Grand vin

Tuer son mari – Li Ang

 

Inspiré d’un fait dramatique qui s’est déroulé dans les années quatre-vingts, l’histoire se déroule à Taïwan, dans la petite ville de Lucheng, district de Chuenco. La guerre a renforcé la paupérisation de la population rurale et la famine menace  la région.

Après la mort d’une mère condamnée par le clan familial pour avoir vendu son corps à un soldat contre de la nourriture, Lin Shi rejoint la maison d’un oncle méprisant et vénal qui ne tardera pas à se débarrasser de la jeune fille. Moyennant quelques quartiers de viande, elle sera destinée à épouser le boucher, Chen-le-tueur-de-porcs, homme brutal, alcoolique et pervers.

Au fil du quotidien, la jeune femme ne tardera pas à découvrir l’enfer : rejetée et bafouée par une communauté de voisines envieuses, toutes prises dans le carcan des traditions où la situation de la femme n’est souvent pas plus enviable que celle des animaux domestiques, battue et maltraitée sans répit par un mari pervers qui ne voit en elle qu’un objet de défoulement à la violence qui le taraude, Lin Shi finira par être totalement isolée et démunie de tout.

Poursuivie par les fantômes auxquels les croyances rurales  prêtent un rôle majeur dans la destinée des habitants incultes de la campagne taïwanaise, convaincue d’être soumise à la fatalité, Lin Shi sombrera peu à peu dans une forme d’autisme protecteur. Un univers où elle parvient à survivre. Jusqu’au jour où, acculée par la faim, la solitude et les humiliations,  après la dernière « raclée » et les ultimes injures infligées par son mari, c’est dans un délire presque poétique qu’elle tuera cet époux  comme lui-même égorgeait les cochons.

Fondé sur un fait divers dont les grandes lignes sont connues d’avance, cet ouvrage n’est pas à proprement parler un roman, ou pas seulement. C’est aussi et surtout, m’a-t-il semblé, un témoignage sur les conséquences d’une culture où les traditions et les croyances ancestrales dévastent la condition féminine d’abord, et s’opposent radicalement à toute forme de solidarité humaine ensuite.

Qui pouvait mieux qu’une femme taïwanaise relater cette histoire où,  si la violence domestique, la cruauté, et la misère féminine sont omniprésentes, l’écriture reste sobre, limpide et presque pudique. L’auteur ne convoque pas -la sensiblerie et/ou le voyeurisme- du lecteur, ni même n’entreprend  l’analyse psychologique des personnages : elle relate des faits et met en évidence les tenants et les aboutissants du drame. Elle n’explique rien, elle donne à voir et, partant,  à penser. C’est avec tact mais sans dissimuler  l’horreur des situations que l’auteur parvient à retracer cette histoire.  Le contraste entre une campagne tranquille où la nature est même dépeinte avec une certaine poésie, et les fils sanglants du drame qui se nouent de page en page, est particulièrement étonnant. J’ai aimé.

Tuer son mari – Li Ang –  Editions Denoël, 2004

Article publié le 17 mars 2010 dans la catégorie Grand vin
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Cru bourgeois

Mon Chèque – Jean-Claude Carrière

Voilà un ch’ti canon dont on se bourrerait bien la gueule jusqu’au coma éthylique, tellement c’est bon !

“Un producteur de cinéma me doit un chèque. Comment va-t-il s’y prendre pour ne pas me le donner ?”

Tout est résumé dans cette phrase de la quatrième de couverture.

Un scénariste, qui est aussi le narrateur, attend un chèque. Et pendant plus de onze mois, ou deux cents pages, ce pauvre scribouillard doit se battre pour obtenir son dû. Rien ne lui est épargné : les rendez-vous manqués, les rendez-vous pas-manqués mais où il est question de tout sauf du chèque : du prix de l’essence, du climat déglingué, etc…Puis vient un déménagement chaotique, et la chienne de la secrétaire qui se fait écraser, plongeant son indispensable maitresse dans une profonde dépression. Seule solution : le scénariste devra trouver un autre chien…

Cette histoire aurait pu être mortellement ennuyeuse, mais l’auteur a beaucoup de talent et il nous mène par le bout du nez d’une ligne à la suivante. Il a eu la bonne idée de créer des personnages qui jamais ne s’emportent, ce qui les rend attachants et leur donne plus de crédit. Tout est dans la situation, le non-dit, le non-su, le non-entendu, le non-lu, le non-non, le non-peut-être…

C’est crevant de réalisme, bourré d’humour. J’ai bu à la régalade.

Mon Chèque – Jean-Claude Carrière – Éditions Plon

Article publié par Noann le 16 mars 2010 dans la catégorie Cru bourgeois
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Grand vin

Et mon coeur transparent – Véronique Ovaldé

Lancelot travaille à domicile, ne fréquente personne, hormis quelques amis d’Irina, sa seconde épouse. Lorsque celle-ci meurt, il se rend compte qu’il ne savait rien d’elle et va donc partir à la recherche de son passé. Dans cette quête de la vérité, il découvrira qu’Irina traînait derrière elle de grands mystères …. Savait-il réellement qui était celle qu’il aimait à la folie ? Son enquête est menée dans l’atmosphère trouble des médicaments qu’il avale quotidiennement, des fantômes venus frapper à sa porte et de la disparition surprenante des objets mobiliers qui l’entoure…

Un coup de chapeau à cet auteur qui nous berce d’une mélopée éthérée, d’un chant d’amour douloureux. Avec pudeur, on explore le fond du cœur d’un homme en perdition, on écoute son dialogue intérieur,

Dans un style captivant où dès les premières lignes les mots sonnent juste, l’auteur nous tient en haleine et on ne lâche plus ce texte splendide.

Le prénom du héros – Lancelot – ressemble au roman tout entier, romantique et anticonformiste. On se prend d’une réelle compassion pour cet homme submergé par sa peine, drogué aux anxiolitiques, qui tente de se dégager de cet enfer où il est plongé depuis le décès de sa femme.

L’univers de ce récit est improbable … tantôt léger et plein de fantaisie, tantôt réaliste dans ce qu’il y est relaté, une forme de lie quotidienne faite de personnages navrants et décadents.

En refermant ce livre, on reste habité par l’atmosphère qu’il dégage, mystérieuse et envoûtante.

Et mon coeur transparent – Véronique Ovaldé, Editions de l’Olivier

 

Article publié par Catherine le 14 mars 2010 dans la catégorie Grand vin
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Premier Grand Cru Classé

L’Inespérée – Christian Bobin

« La vie en société c’est quand tout le monde est là et qu’il n’y a personne. La vie en société c’est quand tous obéissent à ce que personne ne veut. L’écriture c’est une façon d’échapper à cette misère, une variation de la solitude au même titre que l’amour ou le jeu – un principe d’insoumission, une vertu d’enfance »

“Nous sommes faits de cela, nous ne sommes faits que de ceux que nous aimons et de rien d’autre.”

Je m’imprègne, je m’incline …

Comme toujours Christian Bobin nous enveloppe de douceur, nous touche en profondeur, nous tend la main et nous invite à une leçon de bonheur, dont il semble détenir le mot de passe. Ses mots vous bercent, vous inondent d’amour, vous rapprochent de la lumière. Oui on peut être heureux de peu, pourvu que l’on accepte de se laisser porter vers des petits bonheurs simples. Et ces bonheurs sont à portée de tous, il suffit de tendre la main, de se montrer humble et sincère.

L’auteur ne nous enseigne rien. Il énonce des vérités simples, parle de l’amour, de la mélancolie, avec des mots d’une grande beauté. Au milieu de nos vies trépidantes, il vient déposer une bulle d’oxygène.

On se laisse porter doucement par ces onze textes qui parlent d’amour, d’amitié, de la vie mais aussi du dédain de la société, de la télévision, un vrai gâchis pour cet homme assoiffé de pureté et de simplicité.

Et l’on n’a pas envie de se détacher de ce récit qui fait du bien tout simplement …

L’Inespérée – Christian Bobin, Gallimard/Folio

Article publié par Catherine le 9 mars 2010 dans la catégorie Premier Grand Cru Classé
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vin de table

Le Paquet – Philippe Claudel

J’ai vu ce petit livre chez un libraire, le nom Claudel était de bon augure, et j’ai acheté sans lire une ligne. 10 euros pour 85 pages. Il s’agit d’une pièce de théâtre, en fait. Autant vous prévenir tout de suite je suis allergique au théâtre, à la poésie, au cinéma américain, au Goncourt, et à bien d’autres choses.

Une courte pièce jouée par un seul acteur qui transporte amoureusement un paquet, dont on peut tout supposer. Contient-il un cadavre, des souvenirs, de vieilles reliques? La solution à cette énigme ne sera pas donnée. Cette pièce est une sorte de diatribe qui laisse parfois perplexe, qui peut horripiler aussi. Ce paquet est un peu lourd. Il peut avoir du mal à passer. L’émotion tarde à venir. Ce monologue un peu intello risque de ne pas séduire un large public..

Bien entendu, il est difficile de se faire une idée à la lecture. Il faut voir comment elle sera interprétée. Elle sera interprétée par Jugnot Gérard.

Un extrait : “Brigitte Bardot est une salope mais j’suis trop con pour la baiser !”. ( x 3)

Ben moi j’aime bien BB, elle a sauvé des milliers de bébés phoques. Pourquoi en parler ainsi ? Je ne vois pas bien l’utilité de ce genre de réplique, d’autant qu’elle n’est pas spécialement bien amenée.

A voir au théâtre, peut-être, mais à la lecture ce texte ne me semble guère convaincant…

Le Paquet – Philippe Claudel – Éditions Stock – Au petit théâtre de Paris cette année.

Article publié par Noann le 8 mars 2010 dans la catégorie vin de table
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Comestible ?

Le nouvel amour – Philippe Forest

L’auteur et son épouse Alice ont vécu un drame : la perte de leur fille Pauline, âgée de 3 ans et atteinte d’un cancer …

Une torpeur morbide entoure le couple désormais et leur quotidien est anéanti par cette tragédie.

De cette désespérance naît le roman. L’auteur se regarde souffrir et prend le lecteur pour complice de son désarroi.

Il va rencontrer Lou, avec qui il partagera un amour sensuel évident mais qu’il n’arrive pourtant pas à vivre pleinement, ni dans son cœur ni dans son corps. S’ensuit alors un ballet incessant entre Lou et Alice, une sorte de voyage entre moments de désespoir et trêves de bonheur. Cette chorégraphie accablante finit par épuiser le lecteur, qui se met à sauter des bouts de récit pour échapper à une série de tergiversations de l’auteur, de silences pesants, à ce trop-plein d’impudeur, d’égocentrisme malsain même …

L’auteur ne parvient pas à nous donner un autre message que celui de sa propre souffrance à laquelle il s’agrippe et qu’il raconte de long en large nonchalamment.

Néanmoins, certains passages sont servis avec une plume élégante, de jolis mots mais la toile de fond de ce roman est maculée d’aigreur et de narcissisme déplacé.

Le nouvel amour – Philippe Forest, Gallimard

 

Article publié par Catherine le 8 mars 2010 dans la catégorie Comestible ?
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Cru bourgeois

Les âmes grises – Philippe Claudel

Le Nord-est de la France, un petit village à proximité du front où se massacrent les belligérants de la première guerre mondiale.
C’est par une « affaire » d’infanticide qu’on entre dans ce roman : on retrouve le cadavre d’une fillette en bordure du fleuve. Ce meurtre est donc la pierre angulaire du récit où, sous la forme d’une enquête plus introspective que professionnelle, le narrateur semble finalement partir à la reconquête de sa propre paix intérieure. A travers ses cahiers intimes, il va balayer en cercles plus ou moins concentriques, les événements, les mœurs et les relations qui unissent ou séparent les habitants du village : le procureur, le juge, l’institutrice, les villageois… En découle une peinture bien léchée de la société, des préjugés de classe, des comportements, des lâchetés des uns et des autres. Le tout dans les nuances déclinées d’un gris passant du plus clair au plus obscur.
Le premier tiers du roman suscite l’enthousiasme : Philippe Claudel possède un style riche, installe un décor, maitrise des personnages bien « croqués » et diffuse des ambiances auxquelles on ne peut qu’adhérer.
Mais, alors qu’on se laissait porter par un rythme bien orchestré, l’auteur rompt le charme et s’évade dans des digressions et des flash-back, au risque de laisser le lecteur en bord de route. Les bras ballants, il se retrouve perdu dans les méandres du monologue d’un narrateur perclus de doutes, de culpabilité, de désespoir, et au bout du compte, égaré lui aussi dans les brouillards de sa propre existence. Dommage. De la même façon, si l’on considère que les –images-, les allégories, les périphrases, les métaphores et autres formes rhétoriques participent à la beauté du style, ici, malheureusement, la surabondance aboutit rapidement à l’indigestion.
En résumé, allégé de ses longues errances déroutantes et d’un trop plein « d’exercices de style », ce roman aurait été un véritable trésor. Malheureusement, c’est seulement si le lecteur peut dépasser la torpeur qui le saisit à mi-parcours, qu’il découvrira un ensemble qui fait, malgré tout, un très bon roman.
J’ai donc bien aimé, mais…

Les âmes grises – Philippe Claudel– Editions Stock – le livre de poche

Article publié le 7 mars 2010 dans la catégorie Cru bourgeois
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Cru bourgeois

L’Apiculteur – Maxence Fermine

L’Apiculteur est un roman  typique de Fermine. L’histoire d’un personnage saisi d’une quête philosophique, racontée avec des mots simples en 200 pages, dont 67 blanches et 88 à moitié vides.

Cet Apiculteur est un gars un peu toqué, pris d’une envie de gagner de l’argent, d’abord avec du miel, ensuite avec de l’or. Miel et or se confondent dans ce récit métaphorique. Le mot “or” est mis à toutes les sauces ; le miel est d’or, le silence est d’or, l’or est d’or, l’urine de chameau est d’or… On ne compte plus les effets de style avec le mot “or” dedans, parfois un peu stériles. A part ça le récit est agréable.

J’ai apprécié la profondeur des descriptions, en particulier dans le périple africain – on s’y croirait – et puis le style léger. Ceux qui ont aimé Opium ou Labyrinthe retrouveront les mêmes recettes. Comme d’habitude il y a une femme qui se dévêtit facilement et qui s’enfuit le lendemain.

L’Apiculteur – Maxence Fermine. Albin Michel- Le livre de poche

Article publié par Noann le 4 mars 2010 dans la catégorie Cru bourgeois
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Dessin de Jordi Viusà. Rédigé par des lecteurs passionnés