Cru bourgeois

Trésor d’amour – Philippe Sollers

Quatrième de couv’

« On vit donc à Venise, Minna et moi, à l’écart. On ne sort pas, on ne voit personne, l’eau, les livres, les oiseaux, les arbres, les bateaux, les cloches, le silence, la musique, on est d’accord sur tout ça. Jamais assez de temps encore, encore. Tard dans la nuit, une grande marche vers la gare maritime, et retour, quand tout dort. Je me lève tôt, soleil sur la gauche, et voilà du temps, encore, et encore du temps. On se tait beaucoup, preuve qu’on s’entend.
Les amoureux sont seuls au monde parce que le monde est fait pour eux et par eux. L’amour est cellulaire dans les tourbillons du hasard, et ces deux-là avaient une chance sur quelques milliards de se rencontrer à la même époque. Entre le français et l’italien, il y a une longue et bizarre histoire. Elle ne demande, avec Stendhal, qu’à s’approfondir. »

Les femmes, dont une en particulier, Minna, trentenaire cultivée, l’Italie, la France, la littérature, la musique, et surtout Stendhal. Voilà les personnages principaux de ce livre, qui tient à la fois de l’essai et du roman. Minna et le narrateur, dont le nom n’est pas cité, se voient de temps à autres à Venise. C’est en pointillés que se dessine leur histoire d’amour, un fil conducteur ténu, un prétexte. Minna a fait des études de lettres et elle s’est spécialisée dans un auteur : Stendhal (of course). Par un hasard extraordinaire – ou pas – elle tire son prénom de “Mina de Vanghel”, un roman… de Stendhal (qui d’autre ?).

Parallèlement à son histoire d’amour balbutiante, le narrateur écrit. Il écrit, ou plutôt il déambule à sa manière dans l’écriture, dans un style à l’apparence débridée, qui franchit sans hésitations les époques, du XVIII ième siècle au XXIième, en traversant toutes les autres, qui passe d’un lieu à l’autre, d’un art à un autre, comme par un petit coup de baguette magique. Et l’auteur nous ramène Stendhal à notre époque, se demandant comment il réagirait devant nos singularités, avant de le replonger dans le voisinage de Mozart, lui prêtant pensées et citations, brodant, extrapolant sans fard. Stendhal par ci Stendhal par là. Il devait penser ci, à notre époque il aurait fait ça…couverture trésor d'amour

Original, particulier, le dernier livre de Philippe Sollers peut surprendre aussi. Il n’y sera finalement guère question d’amour, ou si peu, ou d’une façon détournée, sur un plan philosophique ou pataphysique. La façon dont l’auteur compose son récit est personnelle et intéressante. A la manière de ces vieux écrivains, il semble ratiociner dans son coin, tout seul, comme un prof qui ne se retourne plus, dans une sorte de délire académique. Il reste au lecteur à le rejoindre, à travers les brumes de ses pensées. Parfois tout proche, il s’éloigne, se recroqueville et on le perd, avant de le retrouver. Le plaisir de lecture est ici plus intellectuel et réfléchi, que sensuel et immédiat. Ce livre m’a paru comme une sorte de kaléidoscope du temps et de l’espace, que chaque lecteur pourra re-composer à sa manière.

“N’empêche, Stendhal a des préjugés : une femme, on l’a “eue” ou pas. Plus drôle encore : on peut la “manquer” (terme de chasse). C’est là où la scène du fiasco au bordel, avec ses amis, tient du comique lourd. Quelle idée, aussi, de se relayer pour baiser la même jeune femme délicieuse qui , de plus, s’appelle Alexandrine comme la comtesse Daru ! En entrant dans sa chambre, Stendhal pense aussi à sa Métilde, deuxième inhibition. Succéder à un autre homme fait surtout jouer l’interdit homosexuel.

Trésor d’amour de Philippe Sollers. Éditions Gallimard

Article publié par Noann le 7 mars 2011 dans la catégorie Cru bourgeois
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Grand vin

Tu verras – Nicolas Fargues

Fils unique d’un père ignare, Clément vient de faire une chute mortelle dans une station de métro parisienne. Il aimait la musique branchée, de son âge, portait des jeans qui lui couvraient la moitié du slip, fréquentait la lie du collège, les copains de banlieue dont son père désespérait de la fréquentation, alimentait sa page facebook d’échanges idiots, usait et abusait de textos criblés de termes hachurés … de son temps.

Entre Clément et son père ce n’était pas tous les jours rose … Il y avait souvent des coups de gueule, des grandes leçons de morale à deux balles lancées telles des couperets : « Tu verras quand tu seras grand ».
Et tout est dit …

Mais Clément est mort … à 13 ans. C’est insensé. Mort juste avant de voir ce qu’est grandir, juste avant de se heurter à son père parce qu’il lui trottait en tête de devenir musulman … Mort avant de pouvoir séduire la fille dont il s’était entiché et pour laquelle il voulait mourir, se jeter sous un bus roulant vers lui pour lui prouver son amour …

S’ensuivent alors de dangereux questionnements … Aurait-il joué la scène du suicide dans sa tête avant le drame ?couverture tu verras

L’auteur s’intéresse à cette mort programmée et scrute à travers une écriture subtile mais dérangeante les tréfonds de cette âme d’ado fragile.

La couverture du roman est blanche, immaculée, comme l’évocation d’une mort d’enfant. Blanche, aussi peut-être pour évacuer les pleurs du lecteur, le désespoir vers lequel le récit conduit celui-ci.

Cependant, bien que désespérant, ce récit n’attire jamais la compassion, curieusement. Peut-être parce l’on est plus porté par ce père qui cherche à comprendre le geste de son fils et se sent un peu coupable de n’avoir pas saisi le fléchissement de celui-ci vers l’abîme, le désastre, la fin …

Et l’auteur de terminer de manière inattendue cette descente en enfer d’un père qui échoue à Ouagadougou à la recherche d’un marabout qui l’aiderait à guérir de ses souffrances …

Fort, embrouillé parfois, troublant aussi.

Tu verras de Nicolas Fargues, Éditions P.O.L.

Article publié par Catherine le 2 mars 2011 dans la catégorie Grand vin
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Comestible ?

Infinis – John Banville

Présentation de l’éditeur :

Adam Godley, un brillant mathématicien – spécialiste de l’infinité des infinis, et de la possibilité d’univers parallèles – repose dans sa chambre, au seuil de la mort. Autour de lui, dans une maison à l’atmosphère oppressante, le veillent sa deuxième épouse, sa fille – une adolescente fragile -, son fils, accompagné de sa femme, Helen, une comédienne à la beauté troublante.
En un jour, en un lieu, ce monde mortel et imparfait va recevoir la visite invisible des dieux de l’Olympe, des dieux à l’esprit facétieux, qui vont se plaire à prendre la place des humains pour satisfaire leurs désirs illicites. Zeus, follement épris d’Helen, se fera passer le temps d’une nuit pour son mari afin de jouir de ses charmes. Puis en prenant l’apparence de Rody, le fiancé de la fille d’Adam, il poursuivra son œuvre de séduction.
Hermès, le fils de Zeus, est le narrateur espiègle de cette tragi-comédie ensorcelante, qui évoque le Songe d’une nuit d’été, en illustrant la folie de l’amour et des actes qu’il peut nous pousser à commettre. Hermès se déguisera lui-même en fermier pour conquérir l’une des servantes, sans se soucier des conséquences. Ainsi la présence des dieux va bientôt faire exploser les tensions jusque-là silencieuses, exaspérer les drames, tandis qu’Adam, toujours mourant, revit dans son esprit le souvenir de ses années passées.

Mon avis : Dès le début, j’ai senti des démangeaisons un peu partout. Après une petite soirée de lecture, je me suis vu dans un miroir, et là, horreur : j’étais couvert de boutons jusqu’à la voute plantaire. Je faisais une allergie grave. Après hospitalisation et traitement suivi, je me suis parfois replongé avec prudence dans ce livre pour comprendre, je veux dire pour comprendre la raison de ces pustules.

couverture infinis

Le style m’a semblé un peu lourd et appuyé, comme s’il fallait faire entrer de force des idées dans les petites têtes de lecteurs. Un rien alambiqué. La traduction n’a sans doute rien arrangé, et si, peut-être, la version originale avait un charme littéraire à l’anglaise, la version française manque de grâce et de poésie.  Le propos est attaché au détail, à l’objet, et aux mouvements. Il y a des égarements, des descriptions futiles. On s’ennuie très vite et se perd dans cette écriture factuelle, où les personnages se regardent, bougent, se grattent le nez, le dos. Souffriraient-ils eux aussi, comme moi ?

Autre déception, la présentation annonce une histoire fantastique, où des Dieux prennent la place des hommes. Je m’attendais dès lors à un récit où le magique et le merveilleux priment, où tout est possible, et en apogée une philosophie divine et incantatoire. Et que nenni ! Ces dieux sont humains, assez banals.

Un ouvrage que je destinerai plutôt aux lecteurs qui aiment la sophistication. Moi je n’ai pas accroché du tout.

Extraits :

“De quelle casuistique sont-ils capables, même les plus naïfs d’entre eux, quelles belles distinctions et discriminations ne vont-ils pas imaginer ? C’est ce qui ne laisse jamais de nous étonner, les montagnes qu’ils font de taupinières de leurs passions, alors que pendant tout ce temps leur vrai moi, leur moi sauvage, est accroupi derrière ces affleurements, parcourant les environs du regard, guettant le danger ou l’occasion, les prédateurs ou la proie.”

“Comment peut-il être soi, et les autres être les autres, puisque les autres sont aussi des soi, pour eux-mêmes ?”

Infinis de John Banville. Éditions Robert Laffont

Article publié par Noann le 1 mars 2011 dans la catégorie Comestible ?
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Cru bourgeois

Le divorce français – François de Closets

Les élites contre le peuple……Le peuple contre les élites !
Dans son dernier livre, François de Closets met en lumière le manque de discernement de nos élites politiques qui, depuis quarante ans, ont commis d’impardonnables erreurs dans la gestion du pays et de son patrimoine. En effet, pourquoi, par exemple, avoir construit des centaines de bombes atomiques, alors qu’une dizaine aurait suffit comme force de dissuasion pour garantir la paix ? Pourquoi, à leurs places, n’avons nous pas construit plus d’universités ? Pourquoi s’être fait prendre au piège du dernier choc pétrolier ? Pourquoi cette dette honteuse qui nous livre, pieds et poings liés, à la banque européenne ? Pourquoi tant de morts sur nos routes ? Pourquoi cette impossibilité de moderniser et de sauver notre pays de la morosité économique ? Pourquoi ?… Les sujets sont vastes et variés.
La France broie du noir. Les français manifestent leur mécontentement du temps présent et leur inquiétude pour l’avenir. Ce pessimisme ne se nourrit pas de fantasmes mais de faits réels : pouvoir d’achat en berne, précarité grandissante, chômage en augmentation constante et remise en cause permanente des acquis sociaux…Qu’il s’agisse de productivité, de créativité ou de recherches, le pays ne cesse de régresser par rapport à ses voisins directs.couverture divorce français
Nous en serions arrivés là parce que la démocratie française s’est trouvée un jour paralysée par l’incompréhension et la méfiance régnant entre le peuple et les élites, à cause de toutes les erreurs perpétrées par le pouvoir dans le passé. Ce divorce entretient des querelles stériles, favorise de fausses solutions et s’oppose aux réformes nécessaires par la protestation systématique. Il trouve ses racines dans le manque d’analyse, de transparence et de concertation des élites vis à vis de la société française. A qui la faute ?
Les dossiers mis à jour et les enquêtes réalisées par l’auteur sont comme toujours empreintes d’une grande rigueur et les histoires qu’il nous narre sont ahurissantes et inattendues. Avec sa logique habituelle, il nous explique que ce divorce a assez duré. Quand il est impossible de se séparer, il faut savoir se réconcilier…
Même si ce livre est incontournable pour mieux comprendre les fautes graves commises par les représentants du pouvoir français, je l’ai moins aimé que « Plus encore », le best seller économique que ce grand journaliste a écrit précédemment et dont je vous ai déjà parlé, ici. Dans ce dernier ouvrage, il manque l’événement accrocheur, l’exploit enfin réalisé par notre élite pour nous redonner l’espoir de croire en des jours meilleurs !

Christian Défi

Le divorce français de François de Closets. Éditions Fayard

Article publié le 1 mars 2011 dans la catégorie Cru bourgeois
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Cru bourgeois

Une Mémoire en papier – Pierre-Marie Fenech

A l’âge de quatre ans, Pierre-Marie a perdu sa mère. On lui explique en quelques mots qu’elle est partie au “petit jardin”, et dans l’innocence de cet âge simple, il ne se pose pas plus de questions. Le petit Pierre-Marie se souvient plus des bateaux et de la Caravelle qu’il a emprunté avec son père, un des premiers avions à faire la traversée de l’Atlantique sans escale, en 1960. Et le temps passe, les maigres souvenirs s’estompent un peu. Jusqu’à ce jour, des décennies plus tard, où il tombe sur une correspondance entre son père et sa mère, qui l’éclaire sur elle, et sur eux, et lui donne une autre vision de lui-même. Elle est morte après des années de lutte, pudiquement, d’un cancer, dont lui-même, Pierre-Marie, pourrait avoir été un catalyseur. Commence alors une quête de sens dont le lecteur est le témoin.

Mon avis :

Dans les premières lignes, on perçoit tout de suite le côté moi-je, appelé techniquement “autobiographie”.

J’ai pensé aux innombrables égarements dans le domaine. Neuf manuscrits sur dix qui arrivent chez les éditeurs sont de ce type. A priori pour l’auteur, écrire un livre sur soi est chose aisée. Il suffit de puiser dans sa mémoire. Et c’est là que réside un des pièges du genre. L’auteur se fait plaisir, remue sa mémoire, parle de soi. C’est très exaltant, sauf que… le lecteur n’a pas du tout la même perception. De plus, le mode “moi-je” peut rapidement devenir ennuyeux, voire narcissique. Ainsi donc, la plupart des livres du genre ont peu de succès, hormis quelques exceptions, comme les livres d’Eric Fottorino, ou “L’étudiant étranger” de Labro.couverture une mémoire en papier

Exception aussi, les livres sur les stars. On imagine bien qu’un livre comme “j’ai vu la lumière”, par le fantôme de Claude François, connaisse un succès fulgurant, de même que “Suicide mode d’emploi” par Mike Brant. En revanche, pour un inconnu, captiver le public sur ses émois personnels représente un véritable défi. Pierre-Marie va-t-il éviter les écueils du genre ? Fort subtilement, il a fait un mélange de réflexions personnelles bien menées, de faits passés, et de lettres. Ceci est un choix judicieux, qui permet de faire une digression au moi-je, qui devient cependant un autre moi-je, celui de la maman ou du papa. Quoi qu’il en soit, il y a bien une diversification des modes narratifs, qui permet de tromper l’ennui.

L’écriture est sobre, l’auteur évite quelques erreurs de débutants : l’emphase, l’excès, les effets de style alambiqués. Des mots simples , dans un style agréable à lire, sans chichis et manières. Les lettres sont elles aussi dans le même style, et je me suis demandé parfois si c’était bien la réalité, et si ces lettres n’avaient pas été écrites par l’auteur lui-même… ou récrites. Il y aurait donc une part de romance ? L’auteur affirme ceci sur son site : “Cette histoire doit être comprise comme vraie et fausse à la fois, témoignage ou autobiographie tout autant que roman”. Voilà donc une clé… Quoi qu’il en soit, ce voyage est intime mais aussi très personnel. En ce qui me concerne, si j’ai été touché, je me suis senti parfois en dehors de ces vieilles histoires de famille (j’ai déjà fait cette remarque sur d’autres livres). Je réserverai plutôt ce livre aux amateurs de récits intimistes. En revanche, je garderai un œil sur les œuvres futures de l’auteur. Je remercie l’éditeur de m’avoir fait parvenir ce livre, ainsi que BOB.

Une Mémoire en papier de Pierre-Marie Fenech. Mon petit éditeur

Article publié par Noann le 24 février 2011 dans la catégorie Cru bourgeois
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Grand vin

Un jardin sur le ventre – Fabienne Berthaud

Une mort, celle de l’épouse usée, d’un despote. Les enfants arrivent à la hâte pour lui rendre hommage pour son dernier voyage. Ils ont perdu cette mère courage mais aussi tout espoir de rapprochement avec le père arrogant, violent, cruel. L’une des filles (la narratrice) tente de reconstituer le puzzle de la vie atroce, du calvaire, de cette mère adorée, brimée, enfant par sa propre mère.

Un récit autobiographique qui exhale un parfum amer, à travers une écriture précise, limpide. L’auteur donne la parole à sa mère, la ressuscite,  et ce sont des mots d’une grande intensité, des mots forts, sincères, sans artifice.couverture un jardin sur le ventre

L’histoire d’une vie détruite, de l’amour qui s’effrite, s’émousse puis disparaît, d’un homme abject devenu veuf à la place de l’autre, partie trop tôt, partie de trop, celui-là même qui ne supporte pas le vide engendré par le deuil.

Aussi d’incompris qui se débattent dans leur souffrance mais se taisent, de regrets qui restent à jamais suspendus à l’âme, de départs, de retours, de vie, de mort … avec, en toile de fond, un bruissement d’ailes, le bruit de la rue, le clocher qui sonne le glas …

Des bouts de vie que chacun connaît livrés ici en toute simplicité, avec beaucoup de pudeur. Il n’y a guère d’intrigue exaltée, seulement des sentiments, des ressentis, des révoltes, des joies et des tristesses que l’on traverse en se laissant porter par le naturel et la fluidité du style. On se prend même à remuer un peu ses propres souvenirs …

On referme le livre secoué d’émois …

Un jardin sur le ventre – Fabienne Berthaud, Editions JBZ & Cie

Article publié par Catherine le 21 février 2011 dans la catégorie Grand vin
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Cru bourgeois

Le trottoir au soleil – Philippe Delerm

J’avais juste le temps d’aller chercher une boisson et un livre, avant mon rendez-vous chez la coiffeuse.Ce qui est gai chez la coiffeuse, c’est qu’on peut lire un bouquin, ce qui est évidemment plus difficile chez le dentiste ou l’ORL, sans parler de l’ophtalmo…

Je me suis engouffré dans une boutique de la galerie commerçante, j’ai vu une table basse, avec des piles, dont un grand nombre de “Musso” et “Lévy”, et aussi une pile “Delerm”. J’ai fait confiance aux deux noms, celui de l’auteur et celui de l’éditeur.

J’ai donc arpenté ce “trottoir au soleil” avec la tête bien shampouinée. Tout compte fait, le salon de coiffure n’est peut-être pas l’endroit idéal pour lire. Derrière-moi s’affairait une demoiselle aux cheveux trop foncés. Elle devait être blonde à l’origine.

– Vous lisez beaucoup ?

– 2,8 livres par semaine…

– Waw, tout ça ! Et vous faites comment pour le 0,8 ? Est-ce que vous vous arrêtez à la page 80 quand le livre fait 100 pages ?

– Non pas vraiment, c’est une moyenne… 150 livres par an, divisé par 53 Mais je ne les termine pas tous. J’ai ce défaut, je coupe parfois.couverture le trottoir au soleil

Je tentais d’entrer dans ce livre, en dépit du bruit et du mouvement. Ce qui m’a surpris d’emblée, c’est l’usage intensif du pronom ‘on’. Je n’aime pas les ‘ons’. Ils me font penser à ces émissions télé de Ruquier, ou à certains films. ‘on’ est le pronom indéfini, celui qui désigne tout et rien, le mot passe-partout, sans valeur, que tous les écrivains évitent comme la peste. Delerm lui s’en fout. C’est une gloire. Il a envie d’en mettre cinq dans une phrase, et il le fait, sans honte.

– Moi, fait la coiffeuse,  j’aime bien Guillaume Musso.

– Vous avez raison, c’est émouvant et distrayant. On ne s’ennuie pas une seconde.

J’aurais bien déposé ce livre dès les premières pages, mais je m’ennuyais, j’ai donc poursuivi la lecture, feutre en main, une barre pour chaque ‘on’. Résultat : à la page 100, j’en avais compté 232, avec un maximum de 15 sur une page. C’est à ce moment-là que ma coiffeuse a terminé son travail. Je suis rentré chez moi et ai repris la lecture depuis le début, en m’efforçant de voir sous un autre jour, et ma foi, ce fut une lecture bien agréable…

Bien agréable mais hétérogène, car on (contagieux) passe par des moments de bonne littérature, des paragraphes poétiques, d’autres plus académiques, et on revient à d’autres plus sommaires. Quelques passages intéressants et touchants, et puis de l’écriture au shampoing. Assez disparate donc. Un livre fait de tout petits plaisirs. Il nous balade dans Paris, puis s’éloigne, avec des excursions jusque Bruges. Balade dans les souvenirs de l’auteur aussi, ses anecdotes d’écrivain. Fil conducteur ténu qui se brise et se renoue. De beaux moments, mais des chapitres perfectibles.

Extraits :

“Disparaitre. Il y a plein d’endroits pour ça, des bancs, des marches. La terrasse des cafés reste un endroit privilégié. Un peu d’âge aide bien. On ne fait plus partie du jeu sexuel, on ne suscite pas encore la pitié, on n’embête plus l’espace avec la virtualité du désir. Alors on peut se fondre, et on devient.”

“Il y a un grand plaisir à lire les amers. Léautaud, Renard, Cioran, Pessoa. Ils sont tellement négatifs, sur eux-mêmes et sur les autres, et sur la farce d’être là. Ils écrivent très juste, très sec, et la sveltesse de leur phrase est comme une évidence : ils ont raison. Avec eux on se sent à l’abri. Rien ne peut faire mal, puisque tout fait mal. Ils débusquent partout l’hypocrisie, la vanité des émotions.”

Le trottoir au soleil de Philippe Delerm. Gallimard

 

Article publié par Noann le 20 février 2011 dans la catégorie Cru bourgeois
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vin de table

L’écrivain de la famille – Grégoire Delacourt

Édouard a 7 ans. Édouard a 18 ans. Édouard a 30 ans. Le point commun entre tous ces Édouard(s) ? Ils aiment écrire. Autre point commun, ils ont du mal à trouver leur voie. Que peut-on faire quand on veut écrire mais qu’on n’est pas un bon poète ni un bon romancier ? Devenir journaliste, créer un blog  ou encore : devenir rédacteur dans une agence de publicité. Voilà donc un chemin intéressant à suivre. Ses parents croient en lui et en son talent, depuis qu’il a écrit trois rimes naïves, mais le garçon ne trouve pas son bonheur. Après des études de compta avortées, il accepte volontiers et avec un certain enthousiasme la proposition d’un directeur d’agence, à Bruxelles une fois, convaincu par les slogans d’Édouard :

“L’eau ne tombe pas du ciel. Ne faites pas aux animaux ce que vous ne voudriez pas qu’ils vous fassent…”

couverture de écrivain de la famille

La famille d’Édouard est une famille comme toutes les autres, avec ses conflits et ses souffrances. Les parents tiennent un commerce. Le père est dépressif chronique, il fait des séjours en hôpital, puis retourne vivre chez sa mère. Sa femme est plutôt volage. Le frère a lui aussi un grain, qui le poussera à l’irréparable. La sœur tombe enceinte d’un type qui la largue dès la nouvelle annoncée. Il y a aussi quelques personnages secondaires intéressants. Bref, tout ce qu’il faut pour faire un petit roman à rebondissements et à facéties. En fait de roman, ne serait-ce point une biographie ou une autofiction ? L’auteur est en effet “publicitaire” comme l’anti-héros de ce livre, et ce n’est pas la seule analogie. On sent qu’il y a du vécu.

Alors, hum, mon avis : J’ai passé de bons moments de lectures, plongé dans les aventures de cette famille assez banale finalement, mais décrite avec une ironie féroce. Elle devient truculente sous la plume de l’auteur, qui sait magnifier des points de détail et utiliser l’anecdote. Toutefois je n’ai pas été 100 % enthousiaste. D’abord, il y a les pièges et limitations du genre, un récit à la première personne, où l’auteur se fait plaisir en racontant ses souvenirs. Et puis des citations, ces slogans publicitaires décalés, des extraits de chansons qui tombent à plat. Passe pour Cabrel. Mais pour Daniel Guichard… Bof. Pourquoi pas Sheila et Ringo tant qu’on y est…

Un premier livre pas vraiment mauvais, mais pas innovant. J’ai trouvé qu’il aurait pu aller plus loin, dans les sentiments ou les doutes. L’auteur passe à côté d’émotions positives ou négatives que ressentent, en principe, tous les créateurs, et il reste finalement assez factuel. Les émotions décrites sont cent fois inférieures à celles que je ressens, en tant qu’auteur, époux, amant, fils, etc. Je dois me faire une raison. Nous sommes en 2011. Époque du gsm, ipad et ipet. Époque de pauvreté intellectuelle et spirituelle. Il faudra que j’arrête de reprocher aux écrivains d’être moins sensibles que moi. Paul Desalmand disait : “la profondeur ça ne s’apprend pas…” Et voilà, tout est dit. Heureux de vous avoir connu, Mr Delacourt !

Et puis, c’est quoi cette invasion de l’industrie du tabac dans les livres ? Le gouvernement ferait bien d’interdire la cigarette dans les arts, au lieu de voter des lois débiles imposant des images terribles sur les paquets !

L’écrivain de la famille de Grégoire Delacourt. Éditions JC Lattès

Article publié par Noann le 17 février 2011 dans la catégorie vin de table
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Dessin de Jordi Viusà. Rédigé par des lecteurs passionnés