L’archipel du Chien – Philippe Claudel
Aujourd’hui l’air est suffocant, pas la moindre brise pour rafraîchir un peu l’atmosphère. C’est une île, une terre désolée, quelque part en Méditerranée, semble-t-il, la seule habitée de l’Archipel du Chien. Sous le dais de nuages de chaleur vit une communauté coutumière de l’isolement et de la nature très rude. Ce petit monde vit en autarcie et survit grâce aux produits de la mer. La mer, mamelle de tous les bienfaits, certes… Mais aussi celle qui sera source de malheurs.
Un matin, qui ressemblait à tous les autres, trois corps d’hommes noirs sont ramenés sur la côte par les vagues. La quiétude et l’équilibre de la communauté sont tout à coup bousculés. Des secrets enfouis se dévoilent tandis que les lâchetés de quelques habitants du hameau vont se révéler au grand jour.
Trois jeunes hommes avaient fui un pays qui ne pouvait rien leur offrir pour échouer en fin de compte sur une plage peuplée d’ermites qui nourrissent le rêve de ne pas avoir d’histoires, de ne pas être mêlés surtout à cet événement sordide qui pourrait ternir leur petite vie cloisonnée et nuire à leurs projets de développement de leur île. Alors, plutôt que se ranger à la raison et donner à ces cadavres de dignes obsèques, ils se retranchent derrière un mur de veulerie et préfèrent oublier très vite ce sinistre événement et archiver celui-ci à jamais dans les tiroirs de leur mémoire.
Ainsi le curé, le maire, une institutrice à la retraite, le docteur, tous acquiescent pour étouffer désormais cette tragédie. Hormis l’instituteur. Et comme il n’abonde pas dans le sens de la mêlée, ceux qui s’arrogent le pouvoir de décider, il sera considéré très vite comme celui qui dérange et devra subir la loi de la communauté, lâche et veule. Et il va payer très cher sa décision de faire cavalier seul…
Certains romans de Philippe Claudel sont gravés dans ma mémoire à jamais. Je pense à La petite fille de Monsieur Linh, Les âmes grises, L’arbre du pays Toraja, mes préférés, qui m’avaient particulièrement enthousiasmée. D’autres m’avaient aussi profondément déçue… En revanche, ce dernier opus, revêtu d’une belle jaquette m’a d’emblée inspirée en librairie. Indéniablement, certaines thématiques traitées sont intéressantes et universelles.
L’auteur nous livre ici un récit suffocant qui met en exergue la vilénie des hommes, leur recherche continuelle d’un bouc-émissaire pour fuir la réalité et esquiver leur responsabilité. Certains passages comportent des descriptions si réelles qu’elles en deviennent presque palpables. Les scènes et les rituels auxquels se livre le village relèvent d’un scénario de film d’aventures, les remugles et les parfums sont perceptibles.
Une île, un arrêt sur image, où se jouxtent à l’envi des humains ordinaires, déguisés en monstres, une alcôve où séjournent des hommes encroûtés dans leur confort, la compassion à mille lieues d’eux…
L’archipel du Chien de Philippe Claudel, éd. Stock