A Namsos, en Norvège, David a perdu la mémoire. Ses proches tentent de réveiller des souvenirs. Jon a vécu une histoire charnelle avec David. Arvid, le beau-père pasteur, entretient avec David des relations tendues. Silje lui rappelle les jeux artistiques. La question est posée de la reconstitution de la mémoire.
D’abord, il y a David, qui place une photo dans un journal local, exhortant ceux qui le reconnaissent à se manifester. Viennent alors à sa rencontre trois personnages qui ont perdu tous leurs repères et qui profitent de cette occasion pour replonger dans leur passé et faire le bilan de leur existence. Ils racontent chacun à leur
tour leurs déboires sentimentaux, leurs crises familiales et chaque témoignage est entrecoupé de lettres ardentes à leur compagnon amnésique, qui devient le seul prétexte pour leurs règlements de compte avec le passé …
Puis surgit le témoignage de Jon, un musicien paumé, qui tente de se réfugier dans la relation amoureuse qui le liait jadis à David.
Claquemurés dans leurs vieux carcans, enclerclés par leurs démons, ils se débattent tant bien que mal pour se libérer du poids de leurs origines, de leurs souffrances et tentent de retrouver leur identité, de se réinventer une nouvelle identité même, afin de dissimuler les zones d’ombre de leur passé. Leur seul refuge est peut-être David, l’insaisissable, qui incarne à leurs yeux la folle liberté.
Un roman époustouflant – le premier tome d’une trilogie – qui laisse sans voix. L’auteur fait preuve d’une grande finesse littéraire et ses analyses psychologiques sur l’échec et la manipulation du passé sont poignantes. Il décrit le petit village de Norvège profonde où il a vécu, s’autorise des débordements sans jamais tomber dans la perplexité. Il dépeint à merveille les facettes multiples de ses personnages, tantôt soucieux d’aider David à retrouver les coins perdus de sa mémoire, tantôt désireux de se donner le beau rôle, de juger les autres pour se justifier de leur existence tachetée d’ombre, de leur perversité …
Cependant, il s’agit d’une œuvre ardue, difficile d’accès, qui demande un réel effort pour en apprécier toutes les nuances et d’assiduité pour en parcourir le cheminement intellectuel complet …
Encerclement – Carl Frode Tiller, Stock.
Article publié par Catherine le 28 mars 2010 dans la catégorie
vin de table
L’histoire débute par un long monologue chaotique. Gisèle, la trentaine, apprend que son compagnon, Damien, décide de rompre après cinq années de vie commune. Il n’a pas eu le courage d’annoncer la nouvelle lui-même ; il a délégué la corvée à son père, François (dont on apprendra plus tard qu’il s’appelle aussi Joseph). Entrée en matière sur le mode délirant, un peu déroutante mais, si le lecteur veut bien se laisser faire, la perplexité se transforme assez vite en curiosité pour la suite.
S’ensuit l’entrée en scène des trois autres personnages composant la famille brocardée par l’auteur. Volontairement caricaturaux, chacun d’entre eux va livrer tour à tour sa vision personnelle de l’affaire (la rupture), dévoilant ce qu’il est, ce qu’il n’est pas, ce qu’il voudrait être, ce qu’il n’a pas le courage d’être, etc. Un grand déballage de mensonges, d’hypocrisie, de fantasmes, d’égocentrisme, où perce néanmoins parfois, une franche lucidité.
« La rupture » apparaît ainsi comme un prétexte permettant à l’auteur de barbouiller de vitriol un tableau satirique de la famille et finalement, de lui régler son compte. D’Institution sacrée porteuse de valeurs et fondée sur l’amour, elle devient sous la plume acide et vigoureuse de Régis Jauffret, un creuset étouffant où les comportements et les relations hautement pathogènes se développent comme des champignons. Vénéneux bien sûr. Solange, la mère, possessive et castratrice, insupportable d’arrogance, est omnipotente. Le père, lâche et mesquin, est soumis à la tyrannie de son épouse et fait figure de pièce accessoire à peine tolérée ; le géniteur en tant que -mal nécessaire-. Damien, le fils, produit résiduel du décapage maternel, vampirise un milieu familial qu’il critique mais dont il profite ; veule, carriériste, insensible à tout, il est incapable d’une quelconque autonomie, incapable de grandir.
Asile de fous… famille de dingues fictive ? Au bout du compte, avec un petit effort d’imagination et de franchise, on pourrait bien, sous les traits forcés, reconnaître des situations et des individus familiers. Sous la caricature, l’impression de déjà vu…
On apprécie, ou pas. Mais dans tous les cas, on ne peut qu’admirer l’ingénieuse construction de ce roman dérangeant et le talent audacieux de l’auteur dont la jubilation caustique transparait à chaque ligne. On rit ; parfois-jaune- ; on grince des dents…mais à aucun moment on ne s’ennuie.
J’ai bien aimé.
ASILES DE FOUS Régis Jauffret – Ed. Gallimard
Article publié le 26 mars 2010 dans la catégorie
Grand vin
“Son visage était bleu, tuméfié – visage de martyr qui respirait à la fois, aussi absolues, la connaissance et l’innocence. Philippe, né à 13h10, mort à 15h20, tu as eu deux heures pour accomplir ta vie d’homme, en faire le tour… moi j’ai eu deux minutes pour être mère. Enfant défunt, mère défunte.”
Camille Laurens écrit avec brio sa tragédie la plus intime de femme, la mort d’un enfant, le premier, qui a eu tout juste le temps de naître et de connaitre la souffrance. C’est cette mort qui va l’amener à l’écriture, auto-biographie et autofiction.
Tout est dit en quatre-vingts pages. Il n’en fallait pas plus à cette brillante auteure pour exhumer le désarroi, mener l’enquête, décrire les sentiments, donner des extraits de rapport d’expertise. C’est dit avec force et sans cri, ce qui rend cette tragédie d’autant plus poignante. Accident, fatalité ou laxisme ? Le lecteur découvre atterré la vérité, telle qu’elle est, stupide et agaçante de simplicité.
“Yves répétait souvent cette idée, que peu importe la durée de la vie, que, même, peu importe son effective réalité : il suffit qu’on l’ait imaginée”
Philippe – Camille Laurens -Editions POL, Gallimard, Folio
Article publié par Noann le 24 mars 2010 dans la catégorie
Grand vin
Je vais essayer de parler de ce livre. D’ordinaire faire une critique me semble facile. Il se dégage des points forts et des faiblesses, parfois tellement évidents qu’on peut se demander comment l’auteur ne les a pas vus, sans parler de l’éditeur. Mais cette “Délicatesse” a remué tellement de choses en moi que je ne sais plus que dire.
J’ai beaucoup pleuré et ri, en alternance, et c’est là sans aucun doute que réside l’incroyable talent de l’auteur, du génie même. Il sait trouver des mots qui pénètrent, tout de suite, font un petit tour dans le cerveau et vont caresser les circonvolutions sentimentales, celles que les écrivains tentent de cerner depuis Gutenberg, et même avant. Foenkinos, lui, a trouvé. Il sait. Il connait les trois mots qui bouleversent. Du moins je le pensais jusqu’aux pages 120-130. Après la magie a cessé, et je me suis dit qu’il avait trouvé le truc par hasard et était incapable de le reproduire, d’où un certain ennui dans les dernières pages.
Une jeune et évidemment jolie femme, Nathalie, fait face à la disparition de son François. Le livre raconte cette disparition, et surtout les trois années qui suivent. Le retour dans le milieu professionnel, la compassion pesante des collègues. Mais le travail lui permet de reprendre pied et sa vie va se reconstruire, non sans tourments.
J’ignore ce qu’en disent les autres lecteurs – le principe ici est de dire ce qu’on pense sans prendre d’autres températures. Sans doute ma sensibilité exacerbée m’a fait adorer certains passages. Mais des opinions moins favorables ne me surprendraient pas. Quoi qu’il en soit, j’ai rarement été touché à ce point. Dommage qu’il y ait aussi un côté simpliste, des sophismes philosophiques parfois discutables, et des métaphores assez stériles, comme :
“Elle pensa que les mots étaient dans son cerveau comme des boules de Loto avant de sortir.” ou “Markus sortit du bureau, aussi stupéfait que le soleil pendant une éclipse”
ou d’autres phrases du genre qui sont comme des tâches sur un beau tableau. Les 80 dernières pages dénotent par rapport au début. Revu et élagué, c’eût été un chef d’œuvre. Une suppression d’un quart du texte et une revisite de certains passages pour éviter clichés faciles et truismes aurait donné un excellent roman.
La Délicatesse – David Foenkinos – Gallimard
Date de parution : 27/05/2014
Article publié par Noann le 20 mars 2010 dans la catégorie
Grand vin
Michel et Julia, en couple depuis vingt ans, vivent un chaos sentimental. Leur fille Madeline doit les rejoindre à la mer où ils passent des vacances. Elle se fait attendre … et le couple se retrouve pour un face à face obligé. Entre eux il n’y aura plus que rancune, mépris, dénigrement, déchirure …
Un roman couperet qui vous meurtrit, vous bouscule dans les tripes. Jusqu’à la dernière ligne, au dernier souffle, l’on est happé par ce récit à l’atmosphère lourde et même si cela fait mal, on reste accroché, comme si on espérait sortir de cet étouffoir, comme si on aspirait à prendre une bouffée d’oxygène.
L’auteur traduit à merveille la tension entre les deux êtres. Tout est tangible dans les mots, on ressent le jeu malsain dans lequel Julia entraîne Michel, On assiste au fil du récit à la chute vertigineuse d’un couple modèle qui se croyait unique. Ici c’est l’écriture qui est unique …
Une histoire qui aurait pu être mièvre, banale si elle n’était sortie de la plume de Queffélec, le vrai, celui que l’on apprécie, ardent, intense, car il y a aussi eu une autre Queffélec, parfois décevant …
Moi et Toi – Yann Queffélec, Fayard/le livre de poche
Article publié par Catherine le 19 mars 2010 dans la catégorie
Grand vin
Inspiré d’un fait dramatique qui s’est déroulé dans les années quatre-vingts, l’histoire se déroule à Taïwan, dans la petite ville de Lucheng, district de Chuenco. La guerre a renforcé la paupérisation de la population rurale et la famine menace la région.
Après la mort d’une mère condamnée par le clan familial pour avoir vendu son corps à un soldat contre de la
nourriture, Lin Shi rejoint la maison d’un oncle méprisant et vénal qui ne tardera pas à se débarrasser de la jeune fille. Moyennant quelques quartiers de viande, elle sera destinée à épouser le boucher, Chen-le-tueur-de-porcs, homme brutal, alcoolique et pervers.
Au fil du quotidien, la jeune femme ne tardera pas à découvrir l’enfer : rejetée et bafouée par une communauté de voisines envieuses, toutes prises dans le carcan des traditions où la situation de la femme n’est souvent pas plus enviable que celle des animaux domestiques, battue et maltraitée sans répit par un mari pervers qui ne voit en elle qu’un objet de défoulement à la violence qui le taraude, Lin Shi finira par être totalement isolée et démunie de tout.
Poursuivie par les fantômes auxquels les croyances rurales prêtent un rôle majeur dans la destinée des habitants incultes de la campagne taïwanaise, convaincue d’être soumise à la fatalité, Lin Shi sombrera peu à peu dans une forme d’autisme protecteur. Un univers où elle parvient à survivre. Jusqu’au jour où, acculée par la faim, la solitude et les humiliations, après la dernière « raclée » et les ultimes injures infligées par son mari, c’est dans un délire presque poétique qu’elle tuera cet époux comme lui-même égorgeait les cochons.
Fondé sur un fait divers dont les grandes lignes sont connues d’avance, cet ouvrage n’est pas à proprement parler un roman, ou pas seulement. C’est aussi et surtout, m’a-t-il semblé, un témoignage sur les conséquences d’une culture où les traditions et les croyances ancestrales dévastent la condition féminine d’abord, et s’opposent radicalement à toute forme de solidarité humaine ensuite.
Qui pouvait mieux qu’une femme taïwanaise relater cette histoire où, si la violence domestique, la cruauté, et la misère féminine sont omniprésentes, l’écriture reste sobre, limpide et presque pudique. L’auteur ne convoque pas -la sensiblerie et/ou le voyeurisme- du lecteur, ni même n’entreprend l’analyse psychologique des personnages : elle relate des faits et met en évidence les tenants et les aboutissants du drame. Elle n’explique rien, elle donne à voir et, partant, à penser. C’est avec tact mais sans dissimuler l’horreur des situations que l’auteur parvient à retracer cette histoire. Le contraste entre une campagne tranquille où la nature est même dépeinte avec une certaine poésie, et les fils sanglants du drame qui se nouent de page en page, est particulièrement étonnant. J’ai aimé.
Tuer son mari – Li Ang – Editions Denoël, 2004
Article publié le 17 mars 2010 dans la catégorie
Grand vin
Voilà un ch’ti canon dont on se bourrerait bien la gueule jusqu’au coma éthylique, tellement c’est bon !
“Un producteur de cinéma me doit un chèque. Comment va-t-il s’y prendre pour ne pas me le donner ?”
Tout est résumé dans cette phrase de la quatrième de couverture.
Un scénariste, qui est aussi le narrateur, attend un chèque. Et pendant plus de onze mois, ou deux cents pages, ce pauvre scribouillard doit se battre pour obtenir son dû. Rien ne lui est épargné : les rendez-vous manqués, les rendez-vous pas-manqués mais où il est question de tout sauf du chèque : du prix
de l’essence, du climat déglingué, etc…Puis vient un déménagement chaotique, et la chienne de la secrétaire qui se fait écraser, plongeant son indispensable maitresse dans une profonde dépression. Seule solution : le scénariste devra trouver un autre chien…
Cette histoire aurait pu être mortellement ennuyeuse, mais l’auteur a beaucoup de talent et il nous mène par le bout du nez d’une ligne à la suivante. Il a eu la bonne idée de créer des personnages qui jamais ne s’emportent, ce qui les rend attachants et leur donne plus de crédit. Tout est dans la situation, le non-dit, le non-su, le non-entendu, le non-lu, le non-non, le non-peut-être…
C’est crevant de réalisme, bourré d’humour. J’ai bu à la régalade.
Mon Chèque – Jean-Claude Carrière – Éditions Plon
Article publié par Noann le 16 mars 2010 dans la catégorie
Cru bourgeois
Lancelot travaille à domicile, ne fréquente personne, hormis quelques amis d’Irina, sa seconde épouse. Lorsque celle-ci meurt, il se rend compte qu’il ne savait rien d’elle et va donc partir à la recherche de son passé. Dans cette quête de la vérité, il découvrira qu’Irina traînait derrière elle de grands mystères …. Savait-il réellement qui était celle qu’il aimait à la folie ? Son enquête est menée dans l’atmosphère trouble des médicaments qu’il avale quotidiennement, des fantômes venus frapper à sa porte et de la disparition surprenante des objets mobiliers qui l’entoure…
Un coup de chapeau à cet auteur qui nous berce d’une mélopée éthérée, d’un chant d’amour douloureux.
Avec pudeur, on explore le fond du cœur d’un homme en perdition, on écoute son dialogue intérieur,
Dans un style captivant où dès les premières lignes les mots sonnent juste, l’auteur nous tient en haleine et on ne lâche plus ce texte splendide.
Le prénom du héros – Lancelot – ressemble au roman tout entier, romantique et anticonformiste. On se prend d’une réelle compassion pour cet homme submergé par sa peine, drogué aux anxiolitiques, qui tente de se dégager de cet enfer où il est plongé depuis le décès de sa femme.
L’univers de ce récit est improbable … tantôt léger et plein de fantaisie, tantôt réaliste dans ce qu’il y est relaté, une forme de lie quotidienne faite de personnages navrants et décadents.
En refermant ce livre, on reste habité par l’atmosphère qu’il dégage, mystérieuse et envoûtante.
Et mon coeur transparent – Véronique Ovaldé, Editions de l’Olivier
Article publié par Catherine le 14 mars 2010 dans la catégorie
Grand vin