Iris est bibliothécaire à Fribourg. Elle perd sa grand-mère Bertha et hérite d’une grande maison dans la campagne allemande. En visitant cette maison, peu à peu toute la mémoire familiale qui émane de chaque pièce la ramène à sa propre histoire, ainsi qu’à celle de sa famille.
Avec les premiers balbutiements de l’automne, l’auteur nous invite à suivre Iris, accompagnée pour l’occasion de sa mère et sa tante, à accomplir avec elle l’état des lieux de cette maison chargée de souvenirs heureux ou mélancoliques, l’inventaire des histoires familiales, des passions amoureuses, des larmes versées aussi, de trois générations de femmes attachées à cette maison.
Pas à pas, nous nous immisçons dans le passé et l’intimité de ces femmes tantôt meurtries, tantôt heureuses, croisant çà et là des bouts de vie, une mort tragique, celle de Rosemarie, la cousine d’Iris, les amours heureuses de Bertha, les allées et venues de l’un ou l’autre, et dans cette bâtisse qui exhale un doux parfum de confiseries, nous nous promenons, retrouvant aussi un peu de notre vie révolue …
Certes, le lecteur se trouve une fois encore devant la sempiternelle thématique de la valse des souvenirs familiaux mais l’auteur conduit habilement cette quête du passé en rendant si intenses ses personnages et en reproduisant même l’univers autour d’eux, les senteurs, les effluves émanant des vieilles pierres, de l’herbe mouillée. C’est ce qui donne toute la force à ce roman, que j’ai classé dans la catégorie des grands vins …
Et qui plus est, l’auteur évite soigneusement de tomber dans la nostalgie à deux balles, la mièvrerie.
Voici donc un roman d’une grande douceur sur la mémoire fissurée et les joies oubliées qui nous entoure d’un parfum de pommes un peu flétries, de fruits secs.
Une écriture réservée, candide, qui invite le lecteur, tel un adolescent qui découvre les premières étreintes passionnées, à s’imprégner du parfum acidulé de chaque page et à se laisser porter doucement vers la fin du récit …
Beau. Émouvant. Sensuel.
Le goût des pépins de pomme de Katharina Hagena, Éditions Anne Carrière/Le Livre de Poche
Date de parution : 07/01/2010
Article publié par Catherine le 8 juin 2011 dans la catégorie
Grand vin
Un titre insolite a priori… Ce que racontent les cannes à sucre. On serait tenté de dire : pas grand chose. Et pourtant. Les champs de cannes à sucre peuvent receler de lourds secrets, et ceux qui les plantent encore davantage !
Une jeune femme se rend à l’ile Maurice en vue de préparer le scénario d’un document sur Malcolm de Chazal, un ancien poète, qui est aussi la fierté des Mauriciens. Et c’est la plongée dans un autre univers, et même des univers multiples, entre magnats du sucre, artistes, et surtout un être fantomatique, le spectre de Mesmin, un ancien planteur de cannes à sucre du siècle avant-dernier, entendez le début du XIXième. Après avoir cherché ses repères dans cette île complexe, où se mêlent parfums, intérêts divers, couleurs et peuplades de toutes origines, notre scénariste prend la plume, mais pas pour rédiger des notes ou un début de scénario, elle prend la plume sous la dictée de ce fantôme d’un autre âge, qui semble prendre possession d’elle et lui imposer de l’écouter et de retranscrire sa vie. Sa vie justement, nous y voilà, les cannes à sucres sont bavardes. Ce planteur, Mesmin, a toute une origine, un passé. C’est là que vont se croiser diverses époques et lieux. Des aller-retour entre présents et passés, entre l’île, l’Inde, la France, car Maurice est un carrefour de civilisations, amalgame d’Afrique, d’Asie et de colonie européenne. Et le récit acquiert des dimensions multiples.
C’est un roman qui certes n’est pas des plus simples et que le lecteur devra mériter. L’auteur ne nous a pas mâché la tâche et ne s’abstient pas d’un mot de vocabulaire inusité ou d’une tournure de phrase peu conventionnelle. L’auteur jongle aussi bien avec son histoire qu’avec les mots. Mais c’est un récit dense et riche à tout point de vue, où il faudra recomposer les éléments. L’histoire va de cahot en bosse, à deux voix, la narratrice, qui est elle-même dépositaire du message de Mesmin, à deux siècles d’intervalle. C’est un voyage fascinant pour qui se donne la peine de se laisser emporter, où l’on emprunte navires à trois mâts aussi bien que vieux bus sur les chemins chaotiques de cette île singulière. Le petit côté surnaturel des dialogues (ou monologues plutôt) avec Mesmin donne une ambiance fantastique, sans pour autant que le roman puisse être versé dans cette catégorie.
Ce roman est à l’image des lieux et des époques qu’il décrit, broussailleux, chamarrés, bigarrés, métissés. Et patatras, mon navigateur se plante et je perds tout un paragraphe de mon article, et zut…! Où en étais-je ? Je crois que je parlais du style. Bon. Le style est singulier et personnel, rigoureux, et il sait se départir de quelques usages courants pour gagner en personnalité, ce qui est le symbole même d’une liberté d’artiste. Aucun écrivain ne voudrait être privé d’une nuance. Écriture riche en détails aussi, ce qui crée une ambiance réaliste, entretenue de page en page.
“Deux chemins s’offraient à moi. Je pouvais me résigner à la condition d’un métis pauvre, trouver un emploi de gendarme ou d’homme de garnison peut-être, subissant les humiliations réservées aux corps de gens de couleur, ou me hisser à la condition subalterne, de régisseur sur une propriété où j’aurais eu à obéir docilement aux ordres du maître. Je pouvais tenter la fortune dans le commerce ou la culture du sucre; dans les deux positions, les nécessités des temps m’imposaient d’acheter des bras, et donc les créatures qui les animent.
Je suis fier de ce que je suis devenu, j’ai l’ambition de te faire partager ce jugement; en un point de l’histoire, un esprit déterminé se sent assuré de ses choix.”
Ce que racontent les cannes à sucre – Annik Mahaim. Éditions Plaisir de Lire
Date de parution : 25/05/2011
Article publié par Noann le 6 juin 2011 dans la catégorie
Cru bourgeois
Que peut unir Lexie, une femme effrontée partie à la découverte de Londres dans les années 60, menant avec acharnement sa vie professionnelle et sa vie de femme célibataire et Elina, une jeune artiste peintre d’origine finnoise, maman d’un fils et dont l’accouchement qui a failli lui coûter la vie, l’éloigne presque de son époux, Ted? A priori rien…
Par bribes, l’auteur raconte les vies fébriles, les difficultés de vivre à deux, les désirs et les silences des personnages qui se croisent …
Et nous voici touchés par le message de l’auteur qui explore les tréfonds des sentiments humains dans ce qu’ils ont de sublimes mais aussi de destructeurs. Elle décrit à merveille les silences, les situations équivoques, les secrets enfouis jadis qui ressurgissent à travers une rencontre improbable de deux femmes issues d’époques différentes mais qui partagent le même milieu, celui des artistes dans ce Londres d’après-guerre.
L’auteur scrute les liens qui unissent des personnages aux antipodes et nous invite à suivre le chemin de ces deux femmes, l’une enfant des années 50 férue d’écriture et l’autre, jeune peintre, maman d’un fils, miraculée d’un accouchement difficile et perdue devant l’attitude déconcertante de son époux depuis la naissance de leur fils.
La fin du récit est inattendue. Ted révèle un lourd secret, qui finit par réunir intimement les deux femmes …
Un beau récit sur la puissance des liens familiaux, les sentiments amoureux, les relations maternelles. Indubitablement …
Cependant, si j’ai classé ce roman dans la catégorie plus modeste des «crus bourgeois» c’est tout simplement parce que cette thématique est un peu “tendance” à l’heure actuelle, vue et revue mille fois …
Tout en reconnaissant bien entendu à l’auteur une plume émouvante et sensible…
Cette main qui a pris la mienne de Maggie O’Farrel, Éditions Belfond.
Date de parution : 07/04/2011
Article publié par Catherine le 1 juin 2011 dans la catégorie
Cru bourgeois
Le 6 avril ’94, l’avion du président rwandais Habyarimana est abattu. C’est le début d’un génocide de grande ampleur, qui trouve ses racines des décennies plus tôt. Les deux ethnies principales du pays étaient à couteaux tirés : les Tutsis, minoritaires en nombre mais représentant l’élite, et les Hutus, partie majoritaire mais plus “paysanne”, se considérant défavorisée, voire brimée.
Depuis les années 60 déjà des tensions existent. La carte d’identité instaurée par les colons belges faisait mention de leur appartenance ethnique… Le début d’une ségrégation administrative, diront certains. Le fossé n’a cessé de se creuser entre les deux groupes, alors même qu’ils se côtoient de près et se mélangent. De nombreuses unions “mixtes” ont lieu. Et lorsque la révolte éclate, ce sont des proches qui s’étripent, des voisins, des cousins, des couples. La guerre éclate de l’intérieur, un peu partout, et se répand comme une trainée de poudre. La mort du président est le point de départ… et le prétexte idéal. Les Hutus accusent les Tutsis d’avoir commandité ce meurtre. Cependant, depuis longtemps, ils avaient établi des listes secrètes dénombrant les membres de l’ethnie rivale. Ils se réunissaient en milices et se procuraient des machettes. Il ne fallait plus qu’une étincelle. Le génocide fera plus de 800.000 victimes directes, auxquelles ils faut ajouter les victimes de la famine qui suivra, les exilés vers le Zaïre, qui engendreront à leur tour d’autres conflits.
L’auteur s’appuie sur des faits historiques et des récits rapportés par des témoins, pour composer un texte qui a l’allure d’un roman. Il re-crée des personnages, tantôt d’une ethnie ou de l’autre, voire militaires français. Les français ne seront pas épargnés, en dépit des subventions françaises reçues pas l’auteur. C’est assez cocasse. Il se permet de faire dire à un colonel français : “…nous avons du sang jusque là dans cette affaire…” Ce colonel dénommé “Perrin” semble un personnage inventé de toute pièce. On notera le point de vue légèrement différent du général Tauzin, bien réel lui. L’accusation sous-jacente envers le gouvernement est discutable. De même que l’étaient les accusations du général Dallaire envers les forces armées belges. Le premier responsable de ce massacre est le racisme primaire d’une communauté envers une autre, de race plus élégante, plus grande, plus raffinée. Faut-il que nos états se considèrent gendarmes du monde, jusque dans des conflits civils, où il est bien difficile de faire la part des choses ?
À mots entremêles, l’auteur donne la parole à ses différents intervenants de toutes factions, y compris le docteur Karekasi, un des principaux commanditaires hutus. Cela donne un mélange de points de vue. De nombreux personnages se croisent et se recroisent, dans une composition qui rappelle certains romans, comme Ouragan de Gaudé. Interventions narratives parfois courtes, une page ou deux, ou plus longues. Il faut alors une bonne attention et un esprit déductif pour recomposer le fond du livre, et l’on se perd facilement… La structure du roman est complexe, mais l’écriture peut l’être aussi, et l’on peut avoir du mal à se représenter certaines personnes, mal introduites, sur une toile de fond sommaire. L’idée de la diversité des voix est intéressantes, mais tend à perdre ou dissiper le lecteur. Personnages pas toujours réalistes, dans leur phrasé un peu trop académique par rapport à leurs origines modestes. Un détail en passant, au Rwanda on dit septante et pas soixante-dix.
Cette période de l’histoire est fascinante, mais l’auteur ne l’exploite pas de la façon la plus efficace. En général, la fiction transcende la réalité, ici elle la perturbe. D’ailleurs, peut-on romancer une période de l’histoire aussi tragique sans la travestir ? Si l’on écrivait un roman sur le onze septembre, il paraitrait fade par rapport aux images vues. C’est aussi un peu le cas ici. Dans le même registre, le livre de J Hatzfeld “une saison de machettes” est bien plus convaincant, alors qu’il laisse simplement les témoins s’exprimer. Boubacar Boris Diop lui fait plus une ré-écriture de l’histoire.
Enfin, pour le lecteur qui voudrait une aide pour comprendre les fils de ce roman, il n’est pas inutile de consulter ce site : mémoireonline.com
Le livre des ossements de Boubacar Boris Diop. Éditions Zulma
Date de parution : 03/03/2011
Article publié par Noann le 31 mai 2011 dans la catégorie
vin de table
Mon petit cœur s’est laissé emporter par ce conte de fée moderne, et à la fin, il a même versé une larme.
Que ce passe-t-il dans la vie d’Isabelle, prof de science entre deux âges ? Rien. Il ne se passe rien. Son métier… un labeur. L’amour… un précipice qu’elle fuit. Les enfants : un fils qui l’aime en secret et une fille qui part. Mais en quelques journées d’août, son destin change ! Il suffit d’un musicien vadrouilleur qui joue dans le métro et patatras, Isabelle bascule dans un autre monde. Il lui fait une proposition simple : Isabelle l’héberge pendant un mois, et en contrepartie il fera la rénovation de la chambre de sa fille. Isabelle pressent un danger, comme toujours. Ce type a quelque chose d’enjoué mais de diabolique aussi. C’est un homme, et très différent d’elle. Elle est secrète, timorée, peureuse. Lui est libre, sans-gène, sûr de lui. Après moult hésitations, elle accepte.
Le jeune homme s’installe et prend possession de l’univers d’Isabelle. Il va et vient, impose son emploi du temps, sa loi, sans gène et sans regard. Il la malmène et va jusqu’à lui dire des mots incongrus. Alors qu’elle n’espère de lui que sentiments, il devient pervers, semble manipulateur. Pourtant il sait ce qu’il fait, en bousculant Isabelle pour faire re-naitre toute sa vie et sa féminité gâchée !
Au départ, cette histoire a l’air très ordinaire. Rien de bien folichon, une mère de famille sans ampleur, un vagabond sans avenir. Mais le talent de l’auteure donne une dimension inédite. La construction du récit est remarquable, avec des alternances de voix, entre la mère et la fille Romane, qui la redécouvre trente ans après. Et puis il y a cet art peu commun de faire vivre et de donner à chaque moment une grandeur morale et amoureuse.
L’histoire se déroule comme un parchemin. Le lecteur est surpris, parce que rien ne se passe comme il l’attend. Rien n’est vraiment banal, du moins, ce qui est banal est magnifié par une plume tour à tour facétieuse et mordante. C’est un roman à la fois léger et grave, drôle et sévère, tendre et grivois. Parvenir à faire ces amalgames sans excès et sans jamais ennuyer est un exploit rare.
“Isabelle voulut dire non, mais son corps marcha jusqu’à l’appartement. Son corps silencieux et autoritaire. Prêt à mourir d’un poignard inconnu plutôt que de continuer ainsi, engoncé, enserré, meurtri.”
“Reculer – battre en retraite, revenir en arrière-, je connais bien l’art du retranchement. La stratégie du repli. Mais ce n’est plus le temps des abris pour moi.”
Un refrain sur les murs de Murielle Magellan. Éditions Julliard
Date de parution : 10/03/2011
Article publié par Noann le 26 mai 2011 dans la catégorie
Premier Grand Cru Classé
Par une écriture éblouissante, l’auteur s’adresse à ses parents disparus et leur rend un hommage affectif poignant. Elle nous livre son message à travers deux récits. Le premier nous entraîne dans le Transsibérien. Sa mère est transportée sur la route de grands poètes et les paysages croisés sont remplis de légendes de toutes sortes …, tandis que le second récit nous fait découvrir la peinture et aussi l’horticulture, le monde dont son père est originaire.
Voici un livre délicieux qui nous transporte entre le voyage et la méditation.
Et puis, au fil de cette randonnée, l’auteur nous porte par des mots forts, nous parle d’amour – le vrai, le grandiose – avec un talent fou. De l’absence aussi … la mère, les autres, partis, morts, en partance, en ostracisme, en exode …
Et la fin du récit nous parle de la vie, de la mort, de ce fil fragile qui nous tient debout, de notre attirance pour la terre dans ce qu’elle est source de vie ou de mort, de l’envie de marcher dessus, de s’y rouler puis de s’y endormir pour l’éternité …
J’ai aimé cette douce balade d’un antipode à l’autre, de la vie à la mort … Inlassablement, je me suis laissée porter.
A lire très vite.
«Chacun recèle dans son imaginaire un atlas amoureux qu’il compulse selon sa fantaisie. Un atlas amoureux est forcément extravagant, illustré de cartes et de planches qui ne respectent pas toujours la bonne échelle. C’est un imprécis de géographie passionnelle.»
Le monde sans vous de Sylvie Germain, Éditions Albin Michel.
Date de parution : 06/04/2011
Article publié par Catherine le 25 mai 2011 dans la catégorie
Grand vin
Voilà un livre dont il est bien difficile de parler sans le trahir. Alors chuuuut, mieux vaut lui laisser la parole !
“Il n’y a qu’une seule vie et elle est sans fin.”
“J’ai fait des études scientifiques mais les sciences vous donnent une vérité de plus en plus petite et à la fin vous n’avez plus rien dans les mains.”
“Chacun de nous porte au fond de lui un Dieu que les autres dieux qu’il croise ignorent.”
“Toutes nos pensées reviennent à chercher la clé d’un paradis dont la porte est ouverte.”
“Quand je serai mort je serai chez moi.”
“De n’importe quel endroit on a une vue imprenable sur le paradis.”
“Les mains des nouveaux-nés et celles des vieillards sont à un millimètre de l’infini.”
“Un diable sort du cœur des enfants humiliés.”
“Même en enfer il y a peut-être un ange.”
Les ruines du Ciel de Christian Bobin. Editions Gallimard/Folio
Date de parution : 08/10/2009
Article publié par Noann le 25 mai 2011 dans la catégorie
Grand vin
Un recueil de quatre textes, qui ont pour thème l’Italie, les rapports de quelques personnes avec la guerre, la mort, la société…
Zio Négus est mort. Toute une affaire ! Mais qui était cet homme finissant, méprisé par son village ? Il vivait en ermite dans une abbaye désaffectée et parlait avec fièvre de Frédéric II, empereur du XIIIième siècle. Il le revoyait luttant, reclus dans une église en siège. La porte a tenu bon, disait-il.. Pourquoi tant d’exaltation a propos de ce roi disparu ?
Un centurion s’avance vers un bastion aux confins de l’empire romain. D’un coup de poignard, il assassine Caïus, le centurion déchu qui avait gardé le fort pendant trois ans. Mais Caïus tenait sur lui un parchemin qui disait : “celui qui viendra je le reconnaitrai… Ce sera mon fils”. Le centurion bascule. Ce message lui était destiné. Il prend peur et décide de partir en mission avec quelques hommes.
Le “Golem” est une créature conçue par le terre même, pour se venger de l’homme. En 14-18, la terre, bafouée, torpillée, ramasse ses forces et crée un démon argileux. Les hommes décapitent ce monstre et l’enferment dans des caisses en bois. Mais il renait de ses mottes ! Le texte de Gaudé sonne comme un avertissement aux hommes qui méprisent la nature.
L’assassinat du juge Falcone en 1992, revisité. Il est devenu un symbole public de la lutte contre la mafia, après avoir péri sur une autoroute truffée de 400 kilos d’explosifs ! Ce texte reconstruit les pensées du juge Borsellino, qui se savait condamné. La mort de son homologue était un signe. Il avait raison. Lui aussi explosera, quelques mois plus tard.
Mon avis : Laurent Gaudé, conforme à ses habitudes, dessine des personnages sombres dans un abîme de noirceur, mais dans cette noirceur il y a une infinité de nuances. C’est tragique, dur, impitoyable, mais c’est la vie dans toute son obscure nudité. Ces quatre textes susciteront je pense diverses réactions opposées. Des œuvres complexes, d’une grande portée, habillées par cet auteur qui est décidément un écrivain, une sorte de Hitchcock de la littérature française. On adore ou on déteste, mais c’est toujours aussi singulier, et d’une puissance émotive rare. C’est tout en excès, aussi.
“Nous sommes partis au matin. Le ciel était si bas qu’il n’y avait plus d’heure. Tout était nappé de silence, comme si les dieux avaient décidé de retirer les bruits du monde. Les oiseaux s’étaient tus, les sabots ne faisaient plus aucun son en martelant le sol., pas un souffle de vent ne venait secouer les feuilles des arbres. Il y avait tant d’humidité dans l’air que nos capes et nos fourrures étaient gorgées d’eau. J’ai avancé, d’un pas lent, avec un étrange mélange d’inquiétude et de ravissement : pour la première fois de ma vie, je marchais en dehors de l’Empire.”
Les oliviers du Négus de Laurent Gaudé. Actes sud
Date de parution : 01/05/2011
Article publié par Noann le 22 mai 2011 dans la catégorie
Grand vin