Cru bourgeois

L’homme qui ne savait pas dire non – Serge Joncour

“L’homme qui ne savait pas dire non” est l’histoire… l’histoire… Comment la décrire en quelques mots ? C’est l’histoire d’un homme qui ne savait pas dire non. Voilà tout. Un peu simpliste comme résumé, sans doute, mais c’est en (très) gros ce que j’ai retenu de ces presque 300 pages de prose.

L’idée de base est géniale, traitée avec talent, finesse, et humour. Cet homme qui ne savait pas dire non est une trouvaille. Il est confronté à des problèmes cocasses. Ses collègues en profitent, son patron en abuse. Le moindre acte du quotidien devient une épreuve. Il suit un atelier d’écriture pour tenter de retrouver l’usage de ce mot capital. Premier exercice : écrire mille mots, ou à défaut s’acquitter d’une amende d’un euro par mot manquant. Second exercice : le même avec deux mille mots… Toute une épopée philosophique…!

Serge Joncour a du talent et de la finesse, disais-je. Il nous emmène en bateau de Singapour à Vancouvert en passant par les Maldives, les haut-plateaux du Tibet et la tour de Pise. On voit du pays, mais quel trajet ! C’est un prosateur hors pair, qui pond des kilomètres de phrases pour nous convaincre, sans se départir de son flegme.

On peut être séduit par ce récit sophistiqué… Ou rester de marbre. Personnellement j’ai trouvé l’écriture un peu chargée. Les mille bonnes idées se perdent parfois dans davantage encore de développements qui n’atteignent pas toujours leur but, s’il en est un. Les dialogues sont un peu longs…

J’ai eu l’impression d’affronter un puzzle en 3D dont il manque des pièces, ou de voir un film de Lynch sans les images, de faire trois fois le tour du Sahara comme les Dupont-Dupond…

L’homme qui ne savait pas dire non – Serge Joncour. Éditions Flammarion

Article publié par Noann le 15 février 2010 dans la catégorie Cru bourgeois
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Comestible ?

Un léger passage à vide – Nicolas Rey

“Entre notre date de naissance et notre date de décès, il y a quelques moments dingues, des mauvaises passes et puis tout le reste. J’ai retiré tout le reste pour t’offrir rien que des moments dingues et des mauvaises passes. Et des moments dingues, aussi. Et des mauvaises passes. Et ainsi de suite. Bien à toi.”

Que ne fut pas mon ire d’avoir reçu d’une amie ce livre, elle qui connaît si bien les lectures qui m’émeuvent et celles qui me déçoivent … Est-ce le livre « tendance » qu’il faut avoir dans sa bibliothèque, ou est-ce un achat à la hâte après une journée de travail éprouvante ?

Avant de massacrer ce livre, j’ai pris un peu de recul pour l’attaquer de front en me donnant de bonnes raisons, en essayant de me persuader que l’autofiction pourrait offrir de beaux récits. Moult auteurs nous l’ont démontré … mais ici auteur, narrateur, héros se renvoient la balle vers une seule personne, l’auteur lui-même. On fait une grande boucle, on tourne autour et on refait une grande boucle dans l’autre sens pour se retrouver au même point … l’auteur.

Et de ce récit il n’émane qu’une littérature pauvre, négligée, sans émotion aucune. De ces bouts de phrase sans queue ni tête, surgit un personnage stupide, alcoolique, dégénéré qui débite des onomatopées au sujet de son état qui se dégrade, son addiction à la drogue, sa perte totale …

Les propos tenus à travers des dialogues décousus sont tellement benêts qu’on se demande si l’auteur ne se fiche pas de nous …

Il nous décrit de long en large sa perdition et se retranche pour ce faire derrière une logorrhée vulgaire, machiste, dénuée du moindre intérêt.

On a beau essayer de s’apitoyer sur le sort de l’auteur, dépressif, traversant une mauvaise passe, on ne cède pas à la compassion tant les mots pour traduire ce mal être sont mal choisis, dénués de la moindre émotion.

Un léger passage à vide est un plutôt un grand saut vers le néant. Et le néant littéraire aussi…

Peut-être l’auteur a-t-il trouvé dans l’écriture une façon de soulager sa peine …

Pour ma part j’ai été soulagée de refermer ce livre …

“Un léger passage à vide” – Nicolas Rey, Au Diable Vauvert, 5 janvier 2010

Article publié par Catherine le 12 février 2010 dans la catégorie Comestible ?
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Comestible ?

Darling – Jean teulé

« Elle y tenait !
Pour oublier les coups reçus depuis l’enfance, les rebuffades et les insultes, pour effacer les cicatrices et atténuer la morsure des cauchemars qui la hantent. Elle voulait que les autres entendent, au moins une fois dans leur existence, la voix de toutes les « Darling » du monde.

Elle a rencontré Jean Teulé. Il l’a écoutée et lui a écrit ce roman. »

Le « style Teulé » a fait ses preuves : sarcastique, imagé, incisif, parfois cru mais toujours inventif et même souvent distrayant. J’admire. Pourtant, ici, je prends le risque d’aller à contre-courant des inconditionnels de la production Teulé.

J’ai lu –Darling-, parce que globalement,  j’avais aimé d’autres bouquins du même auteur. Franchement, cette fois-ci, je n’ai pas ri, pas souri, pas apprécié du tout…Ma lecture s’est faite en luttant contre la nausée.

Sous une forme plus ou moins biographique et romancée, l’auteur retrace l’existence, bien réelle, d’une fille de la campagne qui ne rêve que d’une chose : partir. Elle y parviendra, mais au prix d’une succession de drames majeurs dans lesquels elle dégringole, passant de l’ignominie à l’infamie sans jamais s’arrêter…

Un conseil aux estomacs fragiles ? Ce livre n’est pas pour vous si votre armoire à pharmacie ne contient pas quelques plaquettes d’antiémétique (traitement contre les vomissements).

Pourtant, l’idée de départ honore Monsieur Teulé : mettre sa plume au service de ceux dont personne ne veut entendre parler révèle de grandes qualités humaines, à commencer par l’empathie. Les choses se gâtent quand, surmontant péniblement le malaise viscéral que provoquent les turpitudes abondamment détaillées, le lecteur peut finir par se demander si –empathie-, chez l’auteur, ne rimerait pas  malencontreusement cette fois-ci avec voyeurisme et/ou racolage à visée lucrative ? Certains le regretteront avec moi, mais force est de constater qu’aujourd’hui plus qu’hier encore, le sordide conjugué à la vulgarité fait vendre. Pas toujours, c’est vrai…mais trop souvent. Le lecteur finit par devenir méfiant…

DarlingEnfin, est-ce la déception qui agissant comme un prisme déformant laisse l’impression diffuse que l’auteur use parfois du ton réservé aux imbéciles, ou si vous préférez, aux «  êtres inférieurs » ? Je m’explique : l’ironie, l’orientation piégeuse, couvent parfois sous les questions posées (et retranscrites) par l’auteur –romancier/biographe- à son « sujet de récit », Darling. Ce n’est pas sans conséquence potentielle sur le lecteur. Certains penseront : « cette Darling, finalement, c’est une grosse gourde…pas étonnant que… ». D’autres, compléteront par : « n’a-t-elle pas cherché à en arriver là ? » Enfin, il se pourrait bien qu’un étage au-dessus, sur le palier des cyniques et cruels, on entende même : «Alors, bien fait pour elle ! ». De quoi renforcer l’éternelle malédiction féminine (comme si c’était nécessaire …) : « Elle se fait battre, elle se fait violer ? Eh ben, c’est qu’elle a dû le chercher ! ». Que peut bien en penser la femme réelle surnommée Darling ?

Dommage, car l’empathie implique, au minimum, le respect de l’autre, et l’Art de la biographie, fut-elle romancée, une bonne dose de neutralité doublée de réserve …Non ?

Bref, on l’aura compris, je n’ai pas du tout aimé ce livre qui, témoignage par procuration ou biographie romancée, s’est vite transformé à mes yeux en une exploitation plus ou moins commerciale et/ou plus ou moins tendancieuse des souvenirs d’une femme tombée en enfer … elle aurait mérité plus de considération à travers l’écriture. Est-ce cela que « Darling » avait espéré du talent de l’auteur auquel elle se confiait ?

Pour conclure…Juste une question de forme ? Peut-être, puisque sans trahir les évènements, mêmes les pires, on peut les rapporter, émotions comprises, sans s’éterniser dans ce qui ressemble tristement à de la vulgarité, insistante et racoleuse.

Darling – Jean Teulé (Julliard, Pocket-1998)

Article publié le 12 février 2010 dans la catégorie Comestible ?
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Grand vin

Assez parlé d’amour – Hervé Le Tellier

Voilà un livre qu’aurait réprouvé sa sainteté Jean-Paul II, et plus encore son successeur. Le sixième commandement n’est pas une rigolade, même après deux mille ans. Tu ne commettras point d’adultère…

Le résumé tient en quelques mots. Deux couples confrontés à la tentation commettent une infidélité. Et c’est tout…

Deux couples de longue date se délient sous l’opportunité d’une rencontre. Le livre n’est rien d’autre, en 279 pages, que le récit de ces tranches de vie, les tourments de ces êtres égarés, leurs errements, les destins entrelacés qui se jouent. Il y a un certain immobilisme en apparence, tout semble dit dans les 40 premières pages, et après les relations s’embourbent sans que jamais rien de neuf ne vienne véritablement relancer l’intérêt… et pourtant…

Pourtant je me suis laissé aspirer par ce récit. L’écriture fluide et sans fioritures, ou presque, fait que jamais l’esprit ne trébuche. L’auteur possède le pouvoir de saisir des détails de la personnalité anodins pour les rendre insolites et intéressants. Or n’est-ce pas ça le talent ?

J’ai aimé les descriptions, de menues digressions pleines de pertinence, et la justesse, la rigueur dans les détails, dignes de “La vie mode d’emploi” de Perec.

J’ai aimé l’alternance des situations, qui évite l’ennui, la variété du style, et quelques trouvailles, comme l’écrivain qui écrit à son amante cinq livrets pour son anniversaire (intégralement repris), et ce chapitre découpé en colonnes, à droite les pensées du mari trompé assistant à une conférence de son rival et à gauche la conférence dudit rival.

J’ai aimé l’authenticité des personnages, et leurs faiblesses. Anne la doctoresse qui est en analyse depuis douze ans. Thomas le psy qui a lui-même consulté parce que sa vie était un mur,… ça a pris du temps, le mur était épais… Et Louise l’avocate qui perd les pédales dans une conférence plus vraie que nature… Yves l’écrivain qui tâtonne.

J’ai juste regretté la fin en queue de poisson. On eût dit que l’auteur était parti pour nous pondre 1000 pages, comme Kafka dans “le Château”, et qu’il s’est arrêté subitement page 276 pour conclure essoufflé en deux pages… C’est un peu bref comme fin, eu égard au corps du récit distendu.

Réprobation pour certains, nécessité pour d’autres, l’adultère reste source de polémique. Saint Mathieu proclamait pourtant  : “Il est écrit :” Tu ne commettras pas d’adultère”. Eh bien ! moi je vous dis que tout homme qui regarde une femme avec convoitise a déjà, dans son cœur, commis l’adultère avec elle.”

Voilà qui devrait en rassurer plus d’un. Tous les hommes sont coupables. Il y aura du monde en enfer.

Assez parlé d’amour – Hervé Le Tellier. Éditions JC Lattès

Article publié par Noann le 11 février 2010 dans la catégorie Grand vin
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Grand vin

Les Années – Annie Ernaux

L’album de photos de la vie de l’auteur – et de nos vies – depuis l’enfance jusqu’à nos jours …

A travers une plume harmonieuse, un style linéaire qui facilite la lecture, l’auteur  nous invite à une réflexion les anneessur l’évolution de la société et nous livre un témoignage rempli de sensibilité et d’émotions sur ce que sont devenues les générations de l’après-guerre. L’auteur retrace tant ses bouts de vie que les nôtres, sans artifices, avec des mots vrais, qui nous correspondent.

J’ai suivi avec plaisir ce voyage d’un bout à l’autre d’une vie jalonnée d’événements marquants, de cris de joie, de blessures, tout ce qui fait la construction de chacun d’entre nous …

Chaque fragment de vie est dépeint par l’auteur avec la même franchise, la même lucidité, sans jamais tomber dans le récit mièvre ou ennuyeux.

Les Années – Annie Ernaux, Folio.

Article publié par Catherine le 9 février 2010 dans la catégorie Grand vin
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Comestible ?

Le miroir de Cassandre – Bernard Werber

Cassandre, 17 ans, s’échappe de son internat pour se retrouver dans un endroit sordide peuplé de clochards, une sorte de cloaque exhalant des odeurs nauséabondes, là où elle sait que personne ne viendra la chercher …  Dans ce lieu ignoble, ses nuits sont agitées et elle rêve d’un monde meilleur. Commence alors sa quête pour tenter de sauver le monde de sa perte …

Il a fallu arriver au bout des 600 pages de ce roman qui se veut être spirituel, une réflexion par rapport à l’avenir … et qui est plutôt un pamphlet social indigeste où l’auteur se perd, nous fait boire son enseignement et nous assomme d’informations historiques et scientifiques, de clichés, de morale à deux balles qui n’apportent rien …

On suit péniblement les pérégrinations de cette jeune femme en perdition, qui tente de nous livrer un message d’espoir et de nous donner des leçons de vie. En réalité, c’est à notre propre réflexion que l’auteur nous renvoie parce qu’en chacun de nous réside le rêve d’un monde meilleur … Mais l’auteur  tente de nous convaincre – et il ne m’a pas convaincue – de sa propre vision de l’avenir en nous faisant avaler deux kilos de phrases déposées ça et là dans le désordre, décousues et confuses …

Je n’ai été touchée ni par la plume ni par l’univers de l’auteur …

“Le miroir de Cassandre” – Bernard Werber, Albin Michel, octobre 2009

Article publié par Catherine le 7 février 2010 dans la catégorie Comestible ?
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Grand vin

Les vaisseaux du coeur – Benoîte Groult

Elle l’appellera Gauvain pour ne pas le dévoiler, pour l’aimer à distance, pour se protéger et le protéger. Ils sont aux antipodes l’un de l’autre. Lui, pêcheur breton et elle, intellectuelle parisienne. Mariés aussi, chacun de leur côté …

Qu’est qui va donc les rapprocher ?

Ils vont traverser le monde d’un bout à l’autre, s’arrêtant de temps en temps pour une courte pause, un bout de vie « commune », un instant dérobé, une halte parallèle. Les aléas de la vie les feront se croiser : mariage, divorce, accident, maladie … pour se retrouver un peu plus fort chaque fois, et faire l’amour encore et encore.

On sent bien ce désir insatiable, impérieux et viscéral qu’ils éprouvent l’un pour l’autre, cet amour si fort, si violent, qui finit par briser … les vaisseaux du cœur de Gauvain.

Une histoire d’amants qui dure 30 ans … une passion qui ne s’émousse pas … L’histoire – si belle – d’abord de deux peaux qui s’accordent, et qui finit par deux âmes qui s’accrochent et fusionnent, un cœur qui porte un poids trop lourd qui finit par exploser.

Ce roman magnifiquement bien mené du début à la fin, élégant, émouvant, sensuel convainc le lecteur qu’une histoire d’amour comme celle-là est … possible. Je l’ai refermé avec une larme à l’œil.

A travers des mots bien choisis qui vous font frissonner d’émotion, l’auteur nous livre une histoire qui se situe à mi-chemin entre le roman d’amour classique et le roman érotique, sans jamais déborder d’un côté ou de l’autre et sombrer dans une histoire fleur bleue ou un récit pornographique …. Un univers de mots vrais, impudiques, mais sans jamais tomber dans la vulgarité.

“Les vaisseaux du coeur” – Benoîte Groult, Grasset, 1993 / Le livre de poche

Article publié par Catherine le 6 février 2010 dans la catégorie Grand vin
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Premier Grand Cru Classé

La petite fille de monsieur Linh – Philippe Claudel

La petite fille de monsieur LinhLa petite fille de Mr Linh est un régal. Une écriture simple et efficace, sobre, éthérée, tout le contraire du style habituel, pour raconter le périple d’un homme expatrié avec sa petite-fille. Il se retrouve dans un centre pour immigrés, se sent seul parmi des dizaines de personnes d’origines diverses, jusqu’au jour où il croise un homme affable, sur un banc, qui ne parle pas sa langue. Une sorte de magie opère alors, une amitié taciturne nait, authentique, sans fioriture.

Un livre où chaque ligne apporte une émotion. Factice diront certains, enrobage, miel… On a lu des avis très négatifs. Pour moi le truc, s’il en est un, a fonctionné et je pense que beaucoup de lecteurs se laisseront subjuguer.

La petite fille de Mr Linh – Philippe Claudel Éditions Stock

Article publié par Noann le 5 février 2010 dans la catégorie Premier Grand Cru Classé
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Dessin de Jordi Viusà. Conçu par Noann Lyne