Entre ciel et terre – Jón Kalman Stefánsson
De retour d’une journée de pèche, l’équipage découvre que leur compagnon Bárður est mort. Il est mort d’avoir rêvé, de s’être laissé emporter par les mots enivrants du “Paradis perdu”, œuvre du début du XVIIième siècle de l’anglais Milton, un poète aveugle qui écrivait pour se rapprocher de Dieu…. Bárður est mort parce que, l’esprit trop absorbé par les vers de Milton, il a oublié sa vareuse au port… Erreur fatale, avec le froid qui règne comme un seigneur sournois au nord-ouest de l’Islande. L’équipage a eu une journée difficile, il a fallu naviguer pendant des heures avant de rejoindre un lieu de pèche propice. Le vent ne soufflait pas assez, la progression se faisait à la rame ou à la godille. Au large, la tempête s’est levée, les éclaboussures ont mouillé le chandail de Bárður, le transformant en étau de glace. Ses collègues trop occupés n’ont pas vu sa détresse.
Le lendemain, son meilleur ami, appelé “le gamin” tout au long du livre – il doit avoir 17 ou 18 ans – décide de fuir le port, de fuir le drame et la présence persistante du fantôme de son ami. Il part reporter le “Paradis perdu” à son propriétaire, un vieux capitaine aveugle à qui Bárður avait emprunté le livre…
Mon avis : Que dire, sinon que l’écriture de J K Steffánsson, est belle, belle et rebelle ? L’auteur, un poète islandais, est traduit pour la première fois en français. Chez lui c’est une gloire, mais il n’est évidemment pas simple, dans une île de 300.000 habitants qui parlent une langue endémique, de se faire connaitre au reste du monde. L’auteur a une plume intense, où se mêlent les noirceurs de l’âme humaine, le gris de la vie et le bleu du ciel, parfois dans la même phrase. C’est un style poétique, allégorique, empli de finesse et de philosophie. Cependant, il n’est pas simple de se retrouver parmi les nombreux personnages aux noms typiques : Guðdrún, Goðmundur, Brynjólfur… (que de recherches pour trouver les codes des caractères islandais !) La deuxième partie du roman m’a semblé plus statique et donc moins captivante. Une fois que le gamin a rendu l’ouvrage, on se serait attendu à quelque chose de fort qui ne vient pas, et la tension dramatique retombe trop vite. Dommage ! C’est un livre que je conseille à tout lecteur sensible à la beauté du style. Cette ivresse noire des mots teintée de bonhomie et d’espoir…
“Certains mots sont probablement aptes à changer le monde, ils ont le pouvoir de nous consoler et de sécher nos larmes. Certains mots sont des balles de fusil, d’autres des notes de violon. Certains sont capables de faire fondre la glace qui enserre le cœur, et il est même possible de les dépêcher comme des cohortes de sauveteurs quand les jours sont contraires et que nous ne sommes peut-être ni vivants ni morts.”
“Celui qui meurt se transforme immédiatement en passé. Peu importe combien il était important, combien il était bon, combien sa volonté de vivre était forte et combien l’existence était impensable sans lui : touché, dit la mort, alors, la vie s’évanouit en une fraction de seconde et la personne se transforme en passé.”
Entre ciel et terre de Jón Kalman Stefánsson. Éditions Gallimard