Les Affreux – Chloé Schmitt
J’avais lu quelques avis assez négatifs au sujet de ce roman, aussi lorsque Price Minister m’a proposé de me l’envoyer, j’ai sauté sur l’occasion. J’avais envie de me faire ma propre idée. D’emblée, je vous invite à aller visiter la page dédiée sur Price Minister
Un homme est victime d’un accident vasculaire cérébral. Il s’exprime à la première personne. D’emblée d’aucuns, dont je fais partie, ne manqueront pas d’être surpris par le ton utilisé par la jeune auteure (Chloé Schmitt a 21 ans). Le style utilisé ne ressemble à presque rien d’autre. Des phrases courtes, lapidaires, où l’auteure ne se prive d’aucun mot du dictionnaire ni même de certains néologismes, et flirte avec les limites de la grammaire, voire du mauvais côté de cette limite… Le ton est sans aucun doute la particularité la plus marquante de cet ouvrage. Alors autant le dire tout de suite, on raffole ou on déteste. On entre dedans de plein pied ou on laisse le bouquin nous tomber des mains. En ce qui me concerne, un peu surpris au début, je me suis accroché, et ma foi, l’aventure est assez dépaysante.
Le style d’écriture, qu’on l’aime ou pas, a une grande qualité finalement : il transcrit bien le désordre, l’amertume, le désarroi tel qu’un homme victime d’un AVC pourrait le ressentir. Un AVC est un incident grave qui laisse souvent des séquelles cérébrales. Dans ce cadre-là, le roman peut être considéré comme une tentative de dépeindre dans toute son horreur la vie traumatique du malade, sa vision exaltée, déformée des choses. “Les affreux” porte bien son titre : les personnes qui gravitent autour du malade sont toutes d’horribles individus, délurés, dévoyés, sordides, dans un monde en pleine déliquescence. Il n’y a guère de lumière salvatrice dans ce roman, qui nous permettrait de nous réjouir, d’espérer, ni un début d’intrigue pour nous tenir en haleine. C’est dur, lourd même, impitoyable. L’auteure possède un talent incroyable pour nous plonger dans les tourments de l’âme humaine.
Cependant, d’aucuns dont moi, trouveront que cet ouvrage comporte deux lacunes principales; La première est que le ton utilisé est constant. S’il traduit bien tout le négatif que peut ressentir le personnage principal, on peut éprouver une certaine lassitude, voire un dégoût, pour ce monde décrit avec tant de féroce noirceur. Je pense toutefois que l’auteure aurait gagné à alterner entre l’écriture féroce du malade et une autre, plus narrative, voire introduire d’autres point de vue, ou plus de dialogues. Qui sait. Certes ces méthodes sont banales, et l’auteure semble vouloir se démarquer. Mais il ne faudrait point, pour être original, négliger pour autant les techniques qui ont fait leurs preuves… La seconde lacune, c’est que d’aucuns, et même les autres, chercheront un fil auquel s’accrocher, un message, une motivation, une philosophie de l’auteur. En ce qui me concerne, je continuerai à m’interroger longtemps sur l’objectif poursuivi. Est-ce de nous faire plonger dans un monde de noirceur, tellement obscur que le lecteur suffoque ?
“Faut avoir l’esprit collectif dans la mort, agoniser au fond de la tranchée, pourrir en ordre comme tous les autres cadavres, encore au garde à vous. Un A.V.C., petit à petit, c’est mal vu, ça voile de honte la famille. Qu’il ose pas sauter… Qu’il se raccroche… Des siècles de lâcheté familiale remontent en mémoire et on les plaque dans le bout de vie qui vous reste encore !… C’est comme naître, crever, d’un coup, ça fascine, mais dès que ça se perd dans le douleur, le temps, c’est plus que du mou bien dégueulasse !…”
Ma note : 12/20
Les Affreux – Chloé Schmitt. Éditions Albin Michel