La nuit d’ivoire – François Devenne
“Je t’ai choisi, Olelaïga. Je souhaite que tu me suives dans mon voyage”
C’est la voix sourde d’un éléphant, qu’entend un jeune guerrier Massaï dans ses rêves. Ce n’est pas tous les jours qu’un animal parle à un homme. Aussi Olelaïga voit-il dans cette parole un message divin. Il décide de suivre un éléphant qu’il croit être le messager, dans l’espoir qu’il le conduise au massif du Ngorongoro, et lui délivre une vérité suprême…
Parallèlement, Joshua, un jeune paumé, fuit le drame. Son frère a été assassiné par des badauds qui le croyaient coupable de vol. Joshua se joint à un groupe de trafiquants d’ivoire mené par Ben, un truand notoire qui ne s’épanouit que par le viol, le meurtre, et le commerce illicite. Les deux hommes sont à couteaux tirés. Néanmoins ils se supportent, abattent quelques bêtes, vendent l’ivoire. Joshua se retrouve seul et désœuvré, passant ses journées à fumer de l’herbe et à tirer quelques prostituées ou vieilles rombières blanches en quête d’exotisme.
Deuxième partie. Joshua fait connaissance d’un vieux sage qui s’est constitué une tribu de six femmes et moult progéniture. Le sage raconte à Joshua une vieille histoire, qu’il devra apprendre par cœur. Joshua se laisse prendre au jeu, et entamera de la sorte une conversion…
L’auteur nous parle avec la force de son expérience et de sa passion. Il nous fait plonger dans cette Afrique austère, riche de traditions et de contradictions, terre de sang et de feu, sujet de querelles de tribus et de jeux d’influence.
Une écriture ciselée, extrêmement précise, mais qui n’en est pas moins poétique. Une étonnante balade dans la brousse, dans un style qui la reflète, dense et riche, odieux, martial, gouailleur. Les descriptions de cette nature sauvageonne sont époustouflantes de réalisme. Et les personnages sont eux aussi bien dessinés, vifs, vils, emportés, déchirés entre besoins et voix intérieures.
Cependant aussi, ce roman peut dérouter. L’impression vient de s’embarquer dans un frêle esquif sur un fleuve puissant. Le lecteur se retrouve ballotté, chahuté de toute part. Le fleuve s’emporte. Mais que se passe-t-il ? Voilà que l’auteur emprunte des voies d’eau secondaires et semble s’égarer. Le récit patauge parfois… avant de reprendre. L’abondance de détails donne de la vie et du relief, mais confère aussi une allure lente à l’histoire. Plus qu’un roman, ce livre est un témoignage intéressant et instructif, une pièce documentaire maitresse dans l’histoire de l’Afrique. Il donne une vision crue et sans concession de cette partie du monde oubliée, mais cependant grouillante de vie.
“Le manyata est situé sur le plateau. Ici la terre a tiré un trait sur l’horizon, revêtu un bois clairsemé. et laissé les rivières creuser leur lit sous l’ombre de grands arbres. Un soleil féroce s’acharne sur le sol., comme s’il voulait y tatouer le dessin des feuillages. Olélaïga chemine torse nu, le dos ruisselant de sueur. Par endroits, les arbres se regroupent en bosquet autour d’une termitière; gros château ocre au donjon bordé de tours.””
La nuit d’ivoire de François Devenne. Actes sud