ? Et ouf, cette fois, il y va, après moult revirements. Là on se dit qu’il va se passer quelque chose. Tout y est : des gens encore plus zarbis que les autres. Un couple étrange. Un vieil homme qui passe ses vacances dans cet endroit qu’il n’aime pourtant pas… La suite est encore plus loufoque… Ces gens se côtoient, et l’on suit, à travers la plume de ce narrateur hésitant, voire incohérent, des échanges facétieux ou insolites.
Cependant, si l’histoire semble passer au second ou troisième plan, le récit réserve quelques moments intéressants. Dans la détresse de Jean pointe parfois un ou l’autre trait amusant, mais pas carrément désopilant. Une sorte d’esprit décalé, dans un jeu de miroirs subtil, si subtil que le lecteur alpha, comme moi, risque de passer à coté de l’essentiel. Le texte s’attache beaucoup à des détails, alors qu’on aurait aimé une psychologie plus approfondie et aboutie des personnages qui, cachés dans leurs existences mièvres, finissent par lasser. Certes si le but est de nous donner à voir les tourments d’un maniaco-dépressif incurable, c’est parfaitement réussi et maitrisé… Mais on ne manquera pas de se poser la question capitale : qu’est-ce que l’auteur a voulu montrer ?
Rouler de Christian Oster. Éditions de l’Olivier.
Date de parution : 18/08/2011
Article publié par Noann le 17 septembre 2011 dans la catégorie
vin de table
« Que c’est étrange de quitter quelqu’un que l’on aime pour quelqu’un que l’on aime… »
Anna Lore a quarante-trois ans lorsqu’elle rencontre Thomas Lenz. Coup de foudre immédiat, elle vibre et s’embrase de mille feux. Mais Anna partage depuis vingt ans la vie de Guillaume. Un couple soudé, une grande complicité, un mari impossible à quitter… Et entre Guillaume et Thomas, le choix est inimaginable…
Anna va donc « gérer » ses deux hommes, aux antipodes l’un de l’autre mais si complémentaires aussi… Le corps d’Anna réclame Thomas plus fort mais elle continue à faire l’amour avec Guillaume… différemment, tandis que son âme virevolte entre Guillaume et Thomas… différemment…
Voici le récit d’une double passion amoureuse, qui se traduit en mille expressions verbales qui vont d’aimer, partir, attendre à rêver, puis se retrouver, s’aimer, respirer, jouir, regretter, aimer, aimer encore, s’abandonner, enfin quitter et revenir encore. Vivre surtout, vivre à tout prix, payer le prix fort mais vivre intensément…
Anne Serre nous livre le carnet de bord d’une amoureuse hors norme vacillant entre désir fou, exaltation et souvenir, espoir et regrets. A travers ces portions de vie arc-boutées qui donnent le vertige, Anna, tel un funambule, tente de garder un équilibre précaire.
Et l’auteur de disséquer avec talent les sentiments amoureux en usant et abusant des verbes qui les définissent le mieux et en les conjuguant à tous les temps…
C’est une histoire simple, une histoire ordinaire … certes, mais une histoire belle à mourir, qui donne l’envie d’aimer, d’aimer fort, d’aimer autrement, d’aimer… ailleurs aussi.
Pour ma part, un billet succinct qui donne mon ressenti sur ce monument de sentiments et d’émotions.
J’ai … aimé.
Les débutants d’Anne Serre, Éditions Mercure de France.
Date de parution : 25/08/2011
Article publié par Catherine le 15 septembre 2011 dans la catégorie
Grand vin
Parfois, un éditeur donne une présentation en quatrième de couverture simple et honnête. Un peu fainéant, je me contenterai de la recopier (et pire encore, de la recopier d’un autre site – oh le vilain !)
Présentation de l’éditeur :
“En septembre 1985, António, un photographe, retourne à Lisbonne après dix ans d’absence. Il y retrouve Vincent, le correspondant du journal, afin de suivre le procès d’un tueur en série.
Encore enfant, António a rencontré en une fillette, Canard, l’amour mythique, celui qui promet de grandir sans jamais s’affadir, mais ce rêve de bonheur s’est déchiré. Vincent a ses raisons pour vouloir guérir cette blessure. Lui qui est si peu doué pour la vie, lui qui n’achève jamais rien de ce qu’il entreprend, va tenter de retrouver Canard et de réparer le passé.
En virtuose des jeux de l’amour et du hasard, Hervé Le Tellier veut croire qu’il n’est de destin qui ne se laisse dompter.”
Mon sentiment après lecture :
Le titre pourrait surprendre. On se demanderait bien ce que “Eléctrico W” veut dire. Est-ce le nom d’un nouveau type de centrale écologique ? Un nouveau modèle de génératrice ? La plaque signalétique d’une cabine haute-tension ? Rien de tout cela. Eléctrico W désigne une ligne de tramway, à Lisbonne. Nous voici plongés dans un Portugal récent, riche en couleurs, un pays que l’auteur semble bien connaitre et qu’il décrit avec minutie. De ce roman, il dit en prélude l’avoir commencé il y a vingt ans, le temps de le laisser mûrir. Et en effet, on sent un travail. Rien ne semble laissé au hasard, il suit un chemin bien précis, comme ce tram vieillot qui suit sa voie, sur un réseau avec de nombreux embranchements.
Un petit nombre de personnages évolue dans ce roman des sentiments et de la quête de soi. Vincent, le reporter, est un homme qui a une fâcheuse tendance au ratage, en particulier dans ses histoires d’amour. Mais aussi dans ses livres, car il est écrivain, du moins il tente de l’être (ça me rappelle quelques personnes…). Homme compliqué, qui s’analyse en permanence et en déduit moult options. Notamment, il décide que son collègue et néanmoins ami António devrait revoir “Canard”, son amour d’adolescent. Une sorte de réparation du passé. António, c’est le second personnage principal, le photographe. Et autour de ces deux hommes déambulent différentes femmes, intrigantes ou prétendantes, ou simple figurantes, tantôt intéressantes, tantôt navrantes (je suis paré pour écrire les textes de Cabrel). L’auteur fait évoluer ce petit monde dans une histoire, plutôt des histoires multiples qui se chevauchent et s’imbriquent, dans une construction savante, où les éléments s’enchainent et se consolident les uns les autres.
Eléctrico W n’est pas un roman simple. S’il ravira les amateurs d’intrigues amoureuses un peu subtiles, il peut aussi agacer, à cause du caractère de Vincent, qui est aussi le narrateur principal, de ses errements et tergiversations. C’est un homme qui, s’il est bien compris, s’avère adorable, mais dont le côté nonchalant peut irriter. L’histoire du tueur en série passe quant à elle au second ou troisième plan. Les amateurs de thriller resteront donc sur leur faim. Il y a pas mal de digressions aussi, sur la ville de Lisbonne, ses petite ruelles, ses particularités, puis sur la littérature et la photographie… De toutes petites choses qui donnent du crédit et du relief, mais confèrent aussi une allure lente au récit. Un livre tout en nuances, pour les amateurs du genre. De quel genre ? Je n’en sais rien, un genre à part.
“Regarde par la fenêtre, António, laisse la ville parler pour toi. Écris Il est deux heures du matin, plus tard encore, il pleut sur Lisbonne, et de la fenêtre, je vois s’écouler l’Avenida da Liberdade, elle est luisante et triste comme un canal d’Amsterdam. L’image est un peu creuse, je sais, António, mais regarde, ne trouves-tu pas que Lisbonne ce soir est comme une ville froide du Nord, silencieuse dans la bruine, que le boulevard désert reflète la nuit comme une étendue d’eau calme.”
Eléctrico W d’Hervé Le Tellier. Éditions Lattès
Date de parution : 24/08/2011
Article publié par Noann le 11 septembre 2011 dans la catégorie
Cru bourgeois
Quelques kilos de mots, un pavé de six cents pages plus loin, une lecture commencée avant mon déménagement, puis une pause, une thébaïde et enfin arrivée dans mon îlot de nature, de sérénité, une invitation à reprendre la plume …
Voici donc deux destins de femmes, la première étant la mère de l’auteur, française d’origine, et celle de sa grand-mère Renée. Deux vies effroyables, chaotiques …
Renée est confiée à un couple d’aristocrates qui ne pouvaient pas avoir d’enfant. La fillette se montre d’emblée effrontée et manipulatrice. Puis adolescente, elle se livre à un jeu de destruction machiavélique pour que sa mère se sépare de son amant. Mais cet amant détesté est en réalité son oncle, pédophile et violent notoire … D’emblée, il se met à séduire la fillette. De leur union naîtra Marie-Blanche …
Marie-Blanche, enfant délaissée, dénigrée, a grandi, est devenue femme, puis mère à son tour …
Lassée de cette vie de peu, de cet univers sordide, de ce mal-être qui la hante, elle finira par mettre fin à ses jours …
L’intrigue eût pu être abjecte, certes … Mais l’auteur nous livre ici un récit d’une vigueur fabuleuse et nous relate avec pudeur les affres de cette famille bancale, désordonnée, baignée d’une violence insidieuse. Il nous transporte à travers trois continents et dépeint les portraits de femmes en perdition, s’attardant en cela sur celui de Marie-Blanche, sa mère.
A travers le journal intime de Marie-Blanche, l’auteur nous fait entrer dans l’intimité de celle-ci. Au fil des pages, Marie-Blanche se souvient, raconte sa vie, un conte de fées puis l’enfer ….
Pourquoi l’auteur tente-t-il de comprendre toute cette souffrance, le parcours de sa mère, jalonné tantôt de joies futiles, tantôt de détresse ? Pourquoi s’acharne-t-il à découvrir toutes les facettes de l’âme de cette femme dont il ne connaissait que les points noirs, la froideur, l’absolutisme ? Peut-être tout simplement pour la pardonner … Et il le fait avec beaucoup d’émotion.
Un ravissement …
Marie-Blanche de Jim Fergus, Éditions Le Cherche-Midi
Date de parution : 05/05/2011
Article publié par Catherine le 7 septembre 2011 dans la catégorie
Grand vin
Tout récemment, en mai 2011, le tribunal de Munich rendait un verdict très particulier. Un homme, John Demjanjuk, se voyait condamné à une peine de cinq ans de prison. La peine est immédiatement aménagée. L’inculpé ne retourne pas derrière les barreaux, en raison notamment de son âge. Il a 91 ans et est accusé de crimes effroyables, qu’il aurait commis il y a des dizaines d’années.
Mais qui est donc cet homme ? Son nom de baptême est Iwan Nikolajewitsch Demjajuk. Il est né le 3 avril 1920 en Ukraine, à Dubovi Macharynzi. Fils d’Olga Demjajuk et de … son mari (je vous fais grâce de ce nom à rallonge). Il a migré aux états-unis après la guerre, où il a fait oublier ses origines et son passé trouble, en se rangeant et en changeant de nom. Il se fait appeler John (quand même plus simple que Nikolajewitsch) . Aidé par l’expansion de l’industrie de l’automobile, il fait une carrière d’ouvrier. Mais le passé le rattrape à toute vitesse, cette période trouble de la seconde guerre. Le gouvernement américain découvre qu’il a menti sur ses origines, et qu’il n’était peut-être pas la victime qu’il prétend être. Il se pourrait même que ce soit un bourreau, celui que l’on dénommait “Iwan le terrible”, tortionnaire sans merci, responsable direct de la mort de 28.000 personnes !
Immédiatement après la guerre, les dignitaires nazis ont été jugés, et la plupart condamnés, au procès de Nuremberg. Les années qui suivirent furent celles de la chasses aux “assassins de bureau”, comme Eischmann, condamné à mort en 1961 en Israël. Ensuite les sous-fifres ont été traqués. Enfin ce fut la chasse aux exécutants, ceux sans qui, comme le rappelle justement l’auteur, le génocide n’aurait pas eu une telle ampleur. C’est là que John Demjajuk apparait. Il était à Treblinka et Sobibor. Mais bien qu’il clame son innocence et prétende obstinément avoir été un simple détenu, des informations sont remises à jour. Notamment, une carte d’identité, dite “Trawniki”, délivrée aux gardiens de camp. Le gouvernement russe donne une copie de ladite carte. Demjajuk a des défenseurs. Certains voudraient expédier ces vieilles histoires, comme les élus républicains. D’autres, comme les lobbies ukrainiens, dénoncent une manœuvre du gouvernement russe pour discréditer leur ennemi héréditaire, l’Ukraine. L’affaire n’est décidément pas simple. Le temps a effectué son travail de sape, et même les derniers rares survivants ne sont plus sûrs de rien.
Commence alors un long travail de recherche, mené de prime abord par l’Osi, agence créée pour résoudre ce genre de question. Au terme d’années de procédure, la justice américaine se déclare incompétente pour juger un crime commis en Europe. Néanmoins, John sera déchu de se nationalité américaine pour fausse déclaration, et sera extradé vers Israël. En Israël commence alors un autre procès. Demjajuk sera d’abord condamné, avant d’être acquitté, en raison des doutes qui subsistent sur son identité. A nouveau extradé vers l’Allemagne, c’est finalement là qu’il sera condamné. Si ce procès tardif et en demi-teinte peut laisser perplexe, il est cependant instructif à différents titres.
Ce qui est emblématique dans ce cas-ci, et l’auteur le démontre fort bien, c’est qu’il est possible de dénoncer un crime longtemps après les faits, et d’effectuer un minutieux travail juridique en dépit du temps et des tensions de toutes sortes, au niveau international. L’auteur nous conduit pas à pas dans le dédale de cette affaire, il en démontre les tenants et les résultats. Un livre passionnant, étayé d’éléments concrets, avec de nombreuses références en bas de page. Cependant, il se lit facilement, comme un roman, et le lecteur n’aura aucun mal à suivre. Il constitue sans nul doute un document historique important. L’auteur a publié de nombreux travaux de recherche sur l’Allemagne contemporaine. Il est connu en particulier pour son livre “J’étais garde du corps d’Hitler”.
“Depuis la fin des années soixante-dix, la très grande majorité des experts qui se sont penchés sur cette pièce emblématique a conclu que le document présenté dans la salle aujourd’hui était authentique. Les encres ont été prélevées. Les signatures tampon et typographies comparées avec les éléments d’archive disponibles en Allemagne, aux États-Unis, en Pologne, en Russie, et en Ukraine. Chaque millimètre de ce bout de papier a été ausculté. scrupuleusement, observé à la loupe, étudié au microscope, photo comprise. Personne d’ailleurs ne sait combien de fois le petit cliché a subi l’assaut des spécialistes en photogrammétrie et morphologie comparative.”
Le dernier procès de Nicolas Bourcier. Éditions Don Quichotte
Date de parution : 15/09/2011
Article publié par Noann le 5 septembre 2011 dans la catégorie
Cru bourgeois
Voilà un bouquin qui nous plonge, de la première à la dernière ligne, dans une ambiance captivante : le casse de la Banque de France le 16 décembre 1992 à Toulon.
La Banque de France, c’est une institution créée en février 1800 par Napoléon. Les coffres de la succursale de Toulon sont pleins à craquer de billets, devises et lingots d’or. Plusieurs centaines de millions de francs. Mais en 1992, la sécurité laissait à désirer. Incurie, désinvolture. Les pouvoirs publics décident de remettre de l’ordre et d’installer un nouveau système d’alarme. C’est le moment ou jamais. Une fois la nouvelle alarme installée, un braquage deviendra plus difficile, voire impossible.
“Marc”, truand notoire, se profile d’emblée comme le cerveau de la bande. Depuis le début, il est sceptique. Le coup lui est proposé par un trio un peu léger d’amateurs, qui semblent quand même détenir des informations capitales. Marc se méfie au plus haut degré de ces loustics pas très clairs et pas bien organisés. Mais une des personnes du trio, Hélène, est employée de la banque, à un poste clé. Elle possède des données confidentielles. Hélène relève le niveau. Elle a quelque chose… du charme certes, de l’assurance aussi, et des idées bien claires qui plaisent au truand, toujours avide d’un bon coup. Celui-ci s’entoure d’une équipe de choc, des habitués, des pros, qui prennent les choses en mains et organisent le casse d’une façon quasi-scientifique… Monstrueuse aussi.
Leur plan : prendre en otage un employé de la banque, “Manu”, lui passer une ceinture d’explosifs à la taille, et lui enjoindre de forcer l’accès aux coffres. L’auteur du bouquin se glisse dans la peau de cet homme transi de peur, qui se fait tabasser sous les yeux de sa femme et de son fils. Les voix narratives alternent entre Manu et Marc. Le lecteur est tantôt saisi d’effroi en lisant les pensées de ce fonctionnaire, puis transi d’un effroi différent, aussi intense, en repassant dans l’esprit du truand.
C’est un récit très réaliste que nous conte l’auteur, Jean-Claude Kella, et pour cause : ce fut lui-même un caïd dès son plus jeune âge. Il a trempé dans de nombreuses affaires, il a été un des magnats de la French Connection, ce trafic de drogue juteux entre la France et les USA, entre les années ’40 et ’70. Une page lui est dédiée sur Wikipedia (voir ici).
On dégouline de sueur en lisant ce livre extrêmement prenant. Je sens encore le flingue de l’auteur entre mes omoplates, il me glisse à l’oreille : “Fais pas de gaffe petit. Dis pas de connerie sur mon bouquin, sinon…” Quoi qu’il en soit, ce n’est son Beretta 9 mm qui me fait dire qu’il a du talent (ou si peu), ni même l’envoi par son agent de presse G. Paris, que je remercie. Ce bouquin est réellement édifiant, écrit dans un style clair et sans fioritures, tout en fluidité, avec ce qu’il faut de suspens pour nous pousser à tourner les pages. On peut éventuellement regretter que la fin ne soit pas un peu plus étoffée, le procès, le dénouement. On aurait aimé lire 50 ou 60 pages de plus.
Finalement, c’est ce pauvre Manu qui aura le plus souffert, victime sensible qui se retrouve accusé, cuisiné par les flics de l’Évêché, le commissariat de Marseille (ironie du sort, c’était vraiment à l’origine le bureau de l’Évêque). Quant au succès de l’opération, je n’en dirai pas trop. Le butin de plus de 100 millions de francs ne sera pas complètement retrouvé…
“Sise dans une imposante demeure du XIXe siècle, la banque était si belle que nous en tombâmes tous amoureux au premier coup d’œil. C’était elle qui nous permettait d’accéder à nos désirs les plus fous, et nous mourrions d’envie de la prendre entre nos bras.”
Hold-up de Jean-Claude Kella. Éditions Don Quichotte
Date de parution : 22/09/2011
Article publié par Noann le 28 août 2011 dans la catégorie
Cru bourgeois
Sylvie Germain est relativement et honorablement connue pour ses romans, moins pour ses essais. Deviendra-t-elle le nouvel écrivain-philosophe, comme Sartre et de Beauvoir ? A voir… Les essais de Germain sont assez peu accessibles au commun des mortels (d’ailleurs je n’ai rien compris – pour être honnête). Pour saisir toute la portée de ces textes, il n’est pas inutile d’être docteur en philosophie, ayant aussi étudié la théologie, entre autres.
La préface de ce livre annonce : “Depuis ces dernières années (…) l’auteur a su développer toute une réflexion à dimension spirituelle et philosophique.”… On avait bien remarqué, dans ses romans déjà, l’amorce de quelque chose, un début de réflexion, une philosophie sous-jacente. Mais cette fois, tout aspect romantique est abandonné, nous sommes dans la théorie pure (et dure, bien dure…).
Comment définir “quatre actes de présence” sans se tromper ? La tâche est ardue. Le livre est dense et complexe, et chacun y verra sans doute, selon son expérience et sa tendance religieuse, des aspects bien différents…
L’ouvrage tout entier est illustré d’exemples, de références de maîtres penseurs, chers à l’auteur, depuis la Bible jusque Simone Weil, très présente, en passant par Zundelet et Blanchot. Reiner Maria Rilke est lui aussi fréquemment cité.
Mais voilà qu’apparait Dieu, et l’ouvrage prend une tournure toute différente. Différente parce qu’éclairée par la suprême vérité catholique, tel qu’elle est, voie unique, difficile à éluder, incontournable.
“Dieu écoute Dieu en l’homme qui fait silence, Dieu parle à Dieu en l’homme en état d’écoute, Dieu écoute l’homme silencieux, Dieu parle à l’homme écoutant.”
Même chez les jésuites (douze ans quand même), je n’avais rien entendu de semblable. Parfois je me suis senti comme devant “Questions pour un champion”. Un peu bêêête.
Mais d’un autre côté, quelques idées sont intéressantes et accessibles :
“Sous l’effet du malheur et de la souffrance, d’une injustice ou d’un affront subis, une violence éclate presque toujours en nous.”
“Une autre question se pose alors : que faire de notre misère mise à vif par le malheur, si on se refuse l’exutoire de la violence de représailles ?”
Les sujets abordés ne manquent pas d’intérêt :
“Y a-t-il une vie avant la mort ?” La question peut paraitre moins intéressante que la proposition inverse, plus commune. Mais elle n’est pas sans fondement, si l’on se réfère à des cas précis, un enfant mort-né, ou un adulte qui n’a jamais vécu, oppressé par le honte et une éducation trop fermée.
“Comment réprimer un désir de vengeance ?” La meilleure solution est celle de la sagesse : par un renoncement lucide et réfléchi, par la réflexion, la foi !
“La parole n’est-elle pas plus utile que le silence ?” Le silence, c’est le dénominateur commun du recueillement, de tout acte de création, de toute forme de contemplation. Mais défendre le silence, c’est aussi justifier l’absence apparente de Dieu !
“L’angoisse est-elle nuisible ?” Pas forcément, affirme l’auteur, elle est bénéfique, quand elle est assumée, regardée, qu’elle n’est pas une fuite. L’angoisse est salutaire quand elle n’est pas serrée autour d’un nœud de néant, tel que de grands penseurs l’auraient professé : Marx, Freud, Darwin, Nietzsche. Nous y voilà ! La vieille lutte des rationnels contre les croyants. Le vieux débat remis à jour par Sylvie Germain !
Pour conclure, ce recueil me semble plutôt réservé aux initiés. Il ne convaincra probablement guère les athées. La démonstration sous-entendue de l’utilité de la foi et de la bienveillance de Dieu n’est pas forcément éclatante, surtout pour un esprit rationnel. Mais la spiritualité peut-elle faire l’objet d’une quelconque démonstration? Cependant les idées eussent pu être dites de manière moins complexes. L’auteur sait se montrer intéressante, mais reste relativement péremptoire et fermée à toute idée non-chrétienne.
Pour résumer à la manière Livrogne, je dirais que c’est un bon vin de messe, à consommer avec modération. A défaut de catégorie “vin de messe”, je le verse dans “vin de table”.
Quatre actes de présence par Sylvie Germain. Éditions de Brouwer.
Date de parution : 27/01/2011
Article publié par Noann le 25 août 2011 dans la catégorie
vin de table