Nuage de cendre – Dominic Cooper
L’histoire se passe en Islande au XVIIIième siècle. À cette époque, l’Islande était encore sous domination danoise, royaliste. Le pays est contrôlé par des shérifs, le plus souvent issus de l’aristocratie danoise, tel Jens Wium, homme grand et fier, adjoint de l’intendant au roi. Les shérifs sont supposés faire régner l’ordre, ils possèdent les plus grosses maisons, sont chargés de récupérer les impôts, versés sous forme de biens, auxquels ils prélèvent un plantureux bénéfice. Jens Wium est un homme ignoble et détesté, en particulier haï par un autre shérif : Thorsteinn Sigurdson, de 13 ans son ainé. Celui-ci soupçonne son homologue danois de détournements de fonds, au détriment de l’état. Il va tenter de le confondre. Pour ce faire, il engage un associé, qui jouera le double jeu, en travaillant comme adjoint de Jens, tout en essayant de lui soutirer des informations… La tension est vive entre les autochtones et les colons ; les Islandais sont obligés d’acheter en priorité aux marchands danois, ce qui alimente leur ire. L’Islande ne deviendra indépendante qu’en 1918
Puis vient l’affaire Sunnefa… Sunnefa est une jeune femme accusée d’avoir eu un enfant avec son frère Jón. Ce crime est passible de la peine de mort dans ce pays aux croyances luthériennes bien ancrées. Jens Wium est chargé de traiter le cas, et il sera impitoyable face à cette enfant d’une grande beauté qui le nargue. Cependant, Jens meurt dans des circonstances étranges, et c’est aux descendants qu’appartient désormais de s’occuper de Jón et Sunnefa. Mais les fils de ces deux pointures n’en finissent pas de se questionner sur les responsabilités et les actes de leurs parents. Leurs morts n’étouffe pas l’affaire, bien au contraire.
Je donne à cet opus la célèbre gratification de “premier grand cru”, enfin bref je lui donne 4 verres, et ce d’abord pour son écriture. Voilà un livre écrit en anglais par un auteur vivant en Écosse, traduit en français, et qui relate une histoire islandaise vieille de deux siècles. Et pourtant, il est non seulement d’un style impeccable – on dirait qu’il fut écrit en français – mais aussi d’une grande rigueur quant aux descriptions de ce pays étrange. Le lecteur sera inévitablement transporté dans le temps et l’espace, plongé nu dans les eaux glacées du Beruflördur, puis ébouillanté vivant dans le magma des volcans en éruption, et secoué par les vents du nord, dans des description de toute beauté. Ensuite, je rendrai grâce à la construction élaborée du récit, sur diverses époques, pas le biais de plusieurs voix narratives entrecroisées. L’auteur amène chaque élément à son tour, de façon à faire régner le suspens. C’est même assez compliqué, il faut parfois s’accrocher pour suivre, d’autant que les noms islandais ne sont pas facile à retenir. Il n’est pas inutile de prendre quelques notes en apostille.
Cependant aussi, et malgré la célèbre gratification, enfin les 4 verres, j’émettrai quelques petits bémols. La recherche de sensation est dans ce roman assez systématique. Tout est dramatique, chaque phrase ajoute du drame au drame. Il n’y a pas un instant de soleil ni de bonne humeur. Le climat est lui aussi rendu sordide, entre hivers rigoureux et pluies de cendres, on se demande même comment ils ont survécu, il ne fait pas bon vivre dans un roman de Cooper… Pour avoir été en Islande, je dois dire que le trait est un rien forcé. Ce pays n’est pas si cataclysmique qu’on le fait entendre en général… L’histoire elle-même est dense mais parfois difficile à suivre, tant il y a des changements de point de vue, parfois radicaux, et des sauts dans le temps… Cela dit, d’un point de vue littéraire, il mérite une mention spéciale, de même que pour l’éblouissante traduction. C’est une plongée angoissante dans un pays qui cultive ses fables et ses secrets. Il parait même que c’est le pays où il y a le plus d’auteurs… et de lecteurs, toutes proportions gardées. Ceci est assez étonnant, pour une langue endémique parlée par 300.000 personnes.
“La petite ferme de Skál était isolée au pied des collines. À l’est, il n’y avait qu’une cinquantaine de kilomètres de terres agricoles avant les énormes falaises du Lómagnúpur. Et au-delà du Lómagnúpur il n’y avait pratiquement rien. Rien à part les noires plaines de sable glaciaire et les innombrables rivières, grandes et petites, qui se tortillaient et se frayaient tant bien que mal un chemin du glacier jusqu’à la mer. Les rivières de ces plaines de sable étaient profondes, tumultueuses et terriblement froides, et les franchir à gué revenait toujours à se remettre entre les mains de la providence.”
Nuage de cendre – Dominic Cooper. Éditions Métailié