Et il dit – Erri De Luca
Traduttore, traditore est une paronomase italienne, c’est à dire une expression qui joue sur la ressemblance entre deux mots… Littéralement, cela signifie “traducteur, traitre”. Une manière de dire que toute traduction est une interprétation, forcément infidèle à l’original…
Cette expression illustre bien le dernier livre d’Erri De Luca, traduit dans notre langue… Il contient quelques phrases imbuvables. Or sur Livrogne.com, nous aimons les grands vins qui coulent aisément dans le palais. Mais quelques exemples valent mieux qu’un long discours :
“Elles étaient adressées avec le “tu”, car chacun est un morceau solitaire à tenir serré pour le travailler au tour”
“La terre est notre hauteur piétinable.”
“Il était parti pour la montée un jour à rester à l’abri sous la tente.”
En revanche, d’autres sont riches et pleines de sens :
“Quand un homme agit pour défendre une femme, il fait le seul geste qui justifie sa force.”
“En montant, il rencontrait des arbres, il s’arrêtait près du dernier, celui qui avait pris racine à l’écart des autres, le plus exposé à la foudre. Celui qui s’approche d’un arbre sait qu’il est enlacé par son ombre.”
Le style d’un livre est évidemment à même de modifier une grande œuvre, la porter, la transcender, ou la détruire, à lui tout seul… Aussi suis-je très étonné que les chroniqueurs dont j’ai lu les articles passent ses défauts sous silence, et s’extasient devant le contenu. Il est vrai que même les blogs de particuliers perdent leur indépendance, à recevoir service de presse et cadeaux en tout genre.
Quant au contenu, l’auteur évoque les dix commandements, qu’il présente tour à tour, avec une certaine indépendance mais un éclairage tout de même judaïque. Dans une première partie, l’auteur amène la genèse sous forme d’une historiette. Un montagnard robuste escalade le mont Sinaï. Le ton est évidemment allégorique… La montagne c’est le sommet, mais aussi le point de départ. C’est la frontière avec le Ciel, séparé par une mince peau. La montagne se prête aux plus douces allusions idéologiques, ainsi qu’à des développements d’essence poétique. Ah s’il n’y avait le massacre de la traduction… Ces mots doivent couler dans l’oreille et résonner dans l’esprit, en version originale. L’alpiniste, appelons-le Moïse, entend la voix de Dieu. Il devient l’élu, le messager de son peuple. Il délivre son message aux hommes, les fameux commandements. L’auteur ne les voit pas comme des ordres, mais plutôt comme des guides spirituels aptes à édifier le monde… Il termine par deux courts chapitres, l’un présentant les bienfaits de la voix prophétique, et l’autre où il explique sa motivation, son intérêt pour le judaïsme, mais aussi la distance qu’il entend garder.
Ce court opus entrera plus ou moins en résonance avec les intérêts et convictions religieuses du lecteur. Il ne laissera pas indifférent en tout cas… Mais il ne faudra pas le lire avec un esprit trop rationnel. Le propos est dense et demande une certaine attention et des relectures. Mais quel dommage que la version française soit si hasardeuse… Inacceptable pour un auteur connu et un éditeur qui possède des moyens !
Et il dit d’Erri De Luca. Éditions Gallimard