Manuscrit zéro – Yôko Ogawa
Un hôtel perdu dans la montagne japonaise. Derrière, un minuscule sentier qui mène à un étrange restaurant. L’on y sert exclusivement des mousses, et à côté de chaque plat est déposé une boite avec un échantillon de la plante, et une loupe pour l’observer, entre deux bouchées. C’est délicieux paraît-il…
Une maison d’enfance, peuplée d’une grand-mère et de deux inséparables amies, dont les relations sont ambiguës.
Une école où il s’agit de se faire passer pour ce qu’on n’est pas : une parente d’élève. Il faut passer la porte, surveillée de près par des cerbères.
Un concours de pleurs d’enfants… Divertissement très nippon.
Quel rapport entre toutes ces histoires ? Peut-être aucun, sinon qu’elles composent le “Manuscrit zéro”. Le titre est déjà une intrigue. Manuscrit au point mort, inachevé, débutant, raté, en devenir, ou projet de livre, figure de pensée ou construction de l’imaginaire…?
Mieux vaut ne pas se poser de questions et se laisser porter. Personnel, intime, ce livre emprunte des éléments d’une vie, sans doute celle de l’auteure même. Et d’autres vies entremêlées, de chercheuse, conférencière. De nombreux fils conducteurs mélangés. Mais voilà que des chapitres se terminent de façon abrupte. Des ébauches, considérées mauvaises, sont abandonnées. Et des fragments restent, se profilent, se dessinent. Manuscrit dix-huit feuillets, trois feuillets… Le lecteur suit médusé ce périple littéraire. Il n’a plus qu’à se laisser faire et tenter de recomposer son chemin de lecture parmi ce dédale de la pensée. Yôko nous mène, nous conduit par de petits tours dans son imaginaire, à moins que ce soit sa vie romancée, bien que comme à son habitude, elle reste pudique et réservée, ce qui apporte encore une note d’étrangeté. De pirouette en impasse, elle ne craint pas de nous déstabiliser.
L’univers de l’écrivain japonais est bien là, conforme à lui-même, une esquisse patiemment dessinée, de jolis traits, une ambiance. Il reste que, si certains lecteurs s’amuseront à deviner et retracer un manuscrit cent pour cent à partir de ce Manuscrit Zéro, d’autres pourraient abandonner en cours de route, perdus dans la perplexité de ce texte à l’allure de puzzle en trois dimensions. Il s’agit peut-être d’une pièce centrale dans l’œuvre de Yôko Ogawa, qui pourrait bien éclairer toutes les autres.
“C’était une modeste construction dont les planches par endroit étaient tordues, à moitié pourries et bien sûr moussues. Seules les plaques de cuivre sur le toit étaient couvertes de vert-de-gris en harmonie avec le milieu, au point que l’on ne pouvait pratiquement pas les distinguer des mousses. ‘Restaurant spécialisé dans la préparation des mousses’, était-il écrit sur le panneau”
Manuscrit zéro de Yôko Ogawa. Actes sud