Regarde les lumières mon amour – Annie Ernaux
Défi gagné pour Annie Ernaux que d’oser approcher une thématique rébarbative et insignifiante à la fois, en donnant à celle-ci toute la magie, tout simplement en se livrant, en donnant en lecture des bouts de vie… dans un supermarché. Ainsi, pendant une année, l’auteur a noté çà et là tout ce qui l’interpellait lorsqu’elle parcourait les rayons d’un grand magasin. De la publicité mensongère aux fausses promotions en passant par la librairie et les articles féminins, les jouets. Entre parangon écologique et étalage d’une mode tendance exposant tour à tour ce qu’il faut porter cet été, manger cet hiver, ou lire encore pour parler en société, cette société poussée à l’extrême dans une course au libéralisme mais teintée de perdition.
Une immixtion passionnante dans des lieux d’une banalité affligeante qui n’appellent d’ordinaire aucun émoi. Grâce à une plume sans fard, imbibée d’humanité, l’auteur nous livre un beau témoignage d’un quotidien qui nous parle à tous et l’on finit même par s’émouvoir de situations qui auparavant ne nous avaient guère marqués ou interpellés. Ainsi, le quotidien de chacun devient une sorte de rendez-vous avec un monde empreint de désespérance, des gens qui, derrière leur masque de sourire, portent en eux des déchirures du passé, des désarrois larvés,
Férue de l’écriture de l’auteure, remplie de vérité et de simplicité, je me suis une fois encore laissée porter par les mots limpides et sincères qui donnent à chaque paragraphe une grandeur et un message intense alors même que le sujet pourrait sembler dénué du moindre intérêt. Ici la vie s’arrête le temps d’une escale dans le monde de consommation où chacun trouve sa place et partage le temps de quelques heures les fragments de vie d’un voisin croisé au hasard, d’un collègue, ou encore d’une midinette en panne d’inspiration qui se cherche à travers la mode, d’un enfant tête baissée lisant en cachette une BD au rayon librairie, d’une ménagère scrutant les affaires à ne pas manquer pour se donner bonne conscience car il faut faire des économies, ou encore la femme d’un homme d’affaires nanti venant remplir son caddie de provisions pour les amis pour les collègues de Monsieur, tous ces gens qui se croisent ici malgré eux, poursuivant le même but, faire leurs achats…
Un petit récit tout en émotion que j’ai traversé en quelques heures, d’une auteure que j’apprécie beaucoup et que je suis de près depuis des années.
Regarde les lumières mon amour d’Annie Ernaux
Oui une grande Dame de la littérature qui avec un regard de sociologue ausculte le pouls de notre société dans ce livre !