La Pudeur des sentiments – Dalila Heuse
Voici un titre qui a abouti mystérieusement dans ma boite aux lettres… Et en feuilletant les premières pages, je vois que c’est l’histoire d’un homme qui reçoit mystérieusement un livre.. Dans sa boite aux lettres. Amnésique, victime d’un AVC, cet homme commence sa lecture et des morceaux de sa mémoire se remettent en place. Qui est donc cette petite Doriane qui raconte son histoire ? Qui est cette petite fille qui a tant souffert, sous l’emprise d’un monstre qui l’attaque la nuit, et qu’elle nomme “la bête”. Et qui est cette bête ? L’homme découvre atterré une bien sombre histoire d’inceste.
Le livre se présente comme un polyptyque, et nous suivons en parallèle la lecture de cet homme, le récit de la petite Doriane, mais aussi l’accident de Léa, qui tombe dans le coma suite à un accident de voiture. Quel est le rapport entre ces personnages ? Nous ne tardons pas à le découvrir, même si le fin mot n’arrive… Qu’à la fin. Ce qui se présente comme une intrigue est donc rapidement dévoilé… Mais qu’à cela ne tienne, la construction de l’ouvrage nous tient en haleine, et surtout le sort de cette petite Doriane, qui livre ses émois, de façon très réaliste et très convaincante. Si réaliste que l’on se demande si ce n’est pas une histoire vécue. Les mots sont touchants, douloureux, prenants. Le lecteur n’aura aucun mal à se glisser dans l’esprit de cette petite fille, maltraitée et pourtant aimante, qui cache son calvaire pour protéger sa famille. Les passages sur l’inceste sont hurlants de vérité, et la façon dont la petite fille conte son histoire, sa pudeur et son courage, ne peuvent laisser indifférent. Le sens du détail, les pensées intimes et les aléas de cette histoire donnent un tour particulièrement saisissant. Le temps va passer pour la petite Doriane et heureusement son avenir ne sera pas totalement morose. La suite est plus conventionnelle, des histoires d’amour, des exploits sportifs, moins détaillés et étayés que la première partie, plus romancés peut-être, on n’est plus vraiment dans le vécu mais dans la fiction romanesque.
Premier ouvrage semble-t-il d’une auteure belge, qui a connu un relatif succès suite à sa parution sur Internet. L’on peut toutefois regretter certaines tournures de phrase un peu ampoulées, à-côté d’autres extrêmement riches. Le fait d’avoir eu 15.000 lecteurs n’est pas tout, et comme le dit Werber : “ce n’est pas parce que vous êtes nombreux à avoir tort que vous avez raison”. Aussi l’ouvrage eût-il pu être mieux encadré et relu, de façon à l’épurer de quelques fautes de grammaire, de tournures hasardeuses. Les qualificatifs sont un peu trop présents, comme “terrible”, “grave” ou “triste” qui reviennent souvent, ajoutant un inutile pathos au pathos. En outre, l’expression “roman autobiographique” n’a pas de sens. Un roman est une histoire inventée et une biographie une histoire vraie.
Cela dit, l’auteure est extrêmement douée pour communiquer de l’émotion et c’est le principal. On vibre souvent en lisant ses lignes, surtout dans le drame que traverse la petite fille. Le reste n’est finalement que paroles, comme dans tout roman.
“Mon corps tremblant écrasé par le poids de cette masse mouvante s’écartela et se déchira sous ses œuvres. Comme un oiseau qu’on empale, quelque chose d’inconnu s’empara violemment de ce que j’avais de plus pur, de plus tendre et, avec une brutalité indescriptible, pulvérisa mon âme d’enfant. La terreur tuait peu à peu le raisonnement qui emmenait lentement mon esprit loin de mon corps meurtri. J’étais en enfer. Le temps avait suspendu son vol ; la douleur n’avait pas de fin ; je voulais me dégager ; je voulais qu’on arrête de me faire mal ; je voulais maman.”
La Pudeur des sentiments de Dalila Heuse. Éditions Mazarine