La porte des enfers – Laurent Gaude
La mort et la vengeance…
Nous sommes en Italie du Sud. Pippo a six ans lorsqu’il est victime, sous les yeux de son père, d’une balle perdue lors d’un échange entre deux bandes mafieuses. Nous sommes à Naples. Le père de l’enfant, Mattéo, va tout perdre : son fils, puis sa femme, Guiliana, terrassée par la douleur. Elle exige qu’il lui rende son enfant. Mattéo ne le peut pas. Elle s’en va.
L’errance de cet homme désespéré l’amènera à croiser la route de deux personnages pour le moins curieux, voire inquiétants. Le Professeur Provolone, passionné de mythologie, et Don Mazerotti, un curé peu banal. Ils finiront par convaincre Mattéo que l’Enfer existe, qu’on peut y descendre et en revenir.
Une histoire a priori délirante. Pourtant, Laurent Gaudé entraine bel et bien le lecteur aux Enfers pendant près d’une quarantaine de pages. On sort de cette histoire légèrement troublé, avec l’espoir, peut-être, que la mort n’est pas irrémédiable.
On en sort aussi admiratif. La porte des enfers est un excellent roman, palpitant, subtilement construit (même si l’ouverture est un peu déroutante), porté par des personnages solidement campés. L’auteur sait installer une ambiance convaincante y compris lorsqu’elle touche à l’impossible. L’écriture est talentueuse, c’est un régal… J’ai adoré.
Extrait
« Je me suis longtemps appelé Filippo Scalfaro. Aujourd’hui, je reprends mon nom et le dis en entier : Filippo Scalfaro de Nittis. Depuis ce matin, au lever du jour, je suis plus vieux que mon père. Je me tiens debout dans la cuisine, face à la fenêtre. J’attends que le café finisse de passer. Le ventre me fait mal. C’était à prévoir. La journée sera dure aujourd’hui. Je me suis préparé un café au goût amer qui me tiendra de longues heures. Je vais avoir besoin de cela. À l’instant où le café commence à siffler, un avion décolle de l’aéroport de Capodichino et fait trembler l’air. Je le vois s’élever au dessus des immeubles. Un grand ventre plat de métal. Je me demande si l’avion va s’effondrer sur les milliers d’habitants qu’il survole, mais non, il s’extrait de sa propre lourdeur. Je coupe le feu de la gazinière. Je me passe de l’eau sur le visage. Mon père. Je pense à lui. Ce jour est le sien. Mon père – dont je parviens à peine à me rappeler le visage. Sa voix s’est effacée. Il me semble parfois me souvenir de quelques expressions – mais sont-ce vraiment les siennes ou les ai-je reconstruites, après toutes ces années, pour meubler le vide de son absence ? Au fond, je ne le connais qu’en me contemplant dans la glace. Il doit bien y avoir quelque chose de lui, là, dans la forme de mes yeux ou le dessin de mes pommettes. À partir d’aujourd’hui, je vais voir le visage qu’il aurait eu s’il lui avait été donné de vieillir. Je porte mon père en moi. Ce matin, aux aurores, je l’ai senti monter sur mes épaules comme un enfant. Il compte sur moi dorénavant. Tout va avoir lieu aujourd’hui. J’y travaille depuis si longtemps. »
La porte des enfers – Laurent Gaude