Le pays de l’absence – Christine Orban
Pour son dixième livre (si je compte bien…), Christine Orban évoque la relation compliquée avec sa mère, faite d’un amour profond dont les tensions ne sont pas absentes. Au fait, j’ignore s’il s’agit d’un récit autobiographique (la présentation parle d’une fiction) , mais quoi qu’il en soit, l’on sent une forte teneur émotive enracinée dans le vécu.
Cette maman n’est décidément pas simple ! Le temps, dont on pourrait espérer qu’il embellit les êtres, possède la mystérieuse faculté d’exacerber leurs traits de caractère les mieux enfouis. Il y a aussi la maladie. Même si la pathologie n’est annoncée qu’à demi-mots, cette septuagénaire semble souffrir d’un début d’Alzheimer… Elle en devient encore plus compliquée, plus difficile à comprendre. Certes, ses relations avec sa fille n’ont jamais été simples. Plus jeunes, elles se sont jalousées, défiées. Les rôles s’inversaient. L’âge n’a pas arrangé la situation ! La maxime “plus on devient vieux plus on devient jeunes” prend ici tout son sens. La plupart d’entre nous reconnaitrons cette tendance étrange qu’ont les personnes âgées à retomber en enfance, à devenir difficiles, égocentriques, capricieuses. Une simple sortie au restaurant devient un chemin de croix. D’abord, resto ou plateau-télé ? Maman pèse le pour et le contre, change d’avis cent fois. Finalement ce sera le resto, mais voilà qu’elle bougonne, traine la jambe, perd sa chaussure. Elle commande un plat qu’elle n’aime pas, se met à chantonner. Elle n’épargne rien à sa fille, dont l’amour se ressent à chaque ligne, une mansuétude qui n’arrange finalement rien. Maman en profite…
J’ai découvert Christine Orban avec ce livre (honte à moi !), et j’apprécie cette auteure qui sait manier la plume avec délicatesse et une économie de mots :
“Et si vieillir était devenir ce que l’on est en pire ?”
“Parfois, elle s’arrêtait ainsi de vivre, suspendue entre deux mondes”
Une écriture chargée d’émotions mitigées, entre tendresse et dérision, mais qui sait être lucide et critique :
“Le vide a rempli le cerveau de ma mère ; elle flotte dans le temps, elle flotte dans l’espace, elle est là et elle n’est plus là.”
Le récit m’a souvent touché. En revanche, pour l’apprécier il faut être sensible à cette voix unique et monocorde, sans fard, toute simple. Ouvrage intimiste et personnel, qui me semble réussi dans ce genre littéraire difficile.
Si j’en crois Julien Green, pour qui le talent est l’art de rendre insolites et intéressantes les choses les plus banales (cfr Memories of happy days), alors du talent Christine Orban n’en manque pas.
Le pays de l’absence – Christine Orban. Éditions Albin Michel