Stéphane Hessel, est ambassadeur de France, et corédacteur de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Elias Sanbar est ambassadeur de la Palestine auprès de l’Unesco, auteur de nombreux ouvrages sur la Palestine.
C’est ensemble qu’ils ont rédigé “le rescapé et l’exilé”, sous le conduite de Farouk Mardam-Bey, historien.
Le fait que l’ouvrage soit écrit par ces deux personnalités lui donne évidemment une crédibilité et un intérêt de premier plan. Ils prennent tour à tour la parole, se répondent, s’interpellent. Leurs voix entrelacées se font écho pour évoquer un sujet qui leur tient à cœur : le Proche-Orient.
Les questions sur le conflit israélo-palestinien hantent les esprits. Quelles en sont les causes, et pourquoi s’éternise-t-il depuis presque un siècle ? Les auteurs apportent leur clé de voûte de façon lucide, impartiale, honnête, et surtout dépourvue d’affect personnel et religieux. Ils pensent en effet que “… la paix ne pourrait advenir si l’on aborde le conflit en termes religieux ou même si l’on continue à insister sur son caractère exceptionnel.”
Petit résumé pour fixer les idées, au risque de prendre des raccourcis :
Depuis le début du XXième siècle, les juifs avaient tendance à revenir en terre sainte et se fixer autour de Jérusalem, berceau de leur civilisation. Le mouvement s’était intensifié dans les années ’30, avec la politique nazie. Au lendemain de la seconde guerre, la question des territoires juifs se posait avec une acuité brûlante : “Après la Shoah, les juifs méritaient un État, les Nations unies leur en ont attribué un…”
“La naissance d’un État juif serait la réponse “adéquate”, au nazisme, un “bien absolu” pour réparer “un mal absolu.”
Les Nations unies imposent, avec un consensus quasi-général, la création de l’État d’Israël, lui attribuant 55 % des territoires… Cette quotité ne sera plus respectée par la suite ! Le débordement des frontières par la force est une des causes de l’ire qui alimente les pays arabes, comme le rappelle justement Stéphane Hessel : “Je passe mon temps à le dire à mes amis juifs : on ne peut pas soutenir un État qui viole constamment ce que les Nations unies ont voulu imposer dans cette région. Vous violez ce que vous devriez porter comme l’éternelle justification de l’existence d’Israël.”
Les Nations unies ont sous-estimé les populations locales, considérées comme minoritaires et ne possédant pas de droit réel ; la Palestine était sous domination ottomane, avant d’être cédée aux Britanniques. Juridiquement, les Palestiniens n’étaient pas chez eux. D’autre part, ils semblaient minoritaires et nomades… “près de 840.000 étaient déjà des réfugiés (…) 450.000 autres se retrouvaient (…) détachés de la Palestine, et 110.000 autres, enfin, qui avaient échappé à l’expulsion, se réveillaient en Israël…”
Au lendemain de la seconde guerre, le monde est porté par un sentiment de remords, oubliant que quelques années plus tôt, il avait été universellement hostile aux juifs : “Nous souhaitions naturellement que tous les pays démocratiques acceptent enfin d’accueillir des juifs, notamment les États-Unis qui s’étaient montrés assez antisémites peu avant la guerre…”
La décision de l’ONU semble donc légitime… Mais elle refoule des Palestiniens dans les régions limitrophes, à Gaza, en Cisjordanie, Égypte… C’est la source d’un immense courroux. Elias Sanbar : “On ne peut pas refaire l’histoire, mais il est important de dire que ce conflit a commencé par une terrible injustice commise en Palestine pour en réparer une autre, née dans l’horreur des camps nazis.”
“Le rescapé et l’exilé” développe avec sagesse et prudence toute la thématique du sionisme (mouvement favorable à la création d’un État juif) et de sa conséquence, la Nakba, (disparition des Palestiniens et de leurs lieux de vie). Il s’agit d’un document phare, à lire absolument par toute personne intéressée par le sujet, peu ou prou. Une pièce historique fondamentale, qui jette une lumière précise sur des zones d’ombres trop souvent investies par des sentiments extrémistes ou religieux.
Le rescapé et l’exilé de Stéphane Hessel et Elias Sanbar. Editions Don Quichotte
Date de parution : 01/03/2012
Article publié par Noann le 28 février 2012 dans la catégorie
Premier Grand Cru Classé
Pangée, un homme de trente ans, se retrouve brutalement dans un lieu étrange après un accident de voiture. Ce lieu n’est autre que le jardin d’Éden… un paradis. En voilà une chance incroyable ! Pangée est l’élu, God’s chosen one comme disent les anglais, celui que Dieu en personne a désigné. Depuis deux mille ans, plus personne n’avait reçu cet honneur. Pourquoi suis-je l’élu, se demande l’élu, moi qui détestais la religion ? Cette question revient au cours de l’histoire, et ma foi, ai-je été distrait moi lecteur, mais je n’ai pas bien compris pourquoi cet homme ait seul droit au paradis en 2.000 ans. Il ne manquait pourtant pas d’hommes vertueux. Mais c’est ainsi…
Pangée se retrouve dans un monde de toute beauté, où tout n’est qu’amour, la maladie est absente, les animaux ne se mangent pas. Tout est parfait, idyllique… Sauf une chose, Pangée n’a pas de compagnon humain… Et surtout pas de compagne. Tiraillé encore par ses vieux démons, Pangée finit par se lasser, après avoir passé des lunes à se balader et contempler les délices du Ciel. Il a envie de compagnie, il a envie de … d’une femme. Pangée se rebelle. Il veut redescendre sur terre…
Mais vu du Ciel, l’enfer, c’est sur la terre même. Tant les archanges que Dieu en personne se demandent pourquoi Pangée refuse le paradis. Tous les autres humains ont été condamnés à revenir sur terre indéfiniment, à se réincarner dans des hommes de toute condition. L’enfer, c’est de vivre dans ce monde cruel!
Alors, voilà donc un roman tout à fait charmant, porté par une écriture qui traduit bien le désarroi de la mort, et qui offre des développements lyriques de toute beauté. Cette vision du paradis est à couper le souffle. Avec un vocabulaire riche et des expressions imagées, l’auteur nous offre une vision douce et contemplative d’un univers féérique. Il met bien en lumière toute la difficulté et les angoisses du grand départ, et les affres de l’humain. Une certaine philosophie, mêlée de sagesse éthérée et de doutes ravageurs, se dégage de ce beau roman, agréable à lire, malgré quelques longueurs et des passages méditatifs et introspectifs. Quelques emprunts sont faits à la religion, catholique principalement, Adam et Ève sont là, le serpent perfide, et l’arbre de la connaissance. Cependant, l’auteur s’écarte, c’est curieux, vers la réincarnation, idée d’essence hindouiste (2.500 ans avant JC !), si ce n’est que l’homme non-élu se voit ici privé de toute possibilité de rachat… Perspective peu réjouissante. “Pangée” est un livre spécial, hétéroclite, qu’il ne faudra pas analyser avec un œil trop rationnel.
Le paradis de Pangée est à prendre tel qu’il est donné, un peu comme toute religion, aucune ne résistant à une analyse pointue. Peut-être eût-il fallu moins d’argumentations discutables, sinon spécieuses. Il faudra regarder avec un esprit ouvert cette conception de l’au-delà. Le lecteur est mis devant des faits univoques, qu’il devra bien accepter. L’auteur fournit moult explications pour justifier sa vision. La paradoxe fondamental revient ici aussi : Pourquoi y a-t-il tant de misère alors que Dieu est omniscient et omnipotent ? Question débattue depuis l’aube des temps, à laquelle l’auteur apporte sa propre réponse : Dieu est débordé, tout simplement, dépassé, dégouté par l’égoïsme et la médiocrité de l’homme. Il a même le désir de créer une nouvelle espèce et de détruire l’ancienne humanité. J’espère qu’il changera d’avis… Ou qu’il fera ses essais sur une autre planète. Tout de même… Créer une humanité entière en six jours, c’était un peu ambitieux… et pas très malin. Mais Dieu, assure l’auteur, s’y prendra mieux cette fois, et mettra le temps qu’il faut! Voilà un être présenté comme infiniment bon et tout puissant, mais qui a bien des lacunes et même un sale caractère !
Pangée d’Alexandre Grondeau. Éditions “La lune sur le toit”
Date de parution : 01/03/2012
Article publié par Noann le 23 février 2012 dans la catégorie
Cru bourgeois
De temps en temps, Babelio nous propose de découvrir des livres peu connus, publiés chez de petits éditeurs, ce qui nous change un peu des ornières laissées par les mammouths de l’édition. On y découvre parfois de belles choses, des œuvres singulières, comme par exemple “la Nonne” !
Je dois avouer qu’en acceptant de recevoir ce court roman, je ne m’attendais pas à un texte aussi enflammé ! Je me suis demandé comment j’allais en parler, en faire un résumé, donner un extrait… Car chaque page, il faut le dire, est hardente, mais plus encore, pornographique, vicieuse, dérangeante, et même ********. Mais tiens voilà l’astuce, il suffira de remplacer les mots licencieux par des étoiles. Il y a fort à faire… Il sera difficile de ne pas sombrer dans le pervers, voire le ****** ou encore la ******.
Car quand l’auteur dit sans gêne que (je cite) : “Pu***** du *** autant qu’elle l’était du ***, et même de la ******, elle fut, le même jour, dé******** de ces trois *********”. L’auteur y va fort, un pornographe de notre époque rougirait presque d’embarras. J’avoue que moi aussi, j’ai piqué un fard (bien que fort érudit sur la question…)
Vous voilà donc prévenus, “la Nonne” n’est pas à donner à n’importe qui !
Venons en au sujet. Nous voilà donc embarqués dans les facéties… amoureuses, mais est-il encore question d’amour, de deux sœurs novices. Dès leur entrée au couvent, avant même de découvrir la sacristie, les voilà prises dans un jeu pervers dont elles ne sortiront pas ; elles finiront catins dans la capitale. Sœurs Agnès et Martine découvrent le vice le plus ***** dès leur admission, aidées par une supérieure lubrique et un abbé dévoyé. Il n’est peut-être pas utile de dévoiler trop la suite, ce site étant accessible à tous, je serais contraint d’abuser de multiples ***.
Mon avis tout de même : Alors, si on le prend au premier degré, “la Nonne” est un texte sale, pervers à l’extrême, ******. On peut le trouver aussi anticlérical (les conventines de ce bouquin sont toutes des dépravées prêtes à tout, intéressées uniquement par leur *** – les hommes sont brutaux et profiteurs). Les bien-pensantes de notre époque y verront du machisme et dénonceront l’exploitation de la femme. Diable, pourvu que les mouvements féministes ne tombent pas dessus ! Mais l’homme n’en sort pas épargné, exploité lui aussi, tourné en dérision. À lire ce livre, tous les hommes sont dominateurs et les femmes masochistes. Mais on peut aussi le voir au second degré, et se payer une franche rigolade. Les mots sont crus certes, mais en même temps châtiés.
L’éditeur évoque une première publication en 1940, à 250 exemplaires. On est surpris de voir que cette époque n’était pas très différente de la nôtre, et que la pornographie n’est pas un phénomène récent.
“La Nonne” donne un grand coup de pied dans la bienséance de l’époque, c’est un petit bouquin qui vise ostensiblement à choquer, bousculer. Insolent, impudent, dérageant, ******. Anticlérical aussi, disais-je, oui certes… Un exemple, voici la réponse que fait une nonne au docteur, venu vérifier que les novices sont encore vierges :
“- Oh ! comme je suis heureuse, fit la nonne. Savez-vous, Docteur, que nous envoyons une délégation à Rome, et la mère supérieure tient absolument qu’au moins une des pèlerines soit pucelle.”
Ce petit bouquin s’avèrera, finalement, soit extrêmement jouissif et drôle, soit navrant et choquant, et même *******. Tout dépend dans quel esprit on le lit.
Encore un petit extrait pour se faire une meilleure idée :
“- Aimez-vous les ***** ? Comment les aimez-vous ? *******, *****, ******, *******, ****** ? Et le goût du ****** ? Poisson frais, crevette ****, ****** faisandé ou amande fraîche ?”
Oui enfin, pour ce qui est de se faire une idée, ce n’est peut-être pas réussi…
La Nonne – Comte d’Irancy. Éditions la Musardine
Date de parution : 15/02/2012
Article publié par Noann le 20 février 2012 dans la catégorie
érotique
« Avec d’autres, je sonde les profondeurs de la terre, nous exhumons des fragments de corps que nous reconstituons avec soin. Ces êtres échappés du néant me parlent et me réconfortent. En leur compagnie, je m’éloigne de tout, même du chagrin ».
Esther est anthropologue. Dans les années 90, Le Tribunal pénal international dépêche au Kosovo une mission d’experts afin d’ouvrir des charniers … Elle décide de se joindre à eux pour identifier les corps enterrés et les rendre à leurs familles afin que celles-ci puissent ensuite leur donner une sépulture décente. Elle met tout son cœur et ses compétences à profit du groupe d’experts pour que les corps soient identifiés et que les familles puissent trouver un peu d’apaisement et se recueillir autour de la dépouille de leurs proches massacrés sauvagement. Lors de cette mission, Esther sonde les corps mais aussi les âmes de cette humanité ensevelie et, en explorant les cœurs de ces familles déchirées, elle va faire resurgir ses propres tourments, ses doutes, ses manques, aussi la mort de son père …
Le cœur d’Esther est en plein chaos et elle devra trouver un repère pour avancer et se rendre compte que le bonheur est là pour qui veut le trouver. Elle se livrera à un psychiatre, seul refuge à son désarroi, seul garant de la guérison de son âme meurtrie. Un lent et douloureux labeur commence alors, à grands coups de marteau piqueur dans son âme, ne lui laissant que peu de répit.
Un récit très intense qui vous met le cœur en émoi. L’écriture est magistrale et bouleverse tout au fond de soi, remue la mémoire, fait resurgir des tourments gardés cloisonnés.
L’auteur du magnifique « Kosaburo 1945 », que je salue particulièrement puisqu’elle réside dans mon fief, nous livre un récit émouvant qui remue à l’intérieur, vous scotche du début à la fin, vous met le cœur en chantier et invite à la réflexion sur le sens du bonheur et la recherche de celui-ci à tout prix, en nettoyant sa mémoire au karcher, en gommant les zones d’ombre afin qu’un rai de lumière s’invite et l’illumine doucement …
Éblouissant … Percutant …
Les veilleurs de chagrin de Nicole Roland, éditions Actes Sud
Date de parution : 04/01/2012
Article publié par Catherine le 20 février 2012 dans la catégorie
Premier Grand Cru Classé
« Tomber amoureux, ce jour-là, foudroyé au contact d’une main, me rendit mes seize ans, exactement mes seize ans à Leningrad. Quiconque aura aimé sait ces choses-là entre mille : étreindre une main, c’est tout donner, d’un coup, sans prudence, sans contrat, sans rien. Tenir la main, tous les enfants le savent, n’est pas seulement s’accrocher au passage : tenir ta main, c’est tenir à toi, tenir de toi. Et plus je serre, plus j’entrecroise nos doigts, les entrelace, plus je te dis mon incommensurable besoin, un besoin tel que ta paume me renseigne sur toi. Sur ta paume, j’ai pu lire que tu étais quelqu’un de bien. »
Alors que sa carrière d’écrivain a atteint le sommet, Gilles voyage à travers le monde, de Buesnos Aires à Casablanca, traverse Le Caïre et le voici invité en Roumanie où il rencontre Marian.
L’auteur-narrateur s’éprend d’emblée de Marian jusqu’à perdre pied, fléchir, succomber …
Une passion enflammée naît entre eux malgré la différence d’âge, les emplois du temps décalés, aux antipodes. Malgré tout, Gilles et Marian se démènent pour joindre les deux bouts, s’aimer à tout prix, même si Gilles, quinqua solitaire et fatigué n’a plus le feu sacré, a mis son enthousiasme en sourdine.
Une rencontre fougueuse, improbable … Voici l’auteur transporté au firmament et secoué par une bourrasque de sentiments, une dernière raison d’aimer, un soubresaut de jeunesse, une fusion du désir quelque peu enfoui, cloisonné, qui revient à la surface comme rescapé d’un naufrage.
Voici un récit qui nous parle des tourments d’un amour aléatoire, un peu confus, très intense aussi. L’auteur a contourné avec beaucoup de finesse les clichés qui auraient pu résonner en écho dans sa plume.
Gilles nous livre avec talent et poésie la naissance d’une passion qui annihile le passé, rejaillit des cendres, le transforme. Mais il parle aussi de ses souffrances, de ce retour à la vie et à l’amour qui le laisse coi.
Il nous décrit avec sensibilité sa solitude et relate la richesse de ses rencontres, les couleurs des contrées qu’il a traversées, les tristesses et les disparitions qui ont mis son cœur en chantier.
Une célébration de l’amour dans un cœur qui bat à nouveau la chamade et fait battre le nôtre …
Le mien surtout …
Dormir avec ceux qu’on aime de Gilles Leroy. Éditions Mercure de France
Date de parution : 05/01/2012
Article publié par Catherine le 14 février 2012 dans la catégorie
Grand vin
“Je vais tout te raconter sur les sept bonshommes que ma mère a zigouillés les uns après les autres.”
C’est en ces termes que Martine entame le récit morose de sa vie familiale. Des mots durs, adressés sans ménagement et sans effets à Marianne, la narratrice, une cousine qu’elle avait perdu de vue pendant quelques années. Les deux femmes se sont retrouvées lors de l’enterrement de la mère de Marianne.
Leurs familles ont longtemps été intimement liées. Marianne admirait la grâce de Martine, son aisance, ses formes. Mais bien des années plus tard, que reste-t-il d’elle? Martine a sombré. Alcoolisme, violence, perversion. Elle a abouti dans un logement de quinze mètre-carrés, où elle vit avec un homme toqué de ses bizarreries.
Marianne elle est devenue graphiste, avant de perdre son travail. La voici désœuvrée, et lorsqu’elle retrouve Martine, elle éprouve une sorte de fascination bizarre, un mélange de pitié, de curiosité, d’amour peut-être. Marianne décide d’écrire un livre sur elle, peut-être sur elles-deux. Mais rien n’est décidément simple, dans cette famille enracinée dans la violence et la promiscuité…
Nous voici plongés au sein d’un chancre familial, mais plonger n’est peut-être pas le mot… .
L’auteure nous a fabriqué un monolithe, qui semble tout droit sorti d’un haut-fourneau, avec toutes ses scories, ses aspérités. On aurait pu prendre les poussières, tout de même… Le style semble façonné dans une usine proche de l’explosion sociale. Les mots sont bruts, rocailleux, l’écriture semble n’avoir même pas été relue. Le bouquin tout entier a l’air d’avoir été moulé dans une seule nuit de cauchemar !
Peu d’étincelles d’espoir, peu de lumière sort de ce bloc, à part les souvenirs, et encore, ils sont teintés d’amertume… L’auteur semble avoir coulé en mots toute la douleur du monde…
Si Martine est primaire, glauque, comme une rate dans un trou, Marianne ne s’en sort pas mieux. Elle oscille entre phases dépressives et se met à boire au goulot, à l’instar de sa cousine. Le lecteur a envie de casser ce bloc de rancœur, et de secouer ces familles de tourmentés qui tournent en rond. Mais rien ne vient améliorer leur quotidien qui consiste à se morfondre, en se souvenant, parfois, du temps jadis, où l’on se chamaillait, le temps où les deux filles faisaient la course à la nage.
Obscur en général, avec quelques lueurs de tendresse, de rire peut-être, mais propice à la réflexion, ce roman ressemble à un psychodrame joué à corps perdu dans un lugubre cabinet de psychiatrie, devant nous, lecteurs médusés. Je suis sorti de ce livre perplexe et songeur, pour peu que j’y sois jamais entré. Peut-être vaut-il mieux attendre la fin de la dépression d’hiver, pour se glisser dans ce mètre-cube de sentiments et ressentiments.
“Je note que les larmes viennent lorsqu’elle évoque sa mère, mais que ses yeux restent secs quand elle parle de sa fille. La haine fait obstacle à la tristesse, et puis sa fille a le privilège d’être encore en vie. Les morts prennent l’avantage, c’est certain. Martine junior a pris ses distances avec Martine, laquelle a fait pleurer sa p’tite Chiasse parce qu’un enfant n’est beau que lorsqu’il pleure, et c’est cette beauté-là qu’il faut saisir sur le vif. Les photos en noir et blanc d’enfants pleurant sont de véritables œuvres d’art”
Les raisons de mon crime – Natalie Kuperman. Éditions Gallimard
Date de parution : 05/01/2012
Article publié par Noann le 10 février 2012 dans la catégorie
Cru bourgeois
Lui, le narrateur, c’est un homme particulièrement désabusé. Il a connu deux divorces, deux échecs cuisants, qu’il ne comprend pas. Et voilà qu’à 50 ans, il a enfin reconstruit sa vie avec Charlotte, tout son futur, son espoir. Une femme de son âge qui n’a pas vu les années passer, se comporte comme une adolescente. Une blonde décolorée et sophistiquée. Elle fait le tour du monde sans lui, s’engage dans des relations intéressées, avec des notoriétés, des stars… Tout ceci sans se soucier de lui.
Mais voilà qu’un jour, un texto met le feu aux poudres… Le message qui apparaît sur le téléphone qu’elle a laissé traîner négligemment est sans ambiguïté. Au début, elle nie farouchement, mais ses assertions ne tiennent pas longtemps, elle finit par avouer, d’une manière désinvolte. Entre eux plus rien ne va, la méfiance s’installe, il la voit partout aux bras d’un autre, même son odeur n’est plus pareille.
“C’est la vieille odeur de l’adultère. Elle vous prend à la gorge. Il ne s’agit plus du parfum paisible, anodin, de la confiance. C’est une odeur tenace, violente, chafouine, une odeur qui n’ose pas dire son nom.”
Cet homme trompé nous emmène dans un tourbillon rageur… C’est lui qui écrit, une voix unique qui est celle de la colère…
“Quelle conne. De son écriture ronde et penchée, cette midinette avait recopié dans son carnet tous les textos qu’elle avait échangés avec le Vénitien.”
Le style est vif et direct, une sorte d’écriture automatique, qui passe parfois du je au il…
“La nostalgie l’étranglait. Il s’épuiserait à se souvenir.”
Et puis la colère passe doucement, amèrement …
“Elle était difficile à remplacer. Elle prenait du volume. Charlotte était un pluriel à elle toute seule.”
C’est toute l’histoire de l’infidélité dont, pour une fois, un homme est la victime. Le sujet peut paraître convenu a priori. Cette Charlotte est l’archétype de la femme frivole, la nymphette qui se joue des hommes, sans aucun état d’âme. C’est presque du cliché. Mais l’auteur parvient à tirer cette relation des sentiers battus, par une écriture qui décoche comme des poignards à chaque ligne. En cent pages à peine, il nous dresse un portrait vitriolé de cette relation bancale.
Ce roman fut pour moi la révélation que j’attendais. À contretemps de la hargne médiatique généralisée à l’égard des hommes, dopée par un féminisme d’arrière-garde, qui en devient ridicule à force de s’offusquer de tout, sauf des vraies causes. Après avoir enduré des pamphlets incessants sur les hommes, présentés comme fourbes et manipulateurs, après des litanies d’aigreurs à notre sujet, voici enfin un livre qui met en lumière la situation inverse, très courante. Cette femme rappellera de mauvais souvenirs à plus d’un homme. Que de blondes écervelées, parfois méchantes. J’ai longtemps cru que les gènes de la blondeur et de l’idiotie étaient conjoints. Mais j’ai aussi remarqué ceci : prenez une brune, décolorez-la, et du jour au lendemain, elle devient idiote. C’est un phénomène étrange…
Alors, ce livre, on l’adorera ou le détestera. La vision donnée est à sens unique, c’est celle de l’homme brimé, que tout lecteur ne partagera pas forcément. Tout dépend du camp où l’on se trouve. Homme de cinquante ans aigri. Ou jeune blonde revancharde. L’écriture au scalpel d’Eric Neuhoff est efficace.
Mufle – Eric Neuhoff. Éditions Albin Michel
Date de parution : 04/01/2012
Article publié par Noann le 6 février 2012 dans la catégorie
Grand vin
Ferdinand, veuf, vit seul dans sa ferme et se morfond. Ses petits-enfants l’incitent à se remuer un peu, à se tourner vers les autres pour ne pas sombrer dans la morosité. Une violente tempête survient … C’est alors que, poussé par ses petits-enfants, Ferdinand se rend chez sa voisine Marceline. Celle-ci lui fait part des dégâts occasionnés à sa toiture. Ferdinand se montre d’abord réticent à la secourir, rentre chez lui et finalement se décide à l’héberger. Guy, son meilleur ami, veuf lui aussi, se joindra à eux ainsi que deux autres voisines venues trouver le refuge dans cette petite ferme. C’est ainsi qu’une vraie communauté s’organise.
Entre les colocataires naît une véritable amitié. Tout le monde vit en harmonie, hommes et animaux car Cornélius, l’âne et Chamalo, le chat ont rejoint y ont aussi leur place.
Un conte rempli de fraîcheur, où entraide, espoir et gentillesse résonnent en écho. On se laisse porter par la délicatesse et la douceur des personnages dans ce décor chaleureux et feutré où une nouvelle vie se dessine petit à petit. Et la colonie s’agrandit de jour en jour, mêlant des inconnus avec des voisins qui vivaient l’un près de l’autre mais ne se connaissaient guère.
L’auteur nous raconte comment est née cette solidarité au sein d’une maison où seules régnaient mélancolie et tristesse, comment les vents contraires finissent par rapprocher des êtres aux antipodes. Les personnages sont très attachants et l’on a qu’une envie, les rencontrer et faire un bout de chemin avec eux dans cette communauté de survie. Chacun a fort à faire pour se montrer efficace et le groupuscule porté par l’euphorie va même jusqu’à créer un site internet portant le nom étrange «Solidarvioc.com».
On esquisse un sourire à chaque page tandis qu’on s’émeut aussi …
Un bon moment de lecture qui me remémore un film belge des années 70 « Home Sweet Home », relatant la révolte des pensionnaires d’une maison de retraite bruxelloise. De succulents moments…
Et puis Paulette de Barbara Constantine, éditions Calmann-Lévy.
Date de parution : 04/01/2012
Article publié par Catherine le 5 février 2012 dans la catégorie
Cru bourgeois