Mémoires d’un chien jaune – O. Henry
Voici un petit livre singulier d’à peine une centaine de pages, publié par une maison toute récente, les éditions Artibella. Selon son directeur, Rémi Goutayer, la maison entend se démarquer par une ligne éditoriale bien précise et non conventionnelle. Ceci me semble un excellent choix… Le nombre d’auteurs et d’éditeurs n’est pas en diminution, alors que les lecteurs semblent s’éparpiller et passer de plus en plus de temps devant des écrans et des sites tels que les forums ou les réseaux dits “sociaux”, véritable gouffres où la culture se perd.
Artibella lance donc une ligne éditoriale, qui se démarque immédiatement en faisant bonne impression. Le premier ouvrage publié est de belle facture, et si l’image de couverture est plus simple que celles d’Actes sud par exemple (en fait il n’y a pas d’image mais une jolie bannière jaune-gris), la finition est excellente et très professionnelle ! Une ligne bien précise et une bonne promo, voilà deux qualités essentielles pour un éditeur, surtout à ses débuts. L’éditeur a choisi un bon moyen de promotion puisqu’il nous a fait confiance (merci à lui). Bref, je plaisante un peu, mais comment ne pas s’amuser, puisque la première publication de la maison, “Mémoires d’un chien jaune” est aussi bourrée d’humour !
L’éditeur remet à l’honneur un grand écrivain nouvelliste du début du XXième siècle : O. Henry, de son pseudo, qui s’appelait en fait William Sydney Porter. Jetez un œil ici … O. Henry a écrit des centaines de nouvelles, ayant pour cadre essentiellement la vie sociale américaine au tournant du siècle (dernier).
“Mémoires d’un chien jaune” est un petit recueil de six nouvelles décapantes. Le ton est humoristique, sarcastique même. L’auteur dépeint la société américaine de l’époque avec férocité. Tantôt c’est un chien jaune qui s’exprime… Il déteste les familiarités et peste contre les manies de sa maîtresse qui le considère comme un objet, lui qui aspire à être estimé. L’auteur a une voix forte et la fait résonner dans ses personnages. Le chien jaune a du tempérament, de même que les figures de proue des autres nouvelles. Ainsi nous sommes pris dans les manigances de deux escrocs qui entendent faire un gros coup à Wall Street. Ils y rencontrent l’illustre JP Morgan en personne, affairiste notoire, qui leur jouera un bon tour. Nous ferons connaissance avec deux jeunes femmes artistes, dont l’une gravement malade refuse de se battre. Elle pense que son chemin sera terminé lorsque la dernière feuille d’un arbre tombera. Pourtant une feuille résiste… Dans une autre nouvelle, un clochard entend commettre un délit pour passer l’hiver logé et nourri en prison. Mais toutes ses ruses échouent… Un tandem d’amis se retrouve dans une cahute qui est prise d’assaut par la neige. Ils se mettent à lire, mais ils tireront chacun des enseignements très différentes de leurs lectures…
L’auteur met en scène les travers et particularités des gens de son époque, dans des situations particulières, parfois poussées à la limite de l’absurde… Il passe le monde sous une sorte de loupe très personnelle, et met ainsi en relief des comportements insolites et amusants. Mais il ne nous sert pas une liqueur littéraire prête à être avalée. Le millésime que nous donne O. Henry est succulent. Cependant, il se déguste à petites gorgées, et le lecteur doit avoir un palais raffiné, ainsi qu’un sens de la déduction, pour apprécier les mille et une saveurs de ce breuvage complexe. Ce n’est pas une lecture qui s’avale comme une bibine de grande surface, mais qui se savoure plutôt page après page, avec quelques pauses et des relectures. Un grand vin se mérite… Idée judicieuse d’avoir donné un nouvelle essor à ce recueil !
Mémoires d’un chien jaune – O. Henry. Éditions Artibella