Ma nuit d’amour – Frédérique Deghelt
Frédérique Deghelt fait partie de mes auteurs préférés. Je lis tout d’elle, romans, nouvelles, articulets. Je fais les poubelles au salon du livre dans l’espoir de trouver un ticket où elle aurait écrit deux mots. Pour autant, tous ses textes ne me touchent pas de la même façon…
L’auteure nous conduit de surprise en surprise ces derniers temps, avec la publication de livres singuliers. Récemment, une nouvelle à la couverture rose bonbon. Et puis ce livret d’à peine 60 pages. Elle a su se glisser dans la peau de différentes personnes, assez adroitement, vieille femme, hommes. La voici qui joue le rôle d’une ado… Exercice périlleux où nombre d’auteurs se sont perdus. Écrire comme un enfant est une chose difficile. C’est curieux car nous sommes tous passés par ce stade autrefois. Mais la maturité semble nous façonner et nous formater de manière indélébile, et nous éprouvons de la difficulté à retrouver nos pensées d’alors.
C’est donc le récit à la première personne d’une nuit d’amour, et de tous ses embarras chez une fille de quinze ans. Une nuit d’amour, ou plutôt la promesse d’une nuit d’amour, sa première. Ce qui la met la dans un émoi comme seul peut en connaitre une personne de cet âge. Cette promesse lui monte à la tête comme du champagne. Mais l’amant semble se désister, ce qui ne fait qu’augmenter son trouble…
J’ai beaucoup aimé certains passages, notamment les pensées érotiques de la jeune femme, dites avec une certaine retenue et une affection toute juvénile. Dans ces paragraphes-là, je n’ai eu aucune peine à me glisser dans son esprit et j’ai trouvé les mots vrais. En revanche, certaines lignes sont plus absconses. On retrouve ici une des caractéristiques du style de l’auteur, d’aucuns diront : un défaut. Si ce trait de style passe bien dans un long roman, les développements aidant à la compréhension, dans un texte court chaque ligne devrait être ciselée. Je m’interroge encore sur le sens de quelques phrases, et imagine mal qu’une ado, si intelligente qu’elle soit, puisse les écrire :
“…si quelque chose qu’on aime peut comme ça disparaitre de notre horizon, sans qu’on en discute avec personne ni avec sa mémoire, ça veut dire qu’on est possédé.”
“N’y a-t-il rien qu’on puisse pressentir de sa propre disparition ?”
“Je ne veux pas d’un brouillon. Je suis née pour être une amoureuse, une aventurière, une conquérante de la chair. Je le sais, j’en suis sûre.”
J’ai trouvé ce petit livre globalement très réussi, la fin en particulier, empreinte d’une certaine naïveté, nourrie de ce fol espoir que peut avoir une jeune personne devant l’inconnu, prometteur par manque d’expérience, mais aussi source d’inquiétude… Et ce voyage entre réalité, fantasme et onirisme… Là on retrouve des pensées telles qu’une adolescente pourrait en avoir. Mais quelquefois, l’auteure oublie son âge présumé, et redevient l’auteure-journaliste-prosateure de “La nonne et le brigand”. Néanmoins elle s’approche le plus souvent et avec doigté du mental de la jeune fille en fleurs. Quant à la collection “Actes sud junior”… J’ignore à quelle tranche d’âge s’adresse l’éditeur, mais cet opus me semble nécessiter une expérience minimale de la vie et un bon bagage littéraire pour en percevoir toute la finesse…
Ma nuit d’amour – Frédérique Deghelt. Éditions Actes sud