L’envie – Sophie Fontanel
Chère Sophie.
Alors comme ça, vous soufrez du mal du siècle de la femme. Vous avez perdu toute libido. Du moins, votre personnage central, mais on a du mal à croire que ce soit pure fiction. Ça sent le vécu, et le vécu ça sent drôlement fort, plus fort qu’un camembert à l’abandon depuis dix ans. Et ça vous a donné l’idée d’écrire un livre, une sorte d’éloge du déplaisir, à l’inverse d’une écrivaine que j’aime beaucoup. Une ode à l’absence, qui n’en est pas pour autant une ode à l’homosexualité, ni à l’onanisme. Une consécration d’une période de vide, que vous semblez avoir vécue. On écrit beaucoup sur le vide en ce moment. Les lecteurs s’habituent. Enfin, votre vide n’est pas banal. J’ai senti un désarroi et une amertume, que vous mettez en lumière.
Il faut dire que l’idée est bien dans l’air du temps – mode et post-féminisme oblige… On a commencé par revendiquer d’égalité de sexes, puis celle du plaisir, auquel la femme avait droit, la pauvre, depuis un million d’années on ne la butinait que pour des gosses. Des discours pompeux pour revendiquer son droit au Q, sa zone X, son point G. Et voici à présent le point Zéro absolu, la nouvelle mode. Ça va faire fureur dans les milieux féministes. Je vois ça d’ici : “Fini les mâles. Vive l’absence!” C’est finalement une assez bonne idée à défendre… La femme n’a plus de plaisir. Voilà. C’est normal. Point.
Votre point de vue n’est pas sans intérêt (il a toutefois le défaut d’être à sens unique). On vous attendait au tournant, nous les p’tits mecs. Le sexisme n’est pas loin, mais vous l’évitez adroitement, au début, bien consciente que des hommes aussi liront votre bouquin, et que même si 99 % des blogs de littérature sont tenus par des ménagères femmes, certains journalistes sont mâles, et quelques lecteurs aussi. Prudence donc. Il ne faut pas vexer les ego masculins boursoufflés.
Mais voici que l’homme est pointé du doigt, du bout du petit doigt… Son corps est encombrant, l’homme est maladroit. C’est un peu du ressassé, et un soupçon méprisant pour Nous. Après, ça se corse encore. Le corps de l’homme est laid, dites-vous subtilement, par le biais d’une autre voix. Un vieux stratagème de romancier, quand on a un truc délicat à dire, on le fait par le biais d’un personnage. Certes, sur ce point, je suis d’accord avec vous, nous sommes laids. Enfin, remarquez, les femmes, elles… Moi à choisir entre Richard Gere et Carol Ann Yager (720 kilos) , je réfléchirais quand même.
Un livre parfois étrange, illustré d’exemples qui laissent quelquefois perplexe… Une visite à l’hôpital montre ce déplaisir. L’aiguille dans le pied. Une intrusion inacceptable. Parallélisme avec la sexualité déficiente. C’est amusant mais un peu gros. Quoique… Certains hommes ne l’ont guère plus épaisse qu’une aiguille, parait-il, et moins rigide, en plus…
De déception en déception, le personnage central rabâche son désamour, présenté comme légitime, contre l’avis de tous, les amis qui s’inquiètent, trop bienveillants, harassants même. Mais elle tient bon. Elle n’a plus envie et c’est tout. Ce n’est pas sa faute mais celle de Pierre-Paul-Jacques. Heureusement, à la fin, il y a un espoir de trouver, peut-être, un renouveau. Alors l’envie renait, et on se dit que ce nouvel homme, à l’apparence insignifiante, pourrait faire changer d’avis notre désabusée. Peut-être a-t-elle enfin compris. Peut-être Sophie cette fin est-elle une lumière (que vous ne cherchez pas vraiment le long du bouquin). J’ose espérer que cette désenvie provînt de mauvais choix de vie et que vous, enfin l’héroïne, le réalise et trouve une voie nouvelle, forte de ses erreurs… Ouf, me voila soulagé, mais ai-je bien compris? Si la morale de ce bouquin est que l’on peut avoir un moment de vide, tirer des leçons et rebondir, alors il n’est pas vain. Mais si c’est juste une litanie d’aigreurs… Cependant, on ne voit pas trop clair dans ce jeu. Un défaut de ce livre est d’avoir des intentions pas trop bien affichées, et j’eusse préféré un peu plus de clarté et de vigueur, quitte à choquer. Faute d’intentions bien avouées, je l’ai peut-être interprété à ma guise. Tant pis.
Extrait :
“La nuit, j’étreignais mon oreiller, exactement comme s’il se fut agi d’un être humain à ma portée. J’avais pour lui les égards qu’on a pour celui à qui on ne veut aucun mal. Je le couvais, il aurait fallu me l’arracher des bras pour me le prendre. Oserais-je dire que je l’embrassais ? C’était me livrer au dos d’un homme imaginé par moi, poser mon front entre les omoplates, je l’entourais. Et lui, là-bas devant, il me prenait les mains”
L’envie de Sophie Fontanel. Éditions Laffont