vin de table

Le livre des ossements – Boubacar Boris Diop

Le 6 avril ’94, l’avion du président rwandais Habyarimana est abattu. C’est le début d’un génocide de grande ampleur, qui trouve ses racines des décennies plus tôt. Les deux ethnies principales du pays étaient à couteaux tirés : les Tutsis, minoritaires en nombre mais représentant l’élite, et les Hutus, partie majoritaire mais plus “paysanne”, se considérant défavorisée, voire brimée.

Depuis les années 60 déjà des tensions existent. La carte d’identité instaurée par les colons belges faisait mention de leur appartenance ethnique… Le début d’une ségrégation administrative, diront certains. Le fossé n’a cessé de se creuser entre les deux groupes, alors même qu’ils se côtoient de près et se mélangent. De nombreuses unions “mixtes” ont lieu. Et lorsque la révolte éclate, ce sont des proches qui s’étripent, des voisins, des cousins, des couples. La guerre éclate de l’intérieur, un peu partout, et se répand comme une trainée de poudre. La mort du président est le point de départ… et le prétexte idéal. Les Hutus accusent les Tutsis d’avoir commandité ce meurtre. Cependant, depuis longtemps, ils avaient établi des listes secrètes dénombrant les membres de l’ethnie rivale. Ils se réunissaient en milices et se procuraient des machettes. Il ne fallait plus qu’une étincelle. Le génocide fera plus de 800.000 victimes directes, auxquelles ils faut ajouter les victimes de la famine qui suivra, les exilés vers le Zaïre, qui engendreront à leur tour d’autres conflits.Couverture Le livre des ossements

L’auteur s’appuie sur des faits historiques et des récits rapportés par des témoins, pour composer un texte qui a l’allure d’un roman. Il re-crée des personnages, tantôt d’une ethnie ou de l’autre, voire militaires français. Les français ne seront pas épargnés, en dépit des subventions françaises reçues pas l’auteur. C’est assez cocasse. Il se permet de faire dire à un colonel français : “…nous avons du sang  jusque là dans cette affaire…” Ce colonel dénommé “Perrin” semble un personnage inventé de toute pièce. On notera le point de vue légèrement différent du général Tauzin, bien réel lui. L’accusation sous-jacente envers le gouvernement est discutable. De même que l’étaient les accusations du général Dallaire envers les forces armées belges. Le premier responsable de ce massacre est le racisme primaire d’une communauté envers une autre, de race plus élégante, plus grande, plus raffinée. Faut-il que nos états se considèrent gendarmes du monde, jusque dans des conflits civils, où il est bien difficile de faire la part des choses ?

À mots entremêles, l’auteur donne la parole à ses différents intervenants de toutes factions, y compris le docteur Karekasi, un des principaux commanditaires hutus. Cela donne un mélange de points de vue. De nombreux personnages se croisent et se recroisent, dans une composition qui rappelle certains romans, comme Ouragan de Gaudé. Interventions narratives parfois courtes, une page ou deux, ou plus longues. Il faut alors une bonne attention et un esprit déductif pour recomposer le fond du livre, et l’on se perd facilement…  La structure du roman est complexe, mais l’écriture peut l’être aussi, et l’on peut avoir du mal à se représenter certaines personnes, mal introduites, sur une toile de fond sommaire. L’idée de la diversité des voix est intéressantes, mais tend à perdre ou dissiper le lecteur. Personnages pas toujours réalistes, dans leur phrasé un peu trop académique par rapport à leurs origines modestes. Un détail en passant, au Rwanda on dit septante et pas soixante-dix.

Cette période de l’histoire est fascinante, mais l’auteur ne l’exploite pas de la façon la plus efficace. En général, la fiction transcende la réalité, ici elle la perturbe. D’ailleurs, peut-on romancer une période de l’histoire aussi tragique sans la travestir ? Si l’on écrivait un roman sur le onze septembre, il paraitrait fade par rapport aux images vues. C’est aussi un peu le cas ici. Dans le même registre, le livre de J Hatzfeld “une saison de machettes” est bien plus convaincant, alors qu’il laisse simplement les témoins s’exprimer. Boubacar Boris Diop lui fait plus une ré-écriture de l’histoire.

Enfin, pour le lecteur qui voudrait une aide pour comprendre les fils de ce roman, il n’est pas inutile de consulter ce site  : mémoireonline.com

Le livre des ossements de Boubacar Boris Diop. Éditions Zulma

Date de parution : 03/03/2011  
Article publié par Noann le 31 mai 2011 dans la catégorie vin de table

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