L’homme mouillé – Antoine Sénanque
1938 en Hongrie. Des événements majeurs se préparent. L’Autriche vient d’être annexée à l’Allemagne. Pour les nationalistes, c’est une chance inespérée. En effet, des millions de Hongrois se sont éparpillés dans des pays limitrophes, principalement en Tchécoslovaquie et en Roumanie, depuis 1919. Le petit nabot moustachu à Berlin pourrait les sortir du marasme. Pal Vadas, employé de poste, est de ceux qui s’intéressent au nazisme. Mais histoire et politique passent rapidement au second plan, car Vadas est atteint d’une maladie étrange. Il transpire des litres d’un liquide proche de l’eau de mer. Le récit se concentre alors exclusivement sur ce phénomène, et les moyens exceptionnels que les autorités vont mettre en œuvre pour l’élucider. On pratiquera sur lui divers examens, une trépanation (beerk), puis des chocs électriques pendant une heure (re-beerk). etc etc etc… Vadas devient même un enjeu politique…
J’hésite sur la façon dont il faut interpréter ce roman. Est-ce une farce, une dénonciation de la folie de l’homme, un pamphlet sur des techniques obsolètes, une dénonciation de l’expérimentation médicale ? Pour moi, ce livre a un gros défaut : la manière clinique dont les événements sont décrits. D’ordinaire dans un roman, on sent toujours une voix, même si elle s’exprime à travers les personnages. Ici, le ton est d’une froideur laborantine. Les faits sont rapportés dans un style scientifique, on croirait presque lire un éditorial de Science AM ( je dirais même de Science et Vie)… Il y a quelques idées philosophiques assez intéressantes, mais j’ai eu le sentiment que l’auteur, neurologue, se rabattait sur un domaine qu’il connaissait, alors que tout était en place pour dessiner un roman captivant, sur fond d’entre-deux guerres, de trouble, d’euphorie hitlérienne.
J’ai vu la maladie de Vadas comme une illustration d’un cas psychosomatique. Ses sudations seraient l’expression d’un trouble social, d’une angoisse, voire l’angoisse de tout un peuple incarné en lui. Ce serait une métaphore de l’énorme trouble viscéral causé par des temps difficiles ? C’est ainsi que j’ai saisi la morale du livre, mais je ne suis pas sûr d’avoir tout compris. J’aurais apprécié que cet homme mouillé reste au second plan, comme exemple, et que le contexte geo-politique garde le dessus. Cette période fascinante de l’histoire est éludée au profit d’ un cas clinique, certes emblématique et métaphorique, exploité de façon subtile, mais qui ne m’a pas enthousiasmé. Pire, les descriptions d’expériences, heureusement sommaires, m’ont suffoqué. En dépit du talent de l’auteur, qui dessine une peinture savante, je me suis demandé son but tout au long de ma lecture. Est-ce de nous donner des sueurs froides ? L’homme mouillé, ce serait le lecteur… En tout cas moi cette histoire ne me fait pas mouiller du tout.
“- Malade ? avait répété le professeur avec incrédulité. Je ne crois pas que vous soyez malade, ou bien pas de la façon commune dont vous l’entendez. Vos symptômes ne doivent rien au hasard. D’ailleurs je ne crois pas à l’innocence des maladies. La volonté de vous nuire est propre. On multiplie à dessein la division de nos cellules, on ferme la lumière de nos artères, on s’infecte par volonté, peut-être par désir.”
L’homme mouillé – Antoine Sénanque. Éditions Grasset