Je viens un instant déposer un billet de lecture à propos d’un roman plus ancien, qui m’a été offert il y a peu, tout simplement parce que je suis devenue férue de littérature japonaise et particulièrement de Yoko Ogawa, dont je parle souvent ici.
Voici donc un recueil de sept récits, tous aussi magiques les uns que les autres, qui plonge le lecteur dans une douce quiétude.
Ainsi, l’auteur esquisse le portrait d’une jeune mère en perdition, écrivain solitaire. Pas à pas, le lecteur est invité à suivre le parcours chaotique de cette femme et apprend que seuls le désarroi et la désillusion ont jalonné sa vie. D’abord quittée par son amant, d’autres drames s’enchaîneront sans lui laisser le moindre répit. Elle perd un frère âgé de 21 ans et doit subir la dureté d’une mère austère, dénuée de la moindre émotion qui lui donne du fil à retordre.
Puis on accompagnera ses premiers balbutiements dans l’écriture à laquelle elle donnera tout ce qui lui reste de soubresaut d’énergie pour trouver la paix et l’aboutissement.
On se laisse porter par le style de l’auteur empreint de rêverie et de poésie. Avec subtilité et finesse, Y. Ogawa dévoile les tréfonds de l’âme et, de son stylo magique, elle donne aux objets une forme humaine, peut-être afin que le message soit plus lourd de sens. Ainsi elle parle d’un cartable animé d’une passion interdite pour définir un amour secret ou d’une piscine vide pour parler d’une enfance bafouée. Elle raconte les blessures intérieures, les drames larvés, les secrets enfouis, les amours intenses, les désirs partagés ou inassouvis, les frustrations et met l’humain en exergue puis lorsque celui-ci s’efface, donne aux animaux et aux objets les valeurs dont ils sont dénués, la conscience et les sentiments. L’auteur nous remue à l’intérieur, nous bouleverse, nous invite à une réflexion sur le sens de la vie, les aventures hasardeuses, les combats stériles, inaboutis.
Pour comprendre l’univers de Yoko Ogawa, il faut se laisser porter par ses mots, se réjouir de son invitation à un voyage dans le creux de l’humain et y découvrir ses richesses, ses trésors, ses failles, ses tourments aussi …
L’auteur dessine et scrute les âmes, en fait retentir l’écho, cet indispensable besoin de trouver le sens de l’existence, la vérité …
« Cela m’arrive brusquement, sans aucun signe avant-coureur, comme une crise d’asthme. Cela n’a aucun rapport avec un manque d’inspiration ou un blocage alors que le délai de remise de mon manuscrit approche. Parce que je sais bien que je ne suis pas douée pour écrire des romans. Quelle vulgaire imbécile je fais, quelle prétentieuse inculte, quelle étourdie sans principes ! J’ai blessé beaucoup de gens, je les ai lassés, j’ai trahi leurs espoirs, j’ai commis des échecs irréparables. En fin de compte, certains ont disparu sans rien dire avec beaucoup de discrétion, tandis que d’autres m’ont laissée après m’avoir décoché une dernière flèche sans chercher à dissimuler leur regard méprisant et ne se sont plus jamais manifestés. »
La bénédiction inattendue de Yoko Ogawa, éditions Actes Sud
Date de parution : 02/04/2007
Article publié par Catherine le 16 avril 2012 dans la catégorie
Grand vin
Tout réussit à Clémence et Stéphane. Amoureux, bien dans leurs vies professionnelles respectives, couverts de projets de voyages et heureux parents d’un petit garçon de vingt mois.
Ils passent un séjour à Alexandrie. Alors qu’ils se baladent tranquillement, un chauffard les heurte de plein fouet. Stéphane est lourdement blessé mais se relève tandis que Clémence gît au sol, inanimée. Les secours tardent à venir et Stéphane reste coi devant le corps de sa femme qui lui échappe et voit soudain sa vie défiler, tous ces petits chaos qu’il faut affronter jour après jour, toutes ces blessures de l’existence que chacun connaît…
Et voici que le temps est interrompu alors que le fil du récit s’accélère, comme pour faire oublier un peu au lecteur toutes les douleurs de cette vie fracassée.
A travers une écriture remplie de pudeur, l’auteur nous relate le récit d’une vie ordinaire sans jamais le transformer en fait divers ni donner l’impression de quelque démesure émotionnelle. C’est sans doute là une façon délicate de coucher sur papier un fait sordide et de le rendre plus « accessible » au lecteur.
Ainsi, pas à pas, et à travers l’âme de Stéphane, l’auteur livre une tranche de vie d’un couple amoureux que rien ne pouvait ébranler…
Sauf l’inévitable … le coup de massue du destin, la fatalité…
Certes ce récit succinct est intense, sans être exacerbé, rempli d’émotions, sans tomber dans la sensiblerie, grave sans être caverneux.
Malgré la prouesse de l’auteur qui tente de nous épargner les souffrances intérieures et le choc de son héros, l’écriture épurée et sobre ne nous permet pas d’oublier que la vie est faite de moments de joie intense suivis de déchirures et qu’il faut savourer chaque instant de ce passage sur terre, trop court, trop chahuté, puisque dans chacun de nous sonne en sourdine le glas d’une possible tragédie …
Un éclat minuscule de Jean-Baptise Gendarme, éditions Gallimard
Date de parution : 30/06/2008
Article publié par Catherine le 15 avril 2012 dans la catégorie
Cru bourgeois
L’histoire se passe en Islande au XVIIIième siècle. À cette époque, l’Islande était encore sous domination danoise, royaliste. Le pays est contrôlé par des shérifs, le plus souvent issus de l’aristocratie danoise, tel Jens Wium, homme grand et fier, adjoint de l’intendant au roi. Les shérifs sont supposés faire régner l’ordre, ils possèdent les plus grosses maisons, sont chargés de récupérer les impôts, versés sous forme de biens, auxquels ils prélèvent un plantureux bénéfice. Jens Wium est un homme ignoble et détesté, en particulier haï par un autre shérif : Thorsteinn Sigurdson, de 13 ans son ainé. Celui-ci soupçonne son homologue danois de détournements de fonds, au détriment de l’état. Il va tenter de le confondre. Pour ce faire, il engage un associé, qui jouera le double jeu, en travaillant comme adjoint de Jens, tout en essayant de lui soutirer des informations… La tension est vive entre les autochtones et les colons ; les Islandais sont obligés d’acheter en priorité aux marchands danois, ce qui alimente leur ire. L’Islande ne deviendra indépendante qu’en 1918
Puis vient l’affaire Sunnefa… Sunnefa est une jeune femme accusée d’avoir eu un enfant avec son frère Jón. Ce crime est passible de la peine de mort dans ce pays aux croyances luthériennes bien ancrées. Jens Wium est chargé de traiter le cas, et il sera impitoyable face à cette enfant d’une grande beauté qui le nargue. Cependant, Jens meurt dans des circonstances étranges, et c’est aux descendants qu’appartient désormais de s’occuper de Jón et Sunnefa. Mais les fils de ces deux pointures n’en finissent pas de se questionner sur les responsabilités et les actes de leurs parents. Leurs morts n’étouffe pas l’affaire, bien au contraire.
Je donne à cet opus la célèbre gratification de “premier grand cru”, enfin bref je lui donne 4 verres, et ce d’abord pour son écriture. Voilà un livre écrit en anglais par un auteur vivant en Écosse, traduit en français, et qui relate une histoire islandaise vieille de deux siècles. Et pourtant, il est non seulement d’un style impeccable – on dirait qu’il fut écrit en français – mais aussi d’une grande rigueur quant aux descriptions de ce pays étrange. Le lecteur sera inévitablement transporté dans le temps et l’espace, plongé nu dans les eaux glacées du Beruflördur, puis ébouillanté vivant dans le magma des volcans en éruption, et secoué par les vents du nord, dans des description de toute beauté. Ensuite, je rendrai grâce à la construction élaborée du récit, sur diverses époques, pas le biais de plusieurs voix narratives entrecroisées. L’auteur amène chaque élément à son tour, de façon à faire régner le suspens. C’est même assez compliqué, il faut parfois s’accrocher pour suivre, d’autant que les noms islandais ne sont pas facile à retenir. Il n’est pas inutile de prendre quelques notes en apostille.
Cependant aussi, et malgré la célèbre gratification, enfin les 4 verres, j’émettrai quelques petits bémols. La recherche de sensation est dans ce roman assez systématique. Tout est dramatique, chaque phrase ajoute du drame au drame. Il n’y a pas un instant de soleil ni de bonne humeur. Le climat est lui aussi rendu sordide, entre hivers rigoureux et pluies de cendres, on se demande même comment ils ont survécu, il ne fait pas bon vivre dans un roman de Cooper… Pour avoir été en Islande, je dois dire que le trait est un rien forcé. Ce pays n’est pas si cataclysmique qu’on le fait entendre en général… L’histoire elle-même est dense mais parfois difficile à suivre, tant il y a des changements de point de vue, parfois radicaux, et des sauts dans le temps… Cela dit, d’un point de vue littéraire, il mérite une mention spéciale, de même que pour l’éblouissante traduction. C’est une plongée angoissante dans un pays qui cultive ses fables et ses secrets. Il parait même que c’est le pays où il y a le plus d’auteurs… et de lecteurs, toutes proportions gardées. Ceci est assez étonnant, pour une langue endémique parlée par 300.000 personnes.
“La petite ferme de Skál était isolée au pied des collines. À l’est, il n’y avait qu’une cinquantaine de kilomètres de terres agricoles avant les énormes falaises du Lómagnúpur. Et au-delà du Lómagnúpur il n’y avait pratiquement rien. Rien à part les noires plaines de sable glaciaire et les innombrables rivières, grandes et petites, qui se tortillaient et se frayaient tant bien que mal un chemin du glacier jusqu’à la mer. Les rivières de ces plaines de sable étaient profondes, tumultueuses et terriblement froides, et les franchir à gué revenait toujours à se remettre entre les mains de la providence.”
Nuage de cendre – Dominic Cooper. Éditions Métailié
Date de parution : 01/03/2012
Article publié par Noann le 12 avril 2012 dans la catégorie
Premier Grand Cru Classé
Makiko et Midoriko se retrouvent chez Natsu, la sœur de Makiko, et s’enferment dans son appartement exigu qui devient le siège de débats et d’échanges au sujet de la féminité. Tour à tour, elles livrent leurs ressentis, leurs désirs, leurs émois, leurs désillusions aussi.
Ainsi, Makiko exprime son désarroi parce que sa fille Midoriko ne lui parle plus depuis belle lurette et se sert d’un petit calepin pour écrire ce que sa voix a tu définitivement. Makiko s’inquiète aussi de ses seins avachis qu’elle rêve de faire remodeler, tandis que Natsu assiste bien malgré elle à ce funeste duo. Tout cela semble banal mais, au fil du récit, le huis clos prend une tournure très forte et scotche le lecteur.
En jetant un petit coup d’œil dans le carnet de notes de sa fille, Makiko va découvrir qu’elle se pose mille et une questions quant à son avenir de femme, la sexualité, le rôle de l’ovule et des spermatozoïdes, autant d’interrogations que suscite la puberté et que l’on préfère coucher sur papier plutôt qu’en parler …
L’auteur sonde l’âme de ces femmes d’un autre monde, belles et attachantes. Avec une plume un peu cruelle, elle nous éclaire aussi sur le Tokyo d’aujourd’hui, livre tout de go ce qu’est la société japonaise en général et invite le lecteur à s’imprégner de la vie de ces femmes, toutes trois animées de fantasmes, d’espoirs et de désillusions, dans un univers aseptisé où seul triomphent le silence et les secrets …
Et nous voici, le temps de quelques jours absorbés par la vie singulière de trois femmes en plein tourments désireuses de voir se réaliser leurs rêves les plus chers et abusant de discussions constructives pour y parvenir.
Un récit saumâtre et piquant qui nous fait esquisser une petite grimace en guise de sourire ou … de compassion.
Ici l’on parle de féminité et non de féminisme … Avec ses mots magnifiques, d’une grande finesse, l’auteur transforme sa plume en pinceau et dessine avec délicatesse la femme aux courbes fragiles et le lecteur se voit dans un salon, buvant le thé et s’émouvant de cette fresque dramatique.
De plus en plus admirative de la littérature japonaise, j’ai été une nouvelle fois éblouie par cette auteure que je ne connaissais pas jusqu’ores et qui trouvera sa place parmi mes lectures, aux côtés d’autres auteures japonaises déjà évoquées ici à travers mes billets de lecture.
“La nuit dernière, maman a parlé en dormant, ça m’a réveillée. Je me suis demandé si elle allait dire un truc drôle, mais elle a crié très fort : «Une bière, je vous prie !» D’abord, j’ai été surprise, puis ça m’a fait pleurer. Je n’ai pas pu me rendormir jusqu’au matin. Voir quelqu’un souffrir, ça fait mal, même si c’est quelqu’un d’autre. Pauvre maman. Oui, pauvre maman, depuis tout le temps.”
« Avoir des ovules ou des spermatozoïdes c’est la faute à personne, mais au moins on devrait éviter de les faire se rencontrer. »
Seins et œufs de Mieko Kawakami, éditions Actes Sud
Date de parution : 01/02/2012
Article publié par Catherine le 9 avril 2012 dans la catégorie
Grand vin
Wera, journaliste indépendante, qui travaille à la pige pour différents journaux, flaire un bon coup lorsqu’elle voit une annonce à la supérette près de chez elle. L’annonce dit en substance : “Tu es à la recherche d’une foi ? D’un mode de vie ? Tu essaies de trouver un Dieu au moyens de cérémonies et rituels divers… Alors tu aimerais peut-être nous accompagner au domaine de la Béatitude…” Mais un P.S. en bas de page prévient aussi : “Attention ! Nous ne détenons pas de réponses !”
La journaliste décidé illico de se lancer dans l’aventure. Parallèlement, Madeleine, une prof quadragénaire meurtrie, décide elle aussi de tenter l’expérience, avec un tout autre dessein : elle souffre de son passé, elle porte un poids, au propre comme au figuré. Son sac-à-dos contient une pierre, symbole de la charge dont elle ne parvient pas à se délester… Les autres pensionnaires de la Béatitude se demandent ce qu’elle trimbale, de même qu’ils se posent des questions sur Wera, restée anonyme, et sur cette manie qu’elle a de tripoter son cou, qui contient un micro…
Les deux femmes s’expriment tour à tour dans une narration croisée, un peu systématique… Le lecteur suit leurs pensées entrecroisées, et leurs sentiments face à elles-mêmes et face au groupe d’une demi-douzaine de personnes, mené par les maîtres de cérémonie, Annette et Adrian. La Béatitude a pris ses quartiers dans un bâtiment lugubre qui d’ordinaire est investi par les scouts. Rien de bien réjouissant dans cette bâtisse, ni dans les stages imposés par Annette et Adrian… Ces stages consistent à se mettre à nu devant les autres (en pensées), répondre à une liste de questions, se dépasser, jouer une sorte de psychodrame…
Tout est en place pour un roman captivant : un certain nombre d’individus avec des profils torturés, des intérêts divers et divergents, prompts à alimenter les conflits. La plume de Mazetti est rigoureuse et convaincante (rendons grâce à la traduction). On est dans un roman assez nordique, basé sur la quête individuelle, la recherche intérieure jalonnée de défis, sur un ton parfois absurde et décalé… L’endroit même est sordide, les prosélytes un rien loufoques. On trouve dans ce roman un humour un peu grinçant, mais pas aussi désopilant que dans “Le mec de la tombe d’à-côté”… L’ensemble du livre contient son lot de surprises et est assez distrayant en soi, intéressant aussi pour ses études de caractères. Cependant, il lui manque peut-être quelque chose pour emballer le lecteur et transformer le simple plaisir de lecture en coup de cœur. Une histoire assez spirituelle, qui joue dans un autre registre que ses livres précédents… Mais les développements philosophiques sont parfois un rien simplistes et pas toujours captivants… Dommage…
Mon doudou divin – Katarina Mazetti. Éditions Gaïa
Date de parution : 07/03/2012
Article publié par Noann le 8 avril 2012 dans la catégorie
Cru bourgeois
Présentation de l’éditeur :
La jeunesse est le temps de tous les apprentissages. De tous les espoirs, vécus à un rythme effréné par Kenneth l’Irlandais, Gaétan le provincial, Hélène la Parisienne et Anselme l’îlien. Étourdis par les plaisirs du monde, ils se découvrent une audace éclatante : Kenneth dévore des yeux la sulfureuse Agnès, Gaétan ravit l’insatiable Delphine, Hélène dérobe le fiancé de son amie Viviane, Anselme subjugue une voyageuse impénitente. C’est alors que les déceptions surviennent. Trop vite, trop tôt… Dans les quatre nouvelles de ce recueil, se nouent d’âpres destins sur fond d’ailleurs, car la jeunesse est restée étrangère à elle-même pour posséder l’intensité
L’auteure :
Grande voyageuse, Pascaline Alleriana a parcouru l’Europe, les Amériques et l’Océanie. Chacun de ses itinéraires lui a donné à rencontrer des destins singuliers qui alimentent ses écrits. La vie quotidienne, vue par un autre regard que le sien, inspire très largement son œuvre. Avant de se lancer dans la carrière d’auteur, elle a affûté sa plume en suivant des cours d’écriture littéraire et scénaristique.
L’avis de Noann :
Si j’ai mis quelques mots de présentation au sujet de l’auteure, ce que je fais rarement, c’est parce que l’on devine dans ses mots toute sa personnalité et son vécu, ses voyages au bout du monde… Ses textes s’en ressentent profondément ; l’on passe de Londres à Rome, via Paris, pour se retrouver en définitive dans un atoll perdu du Pacifique. Tout ceci se déroule parfois à vive allure, en quelques mots, on se retrouve transportés à des milliers de kilomètres, de façon soudaine, inattendue, ou à peine préparée…
Les lieux sont décrits brièvement. Pas de grandes tirades mettant à profit des points de détail, sur la végétation ou les parcs, ni même sur la nature polynésienne qui fut de toute façon amplement décrite et exhibée, et sur laquelle il n’est point d’intérêt de s’appesantir… Mais si brèves qu’elles soient, les descriptions nous permettent de plonger dans l’histoire, et elles sont réalistes… L’auteure met à profit son sens de l’observation et sa connaissance des lieux. En trois mots, nous changeons de cap et n’avons aucune peine à imaginer le monde dense qui se dessine…
Ce recueil a ceci de particulier qu’il parcourt une trame, répercutée de page en page et au delà de la thématique propre à chaque texte. Les personnages sont jeunes, emplis d’illusions, ils aiment et détestent, ils se brisent aux facéties de la vie, rencontrent leurs premières désillusions. De fil en aiguille, un personnage central apparait, multiformes, polymorphe, de manière que l’ensemble figure en quelque sorte un roman, qui se superpose à ces quatre nouvelles, en filigrane.
L’écriture est concise, parfois brève, une alternance de phrases courtes le plus souvent, quelquefois précipitées, sans fluidité. Elle dépeint une toile en quatre parties par petites touches, un polyptyque impressionniste. Il faudra regarder ce tableau avec du recul et une certaine sagacité, le dessiner dans son esprit, redessiner même. L’art de l’esquisse et du suggéré est ici parfaitement maitrisé, presque trop… S’accrocher pour ne pas perdre le fil qui se ramifie et se complexifie… Peut-être revenir en arrière à la lecture, en particulier au niveau des dialogues assez brefs, voire sibyllins… L’ouvrage parait simple, en réalité il est dense, exigeant. Il peut être compris de différentes façons, ce qui est le propre des œuvres complexes, ou laisser des zones d’interrogation…
“Fort d’un vocabulaire étendu en français, fort aussi d’un dictionnaire de poche qu’il tient sur ses genoux, Kenneth évite maint piège au moment de passer commande au restaurant. Escargots, salades de foies de volaille, pâtés de tête, paupiettes de veau, andouillettes défilent sur d’autres assiettes que la sienne. Comme le fumet de ces plats le rebute, il fait mine de se moucher lorsque ceux-ci sont servis à proximité. Son appétit reste intact et madame Alice ne remarque rien”
“L’homme va sur le port. Regarde la barque, les filets. Les cannes en cocotier, les hameçons. Quand est-ce qu’on sort taquiner le requin ? Eugène sursaute. Pierre explique que les requins sont paisibles, tant qu’on reste sans les attaquer. Il ne faut pas tuer les requins…”
La pizzeria du Vésuve – Pascaline Alleriana. Éditions Kirographaires
Date de parution : 20/01/2012
Article publié par Noann le 8 avril 2012 dans la catégorie
Cru bourgeois
«J’adore entendre les voisins faire l’amour. Être le témoin du plaisir ou du bonheur des autres me rassure sur l’état du monde. Je suis capable de tout arrêter pour écouter attentivement les pleins et déliés du sexe derrière une cloison.»
Un charmant recueil de 75 nouvelles succinctes qui dépeint le monde tel qu’il est, cruel, loufoque aussi. En quelque sorte, David Thomas donne au lecteur l’occasion d’un règlement de compte entre humains. Et on se laisse prendre au jeu …
Ainsi l’auteur raconte tour à tour les scènes de la vie quotidienne qui relèvent parfois de la banalité. Il met à plat les disputes de pacotille entre conjoints, les larmes de crocodiles de certains, les fou-rires d’autres, tout cela sur fond d’acrimonie et de neurasthénie.
À travers ces minis récits, l’auteur dresse un portrait tantôt mouillé d’acide, tantôt plein d’humour d’un monde en plein chaos et raconte les âmes meurtries, les souvenirs qui font mal, les remords, les désenchantements, les déceptions de la vie conjugale, l’amertume mais aussi les petits bonheurs du quotidien qui font la vie plus belle et qu’il faut savourer.
À travers les bouts de vie qu’il observe derrière un verre grossissant, l’auteur se montre âpre à disséquer tout un chacun et porte le lecteur dans les méandres de la vie sentimentale, les pierres d’achoppement du quotidien, les énigmes de l’âme tourmentée jamais résolues, les questions sans réponse, les déceptions dont chacun fait l’objet, les sarcasmes, les remises en question.
Le lecteur passe du rire aux larmes, sans ménagement et ne manque pas de relever la similitude avec sa propre vie …
Dommage que derrière tous ces instants de vie, l’auteur se claquemure un peu dans une mélancolie, voire une déprime larvée …
Je livre un billet succinct, à l’instar de ce recueil que j’ai refermé imprégnée d’un parfum doux-amer …
Je n’ai pas fini de regarder le monde de David Thomas, éditions Albin Michel
Date de parution : 01/01/2012
Article publié par Catherine le 7 avril 2012 dans la catégorie
Cru bourgeois
Voici un livre original, qui porte comme sous-titre “Dictionnaire rock, historique et politique des drogues”. Il s’inscrit dans une collection dont le thème est donc “dictionnaires rock”. L’on compte déjà un “dictionnaire rock, historique et politique du football”, et l’éditeur annonce de prochains numéros sur la gastronomie, l’Amérique… et le sexe. Tout un programme, à suivre de près.
“Drogues store” développe un à un, par ordre alphabétique, une bonne centaine de noms, communs ou propres, liés directement ou indirectement à la drogue. Par drogue il faut entendre ce mot dans un sens très large. On commence par “Abstinence” pour finir par “Zoo”, en passant par “Descente”, “François Hollande” ou encore “Musique”…
Ce livre est une mine d’or. On y apprend, entre autres chose, le rôle du trafic de drogue dans la guerre du Vietnam, les tribulations de Coca-Cola, entre prohibition de l’alcool et interdiction de cocaïne, qui entraient dans sa composition à l’origine. Ce recueil fourmille d’anecdotes en tout genre… Il pose aussi la question de l’utilité de la prohibition et se demande s’il faut encore considérer les drogués comme des délinquants, voire s’il faut encore emprisonner les dealers. L’auteur pose ces question, et quelquefois donne ses réponses. En filigrane se dessine une voix qui à une certaine tendance à dédramatiser, voire qui prône une relative liberté d’usage, sinon une liberté complète dans le cas de certaines substances dites “douces”. En ce sens, il colle aux débats qui éclosent çà et là, et l’avis de certains qui affirment qu’il faut dépénaliser certaines drogues. Cependant, la question que l’on peut se poser en retour : cette évolution est-elle réfléchie ou est-ce l’apathie d’une société qui ne sait plus gérer ses problèmes et préfère fermer les yeux ?
Dans “Drogues store” il n’y pas de chapitre “Cocaïne” ni “Héroïne”. Certes ces produits ont été largement médiatisés, mais un petit rappel n’eût pas fait de tort. Ce faisant, il passe sous silence les ravages pourtant terribles de ces produits qui, faut-il le rappeler, ruinent encore des millions de vies. Aucun écho ici de la misère sociale, des dealers qui offrent des doses gratuites à des ados pour les habituer, des filles très jeunes qui proposent en pleine rue des passes à 25 € sans protection pour se payer une dose. En revanche, on sera surpris de trouver un chapitre “Chocolat”, “Sexe” ou encore “Amour”. Et l’auteur de mettre le doigt sur leurs méfaits et leurs assuétudes. Il innove même l’expression “chocolatomane”… Cela donne l’impression que le chocolat est aussi dangereux que le cannabis… Enfin, on apprend que Steve Jobs a été adepte du lsd, mais aussi que Bill Gates fréquentait des festivals techno où les drogues coulent à flot. Conclusion : “L’influence de la culture psychédélique sur l’essor de l’industrie informatique ne semble plus faire de doute.” C’est un point de vue quand même assez particulier qui ne fera pas l’unanimité (et que du reste je ne partage pas en tant qu’ingénieur dans le domaine…)
Drogues store – Arnaud Aubron. Éditions Don Quichotte
Date de parution : 08/03/2012
Article publié par Noann le 2 avril 2012 dans la catégorie
Cru bourgeois