À cause d’un baiser – Brigitte Kernel
“Peut-on aimer deux personnes à la fois ?”, telle est la question déployée sur la traditionnelle bannière. À brûle pourpoint, j’ai répondu sans hésiter : “oui certainement”. J’en étais convaincu en tant qu’homme, oui on peut aimer deux personnes, deux femmes, deux hommes, voire une femme et un homme. Mais ici, l’auteure se place dans un contexte particulier. La question est plus épineuse. Son personnage semble très personnel, c’est une femme qui vit avec une autre femme, Léa, depuis trois ans. Un jour elle fait la rencontre de Marie… Une rencontre coup de foudre, qui aboutit à un long baiser… La voilà aussitôt prise d’un immense remords. Où va la mener cette incartade ? Aime-t-elle Marie ? Mais surtout, il y a Léa, pour qui elle avait tout abandonné, pour qui elle avait quitté Olivier, au grand désarroi de ses parents. Il y a Léa plus que tout, un amour immense, un puits d’amour sans fond. Et à présent, il y a aussi Marie. Et même si elle se promet de ne plus la revoir, le cœur dépasse souvent la raison, la transcende parfois…
Elle décide de dévoiler son incartade à Léa. Celle-ci le prend de façon tragique. La douleur s’immisce dans le cœur de Léa, un réseau de petites fissures. S’agissait-il d’un seul baiser ? Y a-t-il eu une relation intime ? Trois années de complicité viennent d’éclater. Même si l’aveu de ce baiser pourrait être pris comme de la franchise, le doute s’est infiltré en Léa. D’abord furieuse, elle décide de passer outre, apparemment. Elles partent toutes deux comme prévu en Norvège pour des vacances planifiées depuis longtemps. Léa-Marie, Marie-Léa. Une confusion terrible s’empare de leurs cœurs et de leurs âmes. Les deux femmes se mettent en quête de vérité, avec beaucoup de douleur. Marie reste très présente. Personne n’est plus sûr de rien, les sentiments se font et se défont. Le couple femme-femme va-t-il résister aux douleurs de la méfiance ? La réponse à cette question ne viendra que dans les toutes dernières lignes. Peut-on aimer deux personnes à la fois ? J’en étais convaincu, les deux héroïnes de ce roman se poseront cette question lancinante tout au long de leur reconstruction, sans forcément trouver la réponse idéale.
Par une écriture sobre, tout empreinte de sensibilité, l’auteure nous conduit dans les pensées intimes de deux femmes en perdition, à la recherche d’elles-mêmes, dans un prisme amoureux et sensuel qui évolue au cours du temps, sans jamais aboutir à la figure idéale, si ce n’est par le drame. Le style décrit parfaitement les états d’âmes du couple féminin-féminin, avec de longues introspections, des questionnements, des déclarations sentimentales.
Une suite d’incantations sur trois cents pages. Les lignes de Brigitte Kernel sont généralement assez tristes. Le lecteur parcourt cette ode à l’amour féminin suffoqué, espérant une issue, un dénouement, ou un nouvel événement qui va relancer cet amour fou. Mais durant tout ce cheminement, les reproches reviennent, comme des vagues immenses. L’ensemble apparait nostalgique, sombre et chaleureux à la fois. On a envie qu’un amour si fort survive…
“Cinq minutes ont passé, elles m’ont semblé durer un siècle, c’était étrange, le corps même de Léa paraissait ne plus être adapté au mien, c’était un peu comme si une pièce n’entrait pas dans le puzzle, je ne me sentais plus adaptée, j’étais en contrée connue autrefois, un terrain devenu soudain étranger, une transformation avait eu lieu en ma profondeur, l’empreinte du corps de Marie avait pris toute la place.”
À cause d’un baiser de Brigitte Kernel. Éditions Flammarion