


Ton absence n’est que ténèbres – Jón Kalman Stefánsson
Un homme seul dans une église, quelque part dans les fjords de l’ouest…Comment et pourquoi se trouve-t-il là ? Il semble être en pleine divagation, comme happé par un vide sidéral. Alors qu’il déambule près de cet édifice et rejoint le cimetière du village, il découvre un message sur une tombe « Ton absence n’est que ténèbres ». Il fait la rencontre d’une femme qui prétend être la fille de la défunte. Elle lui propose d’emblée de l’amener chez sa sœur qui tient le seul hôtel des environs. L’homme se rend compte qu’il a perdu tous ses repères, la mémoire aussi… Tout le monde semble le connaître, pourtant lui ne se souvient de rien. Ni de Soley, la propriétaire de l’hôtel, ni de sa sœur Runa, ni même d’Aldis, leur regrettée mère…
Ainsi peu à peu resurgissent des pans de sa mémoire déficiente. Les membres de cette grande famille réapparaissent dans le kaléidoscope de ses souvenirs. Aldis, une fille de la ville revenue dans les fjords s’était accrochée au regard azur de Haraldur, tandis que Pétur, un pasteur marié, écrivait des lettres au poète Hölderlin, et aussi Asi, dotée d’un appétit sexuel hors norme, Svana, contrainte d’abandonner son fils si elle veut sauver son mariage, Jon, un père de famille aimant mais aussi un alcoolique notoire, incapable de résister à la Dive bouteille, Pall et Elias qui n’ont pas le courage de vivre leur histoire d’amour pleinement et enfin Eirikur, un musicien accompli au talent incontestable, que sa gloire et sa passion pour la musique n’arrivent pas à lui ôter sa tristesse.
Tout ce petit monde poursuit sa quête du bonheur. Entre les actes manqués, les défaillances et les capitulations des uns et des autres, tous se retrouvent confrontés à la question de savoir comment aimer, et tous sont amenés à faire des choix malaisés.
« Ton absence n’est que ténèbres » interpelle et invite à la réflexion. Les personnages de cette histoire, les époques traversées, l’intensité des sentiments, et la force des destins qui se croisent nous donnent l’envie de sonder les âmes de ces personnages envoûtants.
Dans ce nouvel opus de Jón Kalman Stefánsson, tout semble excessif, démesuré. L’écriture magistrale et la poésie en filigranes donnent à ce roman une intensité grandiose et une lueur d’espoir, fait renaître l’instinct de survie quand on croyait que tout était perdu. Les chapitres s’arc-boutent les uns aux autres, virevoltent et se ripostent pour aboutir à former un puzzle que l’auteur islandais destine à son personnage principal pour l’aider à reconstruire sa mémoire perdue mais surtout à l’humanité tout entière, dans sa désolante perdition…
Ardent, frénétique, à lire absolument.
Ton absence n’est que ténèbres de Jón Kalman Stefánsson , éd. Grasset





La toute petite reine – Agnès Ledig
Capucine et Adélie sont frappées par la mort accidentelle de leurs parents. Et tout s’effondre… Tout de go, Capucine laisse tomber ses études de médecine et prend en charge sa sœur Adélie.
Tandis qu’Adrien, maître-chien, est dépêché en gare de Strasbourg pour démanteler un colis suspect, il croise Capucine, en larmes, venue rechercher son bagage oublié. D’emblée, Bloom le chien hypersensible d’Adrien ressent les tourments de Capucine et ce qu’elle cache dans son cœur, une bombe de chagrin prête à exploser…Un peu plus tard, ils se retrouvent dans la salle d’attente de psychiatres pour soigner leurs âmes en perdition, l’une pour accepter la mort inopinée de ses parents et l’autre, ex-soldat, pour tenter d’oublier les horreurs de la guerre au Mali. Adrien, ému par Capucine, voudrait tant découvrir ce qu’elle porte de si lourd dans son cœur.
Tour à tour, ils se dévoilent et la rencontre de ces deux êtres meurtris annonce un tournant inattendu dans leurs vies respectives et leur permettra de retrouver des lendemains de quiétude, les éloignant peu à peu des tumultes de leurs passés douloureux.
Un bagage oublié, un maître-chien, un chien hypersensible prénommé Bloom, deux âmes meurtries que le hasard va percuter. Et le décor est planté. Tout commence à la gare de Strasbourg : l’histoire d’un bagage suspect et de la propriétaire de celui-ci, dont le cœur tellement en ébullition, au bord de l’explosion, intrigue Bloom, le chien qui ressent le désarroi intérieur de la jeune femme et délaisse le bagage anodin et sans danger.
Le récit s’articule autour d’un accident de voiture, que l’auteure relate avec vérité puisqu’elle l’a vécu quelques temps avant. À travers ses héros Capucine et Adrien, dont la vie bascule pour l’une à la perte de ses parents et l’autre, victime de son expérience de militaire au Mali, qui l’a laissé exsangue.
Les personnages sont infiniment touchants et portent en eux cet espoir larvé qui les aide à survivre et se battre pour que les drames de leur vie leur donnent la force de continuer malgré tout, avec dans le cœur l’espoir d’une lumière. Quoi de plus important pour guérir de la solitude, du mal-être, qu’une rencontre improbable, dans des lieux tout aussi improbables qu’une gare ou un cabinet médical…
Une effusion d’amour, de sensibilité, de délicatesse. Un écrin d’émotions qui vous bouleversent et vous remuent à l’intérieur, le tout à travers la plume magistrale d’Agnès Ledig, qui, comme à l’accoutumée, parvient à dire les mots justes pour traduire les maux qui font fléchir et vous abiment l’âme et le cœur…
La toute petite reine d’Agnès Ledig, éd. Flammarion





Double Nelson – Philippe Djian
Une jolie maison de bord de mer, une atmosphère paisible, un lieu idyllique propice à la création, pensez-vous… Pourtant Luc, écrivain, se désole de n’avancer guère dans son roman. Depuis neuf mois, il partage la vie d’Édith, membre des forces spéciales de l’armée. À mille lieues l’un de l’autre, ils finissent par se séparer. Chacun poursuit sa route jusqu’au jour où Édith resurgit chez Luc, gravement blessée lors d’une opération qui a mal tourné et le supplie de l’héberger et la cacher le temps de se faire oublier.
Les voilà réunis à nouveau, obligés de partager une vie commune qu’ils avaient abrégée par trop de différences, Luc recherchant la sérénité, la quiétude lui permettant d’écrire et Édith, gonflée d’adrénaline, qui s’ennuyait avec ce compagnon en quête de paix intérieure.
À tour de rôle, chacun y va de son combat quotidien, entretient ses petites querelles. Et plutôt que de se soutenir mutuellement, ils deviennent adversaires, presqu’ennemis… Et entre deux batailles, ils ne s’octroient aucun répit.
Une fois encore, la thématique de la relation homme-femme est abordée et l’auteur n’arrive pas à sortir de cette sempiternelle question : comment parler d’amour quand deux personnalités qui ne partagent rien dans la vie, si ce n’est un toit, s’entrechoquent et finissent par fléchir par trop de discordances. La plume, toujours aussi talentueuse de Philippe Djian, mêlant humour, dérision et un style narratif qui sommes toutes ne déplaît pas, convainc le lecteur de se laisser porter jusqu’au bout par cette histoire de couple tumultueux.
Ainsi, on se prend à trouver plutôt sympathique ce couple décalé et l’on en arrive même à s’apitoyer sur le sort de cette femme aux gros bras, victime d’un ennemi redoutable la mettant en péril et venue se réfugier chez son ex, tendre et délicat, à la recherche des mots évanouis dans les tréfonds de son âme, de quelques paragraphes échoués sur une page désespérément blanche…
Le récit, qui ne laissera certes à ma mémoire qu’un simple souvenir fugace, m’a donné néanmoins un vrai plaisir de lecture.
À lire… Pour les narrations toujours efficientes sous la plume de Philippe Djian, pour les situations parfois loufoques qui mettent les héros dans l’embarras, pour l’humour distillé en filigrane, pour les protagonistes tantôt attachants, tantôt agaçants…
N.B : Un « double Nelson », c’est une prise de soumission qui consiste, dans un match de catch, à faire abandonner l’adversaire. Mais on peut aussi s’en servir dans une relation amoureuse.
Double Nelson de Philippe Djian, éd. Flammarion





Berlin requiem – Xavier-Marie Bonnot
1932. À Berlin, Wilhelm Furtwängler, l’un des plus grands chefs d’orchestre allemands, dirige l’orchestre philharmonique. Le public s’esbaudit par son immense génie.
1934. C’est le commencement des années noires… Hitler est chancelier et détient les rênes du pouvoir. Les artistes se voient dépossédés de leur art, sous le joug du nazisme et les juifs, chassés de l’orchestre, sont obligés de s’exiler. La politique écrase la culture et la musique devient une sorte d’outil de propagande. Que faire dans cette atmosphère de mise sous pression ? Courber l’échine et se soumettre au régime du IIIème Reich ou bien quitter l’Allemagne ? Pour le chef d’orchestre, le dilemme ne se pose pas, il considère qu’il y a lieu d’outrepasser la politique et qu’opiner du chef, se soumettre à la politique du chancelier démontrerait que ce c’est un signe de soumission et que l’inertie pourrait être interprétée comme une collaboration…
Quelque part à Berlin, le jeune Rudolf Bruckmann, fils d’une célèbre cantatrice ayant chanté dans les plus beaux opéras de la capitale, vivote et observe avec son regard naïf de jeune artiste, les évènements et la guerre qui s’annonce. Il voit tous ces SS élégants en uniforme et ne ressent pas le mal qu’ils dégagent. Il n’a qu’une hâte, devenir le plus grand chef d’orchestre de l’Allemagne. Il a un talent immense et l’on a l’impression qu’il est né, entouré de notes de musique, qu’une fée musicienne s’est penchée sur son berceau pour lui insuffler le don qui l’anime et le fait briller. Ainsi, quand il dirige un opéra, les notes virevoltent et le transcendent. Depuis toujours, la musique l’habite, le nourrit, le sublime et rien ne peut l’atteindre, pas même la guerre, ou la déportation de sa mère, encore moins l’absence de père. Rien ne pourra démolir ses avidités. C’est lui qui sera le successeur de Furtwängler. C’est une évidence.
L’auteur nous invite à suivre le destin de deux âmes ambitieuses qui se percutent, s’entremêlent et se jouxtent en harmonie, comme les notes de musique d’une partition endiablée. Les deux personnages de ce roman sont confrontés à des situations compliquées sur fond d’art et nazisme, mais finissent dans un ultime pas-de-deux pour former une partition équilibrée et harmonieuse La position de Wilhelm Furtwängler pendant la seconde guerre mondiale le place dans une situation ténébreuse et équivoque, que la talentueuse plume de Xavier-Marie Bonnot et sa grande connaissance de l’Histoire édifient et éclaircissent. Et il nous tient en haleine, jusqu’à ce qu’éclatent des vérités tenues secrètes jusqu’ores…
Une histoire en deux temps, un chassé-croisé entre deux âmes tiraillées, en quête de vérités qui tardent à être révélées, l’art et la guerre en toile de fonds…
Une thématique hors du commun, une plume magistrale… Un très agréable moment de lecture.
Berlin requiem par Xavier-Marie Bonnot





L’Éternel fiancé – Agnès Desarthe
Elle n’a que quatre ans quand elle envoie promener un petit gars du même âge, qui lui déclare son amour, sous prétexte qu’il n’est pas bien coiffé, un petit garçon tout en émotions qu’elle repousse aussitôt.
Pourtant, elle se rend compte de son erreur. Bien des années plus tard, à plusieurs reprises, Étienne va se télescoper avec elle. D’abord au lycée, où leur histoire aurait pu démarrer, puis à la fac, où elle envoûte son frère. Et enfin, après un rupture destructrice. Encore et encore, elle lui fait une place, elle hante sa vie tel un spectre. Et puis, elle vit sa vraie vie, auprès de sa famille versatile, cyclothymique. Sa mère en quête de sérénité, a trouvé l’amour auprès d’un homme rassurant, plus âgé.
Doucement, la jeune fille vivote… Jusqu’au jour où elle fait la connaissance d’Yves. Et tout de suite c’est l’amour, le grand, l’immense.
Avec une plume délicate et remplie de tendresse, l’auteur dessine des bouts de vie où l’humanisme occupe une place prépondérante, elle nous livre des histoires un peu dégrafées où en vérité, il ne se passe pas grand-chose… La thématique du sempiternel retour de l’amour d’enfance, déjà traitée mille fois par moult auteurs, revient ici et l’auteur ne nous donne aucunement l’occasion de nous réjouir d’une issue originale qui sorte des sentiers battus, ceux de l’amant déchu, de la petite jeune fille effrontée qui séduit et se joue des sentiments amoureux d’un garçon maladroit.
Au gré du roman que j’ai eu de la peine à lire jusqu’au bout, il ne se passe désespérément rien. Certes, on se laisse porter par l’histoire de cette jeune femme et de son entourage, un mari, deux enfants, une vie banale en quelque sorte, sous le joug de longues périodes d’incertitude. Seul personnage qui apporte une étincelle dans ce paysage monotone, Marie-Louise, une arrière-grand-mère et son arrière-petite fille, camarades de toujours. Et puis il y a la mère de l’auteur, une femme toujours dans les nuages, capricieuse, qui collectionne les sacs en plastique…
Ce récit m’a laissée sur ma fin, voire déçue, habituée de l’excellence des écrits de cet auteur.
L’Éternel fiancé par Agnès Desarthe, éd. de l’Olivier





Six pieds sur terre – Antoine Dole
Depuis leur naissance, Camille et Jérémy se cherchent, courent l’un vers l’autre, mais ils ne le savent guère… Ils ont grandi, se sont « re »trouvés et s’aiment, certes, sans pourtant vivre pleinement cet amour et être heureux ensemble. Jérémy ne peut cacher à Camille ses douleurs d’antan et la noirceur de son passé qui l’obsède. Et, lorsque Camille lui confie le désir d’avoir un enfant, Jérémy vacille, s’écroule, ne peut s’imaginer dans le rôle de père. Et se frayer un chemin parmi les vivants alors qu’il n’a jusqu’ores côtoyé la mort le plus souvent lui-même.
Vaille que vaille, les deux jeunes gens au cœur meurtri, à l’âme cabossée, certes épris l’un de l’autre, ne parviennent pas à contrer la dépression qui menace d’empirer pour l’un et grignote insidieusement l’âme de l’autre. Peu à peu, Jérémy voit resurgir la sinistrose morbide et le désarroi qui ne l’a jamais quitté, apaisé quelque temps par l’amour de Camille.
L’auteur nous entraîne dans les tréfonds de deux cœurs de guingois et nous invite à devenir les témoins de ces malades de la vie que la dépression a rendu fébriles et inaptes à l’amour, fuyant les lendemains de quiétude au risque de chavirer une fois encore et préférant nourrir leur perdition plutôt que se laisser aller à la quête du bonheur, fût-il fugace, parce qu’ils ont nagé trop longtemps dans un bain de tristesse incommensurable. Il nous convie dans un huis clos où règne le mal-être et la désespérance, nous laissant complètement effondrés, comme abandonnés sur le bord d’un ravin, s’accrochant tant bien que mal pour ne pas tomber.
Malgré une écriture troublante et métaphorique, l’auteur n’arrive pas à nous délivrer de cette effroyable détresse qui nous poursuit et séjourne dans ce roman en filigrane.
Jusqu’à l’antépénultième phrase de la fin, je suis restée quelque peu dubitative. Peut-on vraiment ressortir indemne de ce récit de naufrage qui ne nous laisse guère de chance de survie, même si l’infime rai de lumière qui éclaire l’épilogue du roman, donnant un sens au titre de l’ouvrage qui laissait présager un espoir…
Un premier roman de littérature pour adultes d’Antoine Dole, alias Mr Tan, auteur de la série jeunesse phénomène Mortelle Adèle.
Six pieds sur terre d’Antoine Dole, éd. Robert Laffont





57 rue de Babylone, Paris 7e – Alix de Saint André
En 1974, Alix intègre le très réputé lycée Victor-Duruy, où étudient de jeunes filles fortunées et à la mode. Pas vraiment son style ce lycée huppé et snob, elle qui arrive de Saumur. Fort heureusement, elle y rencontre Pia et devient son amie. Pia est la parfaite petite bourgeoise chrétienne, bien loin de ce que représente son entourage, peu conventionnel, voire ordinaire. Ainsi, Alix fait la connaissance de la famille de Pia, à mille lieues de ce qu’elle imaginait. La maman tient une pension de famille, nommée jadis le Home Pasteur, tenue auparavant par la grand-mère, au 57, rue de Babylone. Dans cet établissement vit Samuel, le papa de Pia, très cultivé et producteur de musique classique pour une clientèle élitiste qui lui assure de quoi faire vivre sa maison d’édition. Tandis que sa femme surnommée Cocotte, d’origine italienne, et sa sœur Monica détiennent le cordon de la bourse et entretiennent toute la famille.
Pia est rigoureuse, classique tandis qu’Alix, dont le père dirigeait le Cadre noir de Saumur, l’excellence hippique, rêve de fantaisie et de lendemains de liberté. Pourtant, une grande amitié naît entre elles deux, improbable puisqu’elles semblaient aux antipodes l’une de l’autre.
Dans la pension de famille tenue par la mère de son amie, Alix croise des hôtes insolites, du jeune Américain au vieux comédien bougon, des personnages extravagants, tous plus farfelus l’un que l’autre et dans ce monde hors des conventions, Alix découvre les amours, le bonheur, les chagrin aussi…
Avec un talent indéniable, une plume enlevée, l’auteure dépeint un univers disparu aujourd’hui et rend hommage à un pan de sa vie qui lui a permis d’approcher la liberté et d’en faire son credo.
On se laisse porter jusqu’au bout par l’histoire de cet établissement insolite et l’on suit les pérégrinations des personnages que cette pension a logés. Et l’auteure, sous quelques chapitres syncopés, relate l’atmosphère du lieu depuis le temps de l’Occupation, lorsque que le Home Pasteur était tenu par la grand-mère de Pia, jusqu’à sa fermeture. Elle parle aussi du temps où des célébrités se croisaient, tels le mari de Françoise Sagan, ou le scénariste de Chabrol. Des personnages saugrenus se retrouvent régulièrement dans cet antre de liberté, chargé de fantaisie, sous le joug des années sexe et rock and roll.
Un roman délicat et goguenard, livré à travers la plume de la magistrale Alix de Saint-André qui, comme à l’accoutumée, ne cesse de nous surprendre et nous ravir.
Irrépressible… Convaincant. À lire absolument.
57 rue de Babylone, Paris 7e par Alix de Saint André, éd. Gallimard





Celle qu’il attendait – Baptiste Beaulieu
Eugénie D. est une jeune femme un peu spéciale, un peu différente, que le monde insupporte, effraie même. Elle se réfugie dans un monde imaginaire rempli de poésie, se crée un univers décalé, invente des choses insolites, comme la cravate-parapluie ou la poussette à pastèques. Il faut dire que déjà quand elle est née, elle avait des particularités très rares… Un curieux bébé à la peau quadrillée qui lui donnait un air de martien, venu d’une autre galaxie. Ainsi sa peau était maculée de cases blanches et noires, comme des mots croisés. En grandissant, le damier s’est mélangé et la voici devenue une jeune femme aux formes généreuses, très belle pensent certains tandis que pour la plupart elle inspire l’indifférence ou la répulsion souvent.
Un jour de pluie à la gare Montparnasse, elle croise Joséphin, tout le contraire d’elle, très maigre, très grand et meurtri par une timidité maladive et une déprime larvée qu’il soigne en modelant, sculptant, s’adonnant au travail de la céramique. Issu d’un pays où pleuvent les bombes, il est chauffeur de taxi à temps partiel et sculpteur-céramiste, une passion qui l’occupe des heures entières.
Eugénie et Joséphin tombent amoureux très vite. Et très vite, ces êtres aux ailes abimées qui se percutent en plein vol, s’apprivoisent et se consolent dans les bras l’un de l’autre. Puis, très vite aussi, leur vie bascule, se complique…
Ces deux écorchés de la vie s’épanchent de plus en plus et de leurs confidences ressortent des souffrances similaires liées au passé, les stigmates qu’ont gravé dans leur cœur le monde cruel, les meurtrissures que les gens leur ont infligées à coup de marteaux piqueurs. Pas à pas, l’on suit ces personnages attachants et fragiles, de ces deux muets qui s’entraident et se livrent enfin, se délivrent même, à coup d’amour et de soutien.
L’auteur nous livre un conte aérien où l’amour s’immisce entre chaque ligne, s’épanouit à tout va, se fiche des bien-pensants, contourne le raisonnable en se moquant de ce qui pourrait gêner le politiquement correct.
L’histoire de deux êtres que rien ne semblait rapprocher, si ce n’est peut-être les douleurs du passé qui les ont fait fléchir…
J’ai apprécié dans l’ensemble cette promenade dans les tréfonds d’âme en détresse mais regrette peut-être que l’auteur ne se soit pas attardé sur la personnalité des protagonistes…
Celle qu’il attendait de Baptiste Beaulieu, éd. Fayard



