La confusion des peines – Laurence Tardieu
Le dernier livre de Laurence Tardieu est en fait une lettre à son père. Celui-ci a été condamné en 1996 à la Réunion pour corruption à 24 mois de prison, dont 6 mois fermes. Une sentence plutôt lourde pour un fonctionnaire qui a agi dans l’exercice de ses fonctions. Il était cadre à l’ex Compagnie générale des eaux.
Plus qu’un récit ou une biographie, “La confusion de peines” est surtout un recueil d’émotions… Et un livre sur le silence. Car dans cette famille on ne s’épanche jamais. Ce n’est même pas que le silence soit d’or, il est tout simplement là, partout, il fait partie des mœurs familiales. Les effusions et déballages de sentiments n’ont pas cours dans cette famille bourgeoise. Dès lors, on comprend ce besoin compulsif de parler. Son père lui demande de ne pas écrire sur ce sujet délicat, elle transgressera sa volonté, par besoin, besoin de se vider, mais aussi besoin impérieux de trouver des réponses. L’écriture de ce livre donnera-t-elle des explications? Permettra-t-elle de débroussailler les mobiles de cet acte, ou de faire la lumière sur un aspect ou l’autre de la personnalité du père ? Rien n’est moins certain. L’écriture n’apporte pas forcément des solutions… Pourtant, elle est parfois un passage indispensable, car comment se vider l’esprit d’un poids insoutenable, quand personne n’est disposé à partager le fardeau? Comment se délester d’un secret ? La rédaction de se livre semble une étape obligatoire, même si le résultat sera probablement en dessous des espérances…
Au fil du récit, elle tente de comprendre. Elle ne voit pas la faute, contrairement à sa sœur qui elle condamne son père sans appel. Elle voit l’homme, comment il était, ce qu’il a fait de bon, sa gentillesse, sa générosité. Pourquoi un père si tendre se retrouve-t-il derrière les barreaux ? Il n’a peut-être fait que son travail. Les gros contrats s’obtiennent toujours à coups de malversations, c’est la règle dans les grandes marchés publics. Ce père pourrait avoir agi simplement par la nature même de sa fonction, et sous la bienveillance de sa hiérarchie, qui a présent se soustrait de ses responsabilités. Il pourrait à son niveau n’être qu’un simple bouc émissaire. L’amour de sa fille prend le dessus, envers et contre tout, et on a l’impression que ce père là pourrait avoir commis les pires ignominies, elle continuerait à l’adorer.
L’auteure nous conduit, à travers ses pensées foisonnantes, dans sa quête de vérité et d’absolu, avec un style sensible, tout empreint d’émotions. Mais c’est aussi un livre très personnel, très intimiste, dans lequel on n’entre pas forcément. C’est malgré tout un beau témoignage d’amour.
“Un beau matin, les juges ont décidé de mettre un peu d’ordre dans tout ça. On a su que ça sentait le soufre. Ils ont eu accès aux dossiers, ont perquisitionné les bureaux, cherché, fouillé, enquêté. Ils ont trouvé ce qu’ils cherchaient. Mis au jour les manœuvres frauduleuses. Ceux qui ont pu ont affiché des mines offusquées. Ils ont joué les candides, les innocents : moi rien savoir. Restaient les autres, ceux qui ne pouvaient pas s’enfuir. Ceux qu’on cueillait la main dans le sac. Tu en faisais partie.”
“Je voulais convoquer des images d’avant le basculement. Je me rends compte en écrivant combien cette période de ma vie, la détention de mon père et la mort de ma mère, a tracé une ligne de rupture définitive.”
La confusion des peines de Laurence Tardieu. Éditions Stock