Comestible ?

La métaphysique du Hors-jeu – Laurent Sagalovitsch

Simon Sagalovitch a fait un séjour au Kanada, où il a trouvé une compagne qui lui fait oublier son désarroi existentiel. Mais voilà que sa sœur Judith, gravement névrosée, suicidaire invétérée, lui réclame des soins. Et notre brave Simon se rapplique en France au chevet de Judith. Il est rattrapé par de vieilles amertumes dans cette ville, capitale de l’antisémitisme selon la quatrième de couverture (!), il ressasse la déportation, la Shoah, les camps, dans des cauchemars violents. Il fréquente aussi un rabbin déjanté avec qui il a des discussions savoureuses autour de Dieu, du sexe et de toutes sortes de choses. Dieu, justement, vient à la rescousse pour sauver ce roman de l’ennui et donner une nouvelle vocation à Simon : aller sur les catastrophes porter assistance… Mais Simon n’est pas un homme ordinaire, il réagit à sa façon, maudit ces accidentés qui manquent de dignité…

couverture de la metaphysique du hors jeu

Alors, mon avis… L’auteur cite en préambule Lautréamont et son célèbre ‘chants de Maldoror’… “J’établirai dans quelques lignes comment…” et cette phrase revient comme un leitmotiv. Mais outre cette citation, il semble subjugué par l’écrivain, dont il fait quelques emprunts de style et de ton. Quelques phrases parfois alambiquées expriment bien toute l’ambiguïté et la complexité du personnage. Et le ton qui est celui de l’amertume, que l’auteur a toutefois ponctué de dérision et …peut-on dire d’humour ? sous un certain angle certes. Laurent Sagalovitsch ne se prive de rien et laisse courir son tempérament débridé, ne se privant d’aucune ressource de l’écriture. Quand il a envie d’exprimer une idée en trois mots, il le fait, s’il faut quatre pages, il le fait aussi. Il vous envoie balader son personnage de 1940 à nos jours en passant par les années 70 et 80, il le fait courir sans vergogne d’un bout à l’autre du monde, le maltraite, le rend odieux, véhément. Liberté d’expression que l’on peut juger licencieuse voire iconoclaste, et même irrévérencieuse, car décrire Varsovie ou Auschwitz comme des lieux de villégiature ne manquera pas de donner de petits boutons à certains lecteurs.

Alors finalement, qu’en penser ? Âpre, difficile à cerner, le personnage de Simon ne laissera pas indifférent. On ne peut qu’être chahuté en suivant ses pérégrinations. Ce roman étrange peut être lu de moult façons. C’est sans doute ce qui fait son intérêt. C’est aussi ce qui peut décevoir. En ce qui me concerne, j’ai eu du mal à percevoir sa finalité, sa philosophie. Mais je continuerai à y repenser encore longtemps, et je replongerai dedans, et sans doute y découvrirai-je toujours de nouveaux aspects. Ai-je aimé ? Je ne sais pas. Je le saurai peut-être dans dix ou vingt ans. Ou jamais.

Extrait (Simon sur les lieux d’une catastrophe, un accident de train…) :

“Quel désolant spectacle se déroulait à mes pieds.

Un manque total de dignité. Une prestation en tous points affligeante. Consternant.  Ils ressemblaient à l’équipe de France sous l’ère Domenech. Les mains sur les hanches, se demandant encore où ils avaient pu merder. Une bande de pleutres, de théatreux unijambistes, égarés dans l’antichambre de l’Actors Studio. Ils ne pouvaient pas afficher un peu de retenue ? d’aplomb ? de classe ? de raffinement ?  A les regarder se tordre de gémissements à même le sol, je pensais qu’ils n’auraient pas tenu une seconde dans les wagons plombés assurant la liaison quotidienne entre Drancy et Dachau et seraient arrivés déjà raides comme la mort à la porte de la jolie colonie de vacances située cette année-là dans les faubourgs riants de Varsovie.”

La métaphysique du Hors-jeu de Laurent Sagalovitsch. Éditions Actes sud

Article publié par Noann le 26 janvier 2011 dans la catégorie Comestible ?
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Cru bourgeois

Cet été-là – Véronique Olmi

Trois couples se retrouvent au bord de la mer pour le 14 juillet, comme toujours, depuis des lustres. Mais la vie a avancé, les enfants ont grandi et l’émail des beaux jours se fendille, les liens amoureux s’émoussent. Le chaos est proche …

Voici une histoire de sentiments violents entre quinquas et quadras qui tournent, louvoient et s’enlisent soudain.

Sur le sujet banal du temps qui passe et des désirs enfouis, l’auteur nous livre un mélodrame doux-amer, à travers une écriture simple, fluide, épurée. Elle nous convie dans ce bout d’été qui devait couler comme les autres … Pourtant, survient l’inattendu qui va entraver le roucoulement de ces vacances paisibles et ternir les relations entre les protagonistes, voire faire naître l’amertume, jusqu’alors ténue.couverture de cet été-là

Et on s’accroche à ce récit pourtant banal de vacances qui finissent sous le pâle soleil des sentiments qui s’éteignent peu à peu.

L’auteur analyse avec brio les relations de groupe, où chacun apparaît tantôt serein tantôt plus tendu, puis les échanges intimes entre quatre yeux. Avec pudeur, elle sonde les plaies de l’âme de chacun des personnages, les rendant émouvants et attachants.

De joies simples en discussions futiles, tout ce petit monde superficiel et insouciant trouve son compte dans le rituel quotidien des repas bien arrosés, des rires, des échanges factices … Mais derrière tout cela se cache détresse et inquiétude larvée qui resurgit dans les cœurs lorsque les chandelles s’éteignent et que chacun retourne chez soi …

Alors, le carnaval s’arrête tandis que l’aigreur et le vide s’installent …

Cet été-là – Véronique Olmi, Editions Grasset

Article publié par Catherine le 24 janvier 2011 dans la catégorie Cru bourgeois
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Grand vin

Mal de pierres – Milena Agus

Hier, après avoir publié ma critique de son dernier roman paru, j’ai retrouvé “Mal de pierres”, de Milena Agus. Il était enfoui dans une pile de livre et est réapparu à la faveur d’un grand rangement. Hasard étrange vu le nombre de livres qui reposent ici… plusieurs centaines. Il y en a partout ! Cette fois, je suis sous le charme. “Mal de pierres” est quasiment le négatif de “quand le requin dort”, point de vue écriture du moins, qui est ici plus aboutie, plus concise, plus agréable. Quant à l’histoire et la façon dont elle est traitée, on reconnait bien l’auteure sarde.

Une jeune femme parle de sa famille qui vit en Sardaigne depuis des générations, de ses parents et surtout de sa grand-mère. Celle-ci a du fil à retordre avec les hommes, qui semblent la fuir comme un fruit pourri… ou trop mur. Elle est le désespoir de sa famille et décide finalement d’épouser un homme qu’elle n’aime pas, client de maisons closes, comme tous les hommes de ce court récit. Grand-maman est malade, elle a le mal de pierres, des calculs aux reins. mal de pierresElle part en repos et rencontre un homme estropié mais beau, et surtout très attentionné. Il la voit comme aucun autre ne l’a vue, de l’intérieur. Peu à peu ils se découvrent, se racontent, se dévoilent. C’est la période de l’après-guerre. L’amant, le “Rescapé” comme elle l’appelle, a été déporté. Il est revenu une jambe en moins, accompagné de la fille d’un compagnon d’armes défunt… Sans doute est-elle le fruit d’une graine allemande, un viol peut-être. Les deux amants se confient peu à peu.

J’ai trouvé ce petit roman (mais où est la part de réalité et de fiction) bien ficelé, souvent touchant. Pas d’effet spectaculaire, mais une ambiance, avec en toile de fond la Sardaigne, ses plages de sable fin, ses bateaux suspendus à la mer… C’est aussi ce qui manquait à “quand le requin…”, le contexte. Et les personnages sont cette fois plus émouvants dans leur pauvreté assumée, leur simplicité, leurs traditions bousculées, leurs relations ambiguës…

“Elle n’avait pas envie de manger, ni de se soigner, parce qu’elle sentait bien que de toute façon elle ne guérirait pas et n’aurait jamais d’enfants. C’étaient les femmes normales qui avaient des enfants, les femmes joyeuses, sans vilaines pensées, comme ses voisines de la rue Sulis. Dès qu’ils se rendaient compte qu’ils étaient dans le ventre d’une femme dérangée, les enfants fuyaient, comme tous ses fiancés.”

Mal de pierres de Milena Agus. Éditions Liana Levi – le livre de poche

Article publié par Noann le 22 janvier 2011 dans la catégorie Grand vin
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Grand vin

Le pays de l’absence – Christine Orban

Pour son dixième livre (si je compte bien…), Christine Orban évoque la relation compliquée avec sa mère, faite d’un amour profond dont les tensions ne sont pas absentes. Au fait, j’ignore s’il s’agit d’un récit autobiographique (la présentation parle d’une fiction) , mais quoi qu’il en soit, l’on sent une forte teneur émotive enracinée dans le vécu.

Cette maman n’est décidément pas simple ! Le temps, dont on pourrait espérer qu’il embellit les êtres, possède la mystérieuse faculté d’exacerber leurs traits de caractère les mieux enfouis. Il y a aussi la maladie. Même si la pathologie n’est annoncée qu’à demi-mots, cette septuagénaire semble souffrir d’un début d’Alzheimer… Elle en devient encore plus compliquée, plus difficile à comprendre.  Certes, ses relations avec sa fille n’ont jamais été simples. Plus jeunes, elles se sont jalousées, défiées. Les rôles s’inversaient. L’âge n’a pas arrangé la situation ! La maxime “plus on devient vieux plus on devient jeunes” prend ici tout son sens. La plupart d’entre nous reconnaitrons cette tendance étrange qu’ont les personnes âgées à retomber en enfance, à devenir difficiles, égocentriques, capricieuses. Une simple sortie au restaurant devient un chemin de croix. D’abord, resto ou plateau-télé ? Maman pèse le pour et le contre, change d’avis cent fois. Finalement ce sera le resto, mais voilà qu’elle bougonne, traine la jambe, perd sa chaussure. Elle commande un plat qu’elle n’aime pas, se met à chantonner. Elle n’épargne rien à sa fille, dont l’amour se ressent à chaque ligne, une mansuétude qui n’arrange finalement rien. Maman en profite…le pays de l'absence

J’ai découvert Christine Orban avec ce livre (honte à moi !), et j’apprécie cette auteure qui sait manier la plume avec délicatesse et une économie de mots :

“Et si vieillir était devenir ce que l’on est en pire ?”

“Parfois, elle s’arrêtait ainsi de vivre, suspendue entre deux mondes”

Une écriture chargée d’émotions mitigées, entre tendresse et dérision, mais qui sait être lucide et critique :

“Le vide a rempli le cerveau de ma mère ; elle flotte dans le temps, elle flotte dans l’espace, elle est là et elle n’est plus là.”

Le récit m’a souvent touché. En revanche, pour l’apprécier il faut être sensible à cette voix  unique et monocorde, sans fard, toute simple. Ouvrage intimiste et personnel, qui me semble réussi dans ce genre littéraire difficile.
Si j’en crois Julien Green, pour qui  le talent est l’art de rendre insolites et intéressantes les choses les plus banales (cfr Memories of happy days), alors du talent Christine Orban n’en manque pas.

Le pays de l’absence – Christine Orban. Éditions Albin Michel

Article publié par Noann le 21 janvier 2011 dans la catégorie Grand vin
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vin de table

Quand le requin dort – Milena Agus

La famille Sevilla-Mendoza vit en Sardaigne depuis des lustres. Nous la découvrons ici par petites bribes, sous la plume de la narratrice, une fille qui sort de l’adolescence. Celle-ci entame une relation avec un homme ambigu. Dans les rapports de cette fille entre une part d’inavouable, elle cite même le mot S-M (sado-maso et pas salle-à-manger), sans approfondir, heureusement ! Il y a aussi la mère, un peu paumée, le père qui rêve d’horizons lointains, et la tante, qui vit des amours trébuchantes, car il est souvent question de sexe dans ce roman, par allusions, cette ‘mystérieuse force qui fait tourner le monde’, selon les mots de l’auteure. C’est une famille à la fois traditionnelle et ouverte, qui parle assez librement et se pose la question de l’existence de Dieu, avec un brin de superstition assez italienne. Et l’auteure nous embarque dans une narration, avec un certain doigté, patiemment, elle nous fait entrer dans cette famille échevelée.

Alors, je n’ai pas été follement emballé, à commencer par le style. Certes elle a 18 ans, et écrit comme une JF de cet âge, de ce point de vue, c’est réussi, mais… Quelques phrases m’ont parfois rebuté. Une certaine hétérogénéité, des phrases parfois simples, parfois tordues, des métaphores animales très curieuses (l’amant est véto) où l’on se compare à toutes sortes de bestioles. Très bizarre… La traduction n’a certes rien arrangé, et j’ai eu l’impression que des expressions idiomatiques étaient traduites mot à mot…quand le requin dort

Et puis ces gens dont on ne sait s’il faut les plaindre ou les maudire, et cette fille difficile à percevoir. Certes elle a 18 ans, mais… Pas encore femme et plus enfant, un caractère assez fuyant. Elle se laisse mener par cet homme peu respectueux, et on a envie de la secouer. Les personnages n’ont pas suscité en moi grande sympathie ni empathie.

Je crois que le principal défaut de ce roman est que l’on ne sait pas où l’auteur nous mène. Il manque un peu d’intention, de force de conviction. Après, un certain lectorat pourra sans doute se laisser séduire par quelques idées dans l’air du temps. L’homme violent et la femme soumise, un grand classique réchauffé au micro-ondes, et qui séduit toujours un certain public.

Je note aussi que ce roman est en fait son premier… Il a été publié suite au succès de “Mal de pierres”, ce qui prouve une fois de plus que les éditeurs publient des noms, et pas des titres. Il faudrait tout de même estimer un livre pour ce qu’il est , et pas pour le nom de l’auteur, ou ses précédents ouvrages.

“Je lui ai dit tout de moi, mon histoire sexuelle sado-maso. Et il m’a prise dans ses bras et m’a dit que si j’ai accepté des choses comme ça c’est parce que alors j’étais un adorable scarabée stercoraire, mais maintenant je suis un autre animal. (*)”

(*) heureusement !

Quand le requin dort de Milena Agus. Éditions Liana Levy

Article publié par Noann le 20 janvier 2011 dans la catégorie vin de table
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Grand vin

Le cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates – Mary Ann Schaffer et Anne Barrows

Maintes fois croisé en librairie, conseillé par l’entourage, feuilleté … et, après moult hésitations, je me suis enfin décidée à faire l’acquisition de ce roman.

Je me suis tout simplement régalée …

Londres, 1946, Juliet triomphe … C’en est fini de la guerre et de ses peurs, ses restrictions, ses attaques aériennes. Mais surtout Juliet va pouvoir délaisser enfin  la plume futile et légère avec laquelle elle relatait les aléas de la guerre … Elle reprend son vrai travail d’écrivain. Au fil du récit, ce sont les hasards de la vie et les échanges de correspondance qu’elle entretient avec un inconnu, membre d’un cercle littéraire au nom pour le moins curieux et à l’histoire tout à fait originale qui vont changer sa vie …cercle-litteraire

Les lettres s’enchaînent, tantôt émouvantes, tantôt frivoles, mais toutes porteuses de sentiments forts.

Peu à peu on entre dans l’intimité des personnages et on est touchés par leur quotidien peu banal, les aventures qu’ils vivent et affrontent tous avec leur humour, leurs faiblesses aussi.

Un récit dénué d’action et d’intrigue … Mais pourtant un roman mené d’un bout à l’autre avec force et finesse.

On suit les péripéties excentriques de ces personnages, tous attachants, tandis qu’ils nous invitent à un voyage dans leur âme parfois joyeuse, parfois morose mais toujours sincère.

Par une forme d’écriture très particulière – il s’agit uniquement d’échanges épistolaires – les auteurs ont laissé les personnages construire cette histoire intense et pleine de folie.

A lire sans tarder …

Le cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates – Mary Ann Schaffer et Anne Barrows, Editions 10/18

Article publié par Catherine le 15 janvier 2011 dans la catégorie Grand vin
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Cru bourgeois

Le cercle des cendres – Balthasar Thomass

Comment  Friedhart est-il arrivé à ses fins ? Comment a-t-il séduit cette femme plus jeune que lui, mariée, mère d’un jeune garçon de dix ans pour devenir son amant et plus encore puisqu’il s’installe dans cette famille de Munich, formant un ménage à trois et brisant en cela le peu d’harmonie qui existait encore entre la mère et le père.

Le jeune garçon a grandi et se souvient …

Lorsque Friedhart meurt, le jeune homme se penche sur son vécu et tente de remettre en place les lambeaux de sa vie, de son enfance brisée par une famille décousue, sous le joug de la culpabilité nazie.couverture le cercle des cendres

Les chapitres virevoltent, s’enchaînent et on découvre les multiples facettes de Friedhart, personnage hors du commun, traducteur, gandin littéraire, séducteur frénétique mais aussi homme désespéré fuyant le lourd passé de sa famille nazie, en se réfugiant dans un projet démesuré : construire de ses propres mains une maison de rêve sur l’île de Lanzarote.

Et on ne sait quels fantômes il poursuit …

A travers ce jeune homme devenu adulte, aux tendances suicidaires, on voit défiler toute la génération des années 60, avide d’émancipation quitte à se perdre, s’autodétruire.

L’auteur met tout son cœur à donner une littérature envoûtante, dans un style éblouissant et fort.

Un récit étrange, saisissant, qui vous cloisonne dans les spirales de la mémoire et vous invite à suivre le héros dans sa quête du passé …

Poignant …

“J’avais mes réserves. J’avais choisi de vivre ici et je m’étais convaincu que le français était la plus belle des langues. J’étais tombé amoureux d’une Française, et avec elle amoureux de la langue française, alors qu’en réalité peut-être étais-je simplement tombé amoureux de mes propres déclarations d’amour. Cette langue avait pour moi encore un certain exotisme, un souffle, une sensualité, un parfum qui m’attiraient. Je pensais que les mêmes mots – arbre, table, amour ou parole – devaient forcément avoir un sens plus noble, plus profond et plus délicat en français qu’en allemand, où l’on dit brutalement Baum, Tisch, Liebe, Wort, telles des pierres jetées dans un puits.”

Le cercle des cendres – Balthasar Thomass, Éditions Philippe Rey

Article publié par Catherine le 8 janvier 2011 dans la catégorie Cru bourgeois
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Grand vin

Un lézard au Congo – Gil Courtemanche

Le 6 avril 1994, les présidents du Rwanda et du Burundi meurent dans un attentat. Ce jour-là, c’est comme un signal, la dégringolade commence. Plus de 800.000 personnes sont massacrées à la machette. Le conflit déborde. Alors que des milliers de réfugiés s’installent au Congo, encore appelé Zaïre, des factions Hutu investissent également le pays. Parallèlement, une coalition menée par LD Kabila, constituée de milices Tutsi et ougandaise, prend le pouvoir. Kabila renverse Mobutu, en dépit de l’intervention de Mandela. La crise commencée en 1994 ne fait que s’amplifier. En 1998 le pays explose, et c’est la deuxième guerre du Congo, qui fait plus de 4 millions de victimes. Le règne de la terreur s’est installé, durablement. Terreur par les armes, par le viol. Les commerçants et notables s’entourent de groupes armés, souvent constitués d’adolescents désœuvrés. Ces groupes s’unissent parfois pour créer de nouvelles milices privées, qui règnent par la force.Un lezard au congo

C’est dans ce contexte de violence extrême que Gil Courtemanche a campé son roman. Une fiction très nettement appuyée par les faits, que l’auteur connait bien puisqu’il a été conseiller au bureau du procureur dans le procès de Thomas Lubanga, un criminel congolais. Il s’approprie ce personnage, et lui donne un nouveau nom : Thomas Kabanga. Kabanga est une sombre crapule, homme violent, pervers, manipulateur. Il est accusé de la mort de plusieurs milliers de personnes, par le biais de jeunes enrôlés de gré ou de force, encore enfants ! Le Tribunal pénal international (TPI) doit statuer sur son sort. Mais voilà que, contre toute attente, un juge anglais tatillon le relâche pour vice de procédure. Le TPI se veut parfait, sans reproche, un modèle universel de justice. C’est pourquoi un simple détail a permis la relax de Kabanga.

Au centre de ce récit, il y a Claude, juriste au TPI, homme solitaire et calme, épris de justice. Dans son bureau de La Haye, il fulmine. Kabanga libre, c’est non seulement une abomination, mais aussi un risque pour les populations locales, les accusateurs, les témoins. Il décide de filer à Bunia, à l’est du Congo, le fief de Kabanga.

Dès les premières lignes, on sent que l’auteur maitrise parfaitement son sujet. Il nous plonge dans une atmosphère poignante, à la limite de la suffocation. Son roman est bien documenté. Une autre qualité est sa simplicité d’écriture, le style épuré. Il résume en quelques mots la situation :

“C’est ainsi que les guerres se préparent. Un major qui dit à un psychologue que si lui et ses amis pouvaient prendre le contrôle des mines d’or, tout le monde serait plus riche”

“Le diplôme universitaire, peu importe sa valeur, confère automatiquement en Afrique le statut d’intellectuel à celui qu il le détient”

J’aime beaucoup cette économie d’effets dans le style, ce côté direct, sans chichi. Cependant, au fil de la lecture, mon enthousiasme s’est émoussé. En effet, après la décision de relax du TPI, le récit se recentre sur Claude et devient intimiste. Au départ volontaire et passionné, Claude se fait plus mou, envahi par les doutes. C’est finalement un personnage veule qui se rend au Congo. Le roman s’égare aussi souvent, dans les relations houleuses de Claude avec les femmes, ce qui ne manque pas d’intérêt mais éloigne de la cause principale. La tension dramatique est à son apogée au milieu du récit et elle redescend trop vite.  Dommage car c’eût pu être un chef d’œuvre.

“Cet homme est méchant, foncièrement teigneux. Il prend plaisir à dominer et à humilier sans raison apparente. La méchanceté m’obsède car c’est une forme de petitesse, de médiocrité, comme une saleté, une crasse de l’humain.”

Un lézard au Congo de Gil Courtemanche. Éditions Denoël

Article publié par Noann le 7 janvier 2011 dans la catégorie Grand vin
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Dessin de Jordi Viusà. Rédigé par des lecteurs passionnés