Les heures silencieuses – Gaëlle Josse
Delft, 1667. Magdalena semble avoir tout pour être heureuse. A cette époque, la Hollande a soif de conquêtes maritimes, tout étranglée qu’elle est dans ses polders marécageux. Ses navires parcourent le monde, en particulier l’Asie, à la recherche de porcelaines rares et de matières nobles. Le père de Magdalena était un riche et brillant commerçant, sur qui la malédiction est tombée : sa femme n’a enfanté que des filles. Cinq enfants, et cinq filles. Pas un seul mâle ! Toutefois il s’accommode tant bien que mal, et finit par les adopter. A Magdalena, il donnera de l’amour, à sa façon. Il l’accueillera comme une princesse sur son navire. Mais les filles ne peuvent pas voyager. Elles sont contraintes à une vie casanière, passée à procréer et se distraire d’art, de peinture et de musique. Magdalena ne pourra s’évader qu’en rêve, dans les pages du journal de bord. Plus tard, elle se réfugie dans le son de l’épinette, un genre de clavecin. Elle se fera peindre devant son instrument favori. (en fait l’auteure est partie de ce tableau pour composer son roman : Intérieur avec une femme jouant du virginal d’Emmanuel de Witte)
Outre les affres de la féminité, la vie de Magdalena est assombrie par le drame. Élever des enfants et les mener à l’âge adulte n’est pas une chose aisée, dans cette époque d’obscurantisme médical. L’hiver et le noir l’effraient…
C’est un récit touchant que nous livre cette auteur méconnue, d’une maison d’édition qui n’est guère plus célèbre. L’écriture est douce, belle, empreinte de nostalgie. Le drame se profile comme un loup dans les fourrés, on le devine, et soudain il surgit parmi les songes. Une belle prose poétique comme on aimerait en lire plus. Les mots sonnent juste, sans effets, sans excès. L’auteur possède le talent de nous glisser dans cette Hollande du voyage, des sons et de la peinture, pays contrasté, avide de liberté mais épris de tradition. C’est une délicieuse balade dans la douleur et le rêve dont je suis sorti avec une larme au cœur. Une écriture juste et très sensible…
“L’hiver passé, un malheur est arrivé au village de la vieille Geertje ; c’est tout ébranlée qu’elle m’a conté la triste histoire.
Un solide garçon d’une douzaine d’années a vu la glace se rompre sous lui. Tout est allé vite, il a coulé avant que ses camarades puissent le secourir. Un cri, à peine. Malgré leurs efforts, les hommes du village n’ont pu ramener le corps à sa mère. Au matin, ses cheveux étaient devenus blancs. Chaque jour elle s’est rendue au bord de l’étang, à pleurer et prier à genoux dans la neige. La nuit venue, ses voisines devaient la raccompagner chez elle, de force le plus souvent. Même au dégel, le canal n’a pas rendu le corps.”
“Judith me comprenait, car elle était sensible, mais je serais bien sans coeur de lui rappeler combien mon ventre fut fécond, quand le sien demeurait désespérément vide.”
Les heures silencieuses de Gaëlle Josse. Éditions Autrement