« L’appréciation, la satisfaction, l’amitié même que les gens peuvent témoigner à une vulgaire tasse de café, c’est pas croyable ! » Romain Gary.
Julien, vingt ans, est aveugle… Suite à la mort de sa maman en lui donnant la vie, il s’est retrouvé sous l’aile protectrice de son grand-père, torréfacteur. Aux côtés de ce grand-père despotique, féru de café, Julien se plonge corps et âme sur le même chemin que son grand-père et devient comme lui passionné par ce petit grain rempli de vertus. L’aïeul est redoutablement exigent et bougon… Un jour, Julien ose évoquer que Nespresso est un café excellent… Et son grand-père, offusqué par cette affirmation, le congédie. Le voici à la rue, livré à lui-même…
Il trouve refuge chez son amie d’enfance, la somptueuse et pétulante Johanna. Johanna est journaliste et demande à Julien de lui parler du café. Et julien lui livre toutes ses connaissances et le fruit de son expérience, ce qui ravit Johanna. Ensemble, ils parcourent Paris et découvrent les endroits branchés de la capitale où l’on trouve toutes sortes de cafés. Puis ensuite ils se rendront au Brésil chez un créateur de café, qui leur révèle moult secrets… L’on apprend tour à tour que le commerce de ce petit grain a toujours fait l’objet de commerces fructueux d’un bout à l’autre du monde mais il faut se rappeler que l’exploitation de cet or brun était jadis liée à l’esclavage…
L’auteur nous livre un beau documentaire romancé. Nous buvons à petites gorgées le nectar issu de la plume d’un passionné de café. L’écriture est tantôt didactique tantôt imprégnée d’émotion. A travers Julien, l’auteur livre un message de passion, celui d’un petit germe brun vermeil doté de mille propriétés bénéfiques, une sorte de drogue dont on ne sort pas indemne, mais guéri parfois des maux de l’âme et du corps.
Le style est vif et emporté et l’écriture virevolte d’un bout à l’autre, repoussant ce que je redoutais au départ, un enseignement long et rébarbatif, voire ennuyeux. L’émotion et la passion de Julien pour le café sont traduites à merveille. En revanche, Johanna se montre souvent exaltée, ce qui pourrait irriter le lecteur.
Grande amatrice de ce breuvage aux qualités illimitées, j’ai été enthousiaste par ce récit, au parfum à la fois âpre et enivrant. L’auteur nous emmène aux quatre coins du monde nous faisant en cela découvrir tous les arômes de l’arabica au robusta jusqu’à l’actuel et plus « tendance » Nespresso.
Une belle balade imprégnée de caféine qui ravit le palais et les sens… Et l’on ne peut que se hâter vers la machine et se préparer un bon petit noir…
Puis vient le suspense du classement de ce roman sur notre site… Le grain brun sensuel magnifiquement raconté dans ce récit vaut-il un grand cru ou un cru bourgeois ? Après avoir ingurgité un deuxième petit noir bien corsé, les idées s’éclaircissent… J’ai tranché et lui attribuerai deux verres, non pour la qualité du récit – j’ai été enthousiaste dans l’ensemble et émue par Julien – mais peut-être parce que l’émotion que dégage Jo est plus larvée…
Le roman du café de Pascal Marmet, éd. du Rocher
Date de parution : 23/01/2014
Article publié par Catherine le 6 mars 2014 dans la catégorie
Cru bourgeois
Lou est étudiant et voue une admiration sans borne à une écrivaine, Caroline Spacek. Celle-ci a connu très jeune une célébrité honteuse pour avoir livré des romans d’une extrême violence. Originaire d’une famille de contestataire, sa vie a été jalonnée de combats, de révoltes et elle a fui très vite ce milieu hostile.
Mais Lou n’en démord pas… Il est subjugué par cette auteure et fera tout pour la rencontrer. Sans se demander comment l’aborder, il se lance tête baissée vers cette femme hors norme, la démoniaque Caroline.
Elle accepte de le recevoir dans son antre au charme désuet, en pleine campagne anglaise. Lorsqu’il franchit la porte de son logis, il ne connaît d’elle que les mots couchés sur papier, violents, et son style enflammé et parfait, toutes ces lignes enfermées dans des romans qui ont fait scandale. Il observe sa beauté froide et ses traits désolés par le tabac. À travers les volutes de fumée et sa voix éraillée, celle-ci s’épanche, se livre à cœur ouvert et lui relate toute sa vie…
Et nous voilà menés cahin-caha dans le passé et la vie décousue de cette auteure particulière, à travers le témoignage d’un fan, heureux que cette écrivaine qui vit dans sa thébaïde ait accepté de le recevoir chez elle.
Le temps d’un été brûlant, Lou enregistre les bouts de vie de cette femme hors du commun, l’écoute et s’émeut des secrets qu’elle lui confie. Tour à tour, elle lui parle de ses romans d’antan, percutants et dérangeants aussi, des coulisses de l’édition, de ses heures à écrire dans la solitude.
Lou finit par tomber sous le charme de celle qu’il ne vénérait jusqu’ores qu’à travers ses écrits…
Puis vient le chassé-croisé de ces deux âmes en perdition qui se découvrent peu à peu des similitudes, des images en copier-coller. Deux destins fragiles qui s’arc-boutent bientôt et se consolent.
Julia Kerninon nous relate une belle histoire, celle d’une rencontre improbable entre deux êtres habités par les mêmes tourments, qui ont connu la même jeunesse fracturée.
L’auteur dépeint à merveille une Amérique en conflit, où se côtoient l’alcool, la drogue, sur fond d’une immense pauvreté. Les lieux sont décrits à la manière d’une partition où chaque note est à sa place pour devenir une mélopée qui sonne la désespérance et la misère.
Une histoire d’amour aussi, même si celle-ci est dictée dès le départ et retentit un peu comme un gong qui annonce le bis repetita dans une pièce de théâtre. Je m’explique… Un peu comme si le schéma normal dans une vie d’étudiant est de tomber amoureux d’un professeur ou dans une vie de jeune tout simplement, d’un chanteur, d’un acteur, ou comme ici, d’un auteur…
C’est un peu ce qui m’a motivée à n’attribuer que deux verres à ce roman qui embaume un peu trop le manque d’originalité de la thématique…
Buvard de Julia Kerninon, éditions La Brune au Rouergue
Date de parution : 08/01/2014
Article publié par Catherine le 24 février 2014 dans la catégorie
Cru bourgeois
Voici un livre que, une fois n’est pas coutume, j’ai découvert sur un site bien connu. J’avais trouvé l’auteure sympa, et son blog tout aussi sympa : café de filles, et entre autres un article hilarant sur une séance d’épilation ratée. Dès que le roman avait été annoncé, j’avais plongé sur cet autre site qui vend tous les livres imaginables, et même les miens, avec frais d’envoi gratuits. Oui celui qui planque ses comptes au Luxembourg.
Me voici donc fébrile à la réception dudit bouquin, que j’ouvre immédiatement. Il se fait que chez moi, le facteur passe toujours vers midi, et que j’ouvre souvent le courrier au cours du repas, au risque d’avaler de travers en cas de mauvaise facture ou de bilan de contributions. Je déchire le paquet du site mondo-luxembourgeois-irlandais, le ciseau dans une main, la fourchette dans l’autre. Je commence la lecture, bouche pleine. Au début, ça se déguste facilement. Quelques pages qui se tournent toutes seules. La narratrice est enceinte, et c’est un drame, et le mec se sauve, re-drame, les parents débarquent re-re-drame, les amis s’affolent, re-re-re-drame. On a vite compris que c’était parti pour 230 pages d’émois pré-maternels. On se demande s’il faut rire ou pleurer. Moi j’ai dû me retenir pour ne pas maculer la salle à manger de sauce tomate. Ça m’apprendra à lire le courrier en bouffant. Ç’aurait pu être pire, un redressement fiscal de 10.000 €, sait-on jamais.
À part ça, l’auteure a un talent extraordinaire. Elle fait passer ses émotions avec une force incroyable. Ce petit bout, on en ressent le moindre mouvement, et surtout l’angoisse qu’il provoque chez maman-auteure. Chaque ligne met en exergue le doute, l’émoi, la passion, la folie. Mais faut-il faire autant de cas pour si peu ? Des milliards de femmes sont passées là avant, réveille-toi jeune maman, ce n’est que le premier, faut pas en faire toute une histoire. Rien n’est épargné au lecteur, la moindre douleur, la moindre peine. On a envie de lui botter le derrière à cette maman-bobo.
Quant au style… Des phrases courtes et éclatantes, des mots bouleversants, oui oui, on en veut des tomes comme ceux-là. Hélas aussi. quelques formules de style creuses, des métaphores perfectibles, des paragraphes qu’il faut relire sans être vraiment sûr de comprendre. Alors que tout était en place, il suffisait de dire les choses le plus simplement possible. Le contenu s’y prêtait. Au lieu de quoi, des effets de mots, des jeux à la Rubik’s cube, et finalement le tout ressemble à un plat de nouille trop cuites, qu’il faut démêler.
Il reste un mystère. Comment ce livre peut-il recueillir tant d’éloges ? Il faut dire que notre auteure s’était constituée un bon fan club. On s’y reconnait, entre nanas la complicité féminine joue à fond, c’est l’une des nôtres qui a souffert, il faut la soutenir. Et en plus on y casse du mec, et ça nous rappelle des souvenirs vécus ou pas, ces types qui nous larguent dans le moments durs, quand nous avons envie de balancer notre ventre rond sous les roues du tram. Ah les salauds, elle a bien fait de leur couper l’herbe sous les couilles, Camille. Et voilà que les commentaires élogieux déferlent, avant même la sortie du livre. L’on dit que le livre est génial, 15 jours avant sa sortie. Une amie avoue même qu’elle en a acheté 5 pour toutes ses copines, tant elle est sûre qu’il est génial. Et ça bavasse, et sa cancane. La solidarité féminine, ce n’est pas rien. Mais eh oh, mesdames, ça vous ira oui ? Le meilleur service que vous puissiez rendre à votre amie auteure, c’est l’honnêteté, c’est de lui dire ce qui est bien et ce qui ne l’est pas. Ça lui permettra de se remettre en question et d’écrire un meilleur la prochaine fois.
Certes, je ne suis pas la bonne lectrice. Je n’ai jamais été à terme, juste une fausse couche à 6 semaines. Et puisque des millions d’enfants crèvent de faim, la Parisienne céliperdante qui attend son premier marmot et en fait un drame à La Zola, excusez-moi mais ça m’est un peu passé par dessus le bide. Sorry Camille, je vous aimais bien… Mais vous avez dilué votre talent dans le pathos et dans les fioritures de style. Dommage, ç’aurait été un bouquin génial, on n’en est pas loin… Mais. Je ne m’en fais pas toutefois, vos milliers de fans viendront vous consoler, il paraît même que vous serez sur France 5 la semaine prochaine
Ben moi je sens que je vais faire une grossesse nerveuse.
Un tout petit rien de Camille Anseaume
Date de parution : 08/02/2014
Article publié par Noann le 23 février 2014 dans la catégorie
vin de table
Joao, Lucio, Ray Mayo et M., quatre amis oisifs, se retrouvent dans une cité balnéaire rongée par le sable qui glisse peu à peu vers l’oubli.
Dans ce lieu de perdition entre désert et mer, la vie s’écoule au ralenti… De longues heures à chasser les raies de sable, se soûler ou faire des parties de I.Go. Dans ce lieu insolite, les mirages viennent parfois brouiller l’horizon…
Tout ici semble se dérouler sans la moindre vicissitude. Rien ne présage des lendemains incertains…
Jusqu’au jour où l’un des quatre compères disparaît… Viennent alors se bousculer dans les âmes moult questions… Et si ce n’était qu’un rêve, que la conséquence de l’esprit qui délire ou bien le parfum de fin du monde de ce lieu qui s’enlise et s’étouffe sous le sable qui avance inlassablement ?
Un récit qui vous entraîne dans les abîmes de la conscience jusqu’au vertige. L’écriture est tissée de poésie et mêlée à l’étrange.
La thématique est intéressante certes mais l’auteur aurait pu y donner plus de force, y déposer çà et là quelques touches de suspense pour rehausser l’atmosphère parfois angoissante du désert qui avance.
Soporifique donc cette histoire qui vous entraîne plutôt dans une douce léthargie… Et l’on a peur, à l’instar de la station balnéaire glissant dans l’oubli, de se retrouver hors de l’histoire, le figurant d’un mirage, le lecteur absent, trop absorbé par le vide sidéral qui règne dans ce récit…
De beaux passages cependant, empreints de lyrisme, vous sortent de la torpeur et vous poussent vaille que vaille vers la fin de ce court roman.
Je n’avais encore rien lu de cet auteur auparavant et n’ai donc pu retrouver quelques fragments de son univers. D’aucuns verront peut-être dans ma chronique l’expression d’une assez bonne impression mêlée à une lassitude larvée…
Les lieux décrits dans ce récit me rappellent l’une ou l’autre station balnéaire désuète où j’ai séjourné, c’est ce qui m’a donné l’envie de m’imprégner de l’histoire et d’y trouver mes propres repères…
Quant au classement du roman dans les catégories de notre site, me voilà dubitative… Entre un verre ou deux, il m’a fallu trancher. Je lui attribuerai donc deux verres.
Le portique du front de mer de Manuel Candré, éd. Joëlle Losfeld
Date de parution : 16/01/2014
Article publié par Catherine le 19 février 2014 dans la catégorie
Cru bourgeois
Auteur : Édouard Louis a 21 ans. Il a déjà publié “Pierre Bourdieu: l’insoumission en héritage” (PUF, 2013). “En finir avec Eddy Bellegueule” est son premier roman.
Résumé :
“Je suis parti en courant, tout à coup. Juste le temps d’entendre ma mère dire Qu’est-ce qui fait le débile là ? Je ne voulais pas rester à leur côté, je refusais de partager ce moment avec eux. J’étais déjà loin, je n’appartenais plus à leur monde désormais, la lettre le disait. Je suis allé dans les champs et j’ai marché une bonne partie de la nuit, la fraîcheur du Nord, les chemins de terre, l’odeur de colza, très forte à ce moment de l’année. Toute la nuit fut consacrée à l’élaboration de ma nouvelle vie loin d’ici.”
En vérité, l’insurrection contre mes parents, contre la pauvreté, contre ma classe sociale, son racisme, sa violence, ses habitudes, n’a été que seconde. Car avant de m’insurger contre le monde de mon enfance, c’est le monde de mon enfance qui s’est insurgé contre moi. Très vite j’ai été pour ma famille et les autres une source de honte, et même de dégoût. Je n’ai pas eu d’autre choix que de prendre la fuite. Ce livre est une tentative pour comprendre.
Concentré de l’émission ( Vertigo – 12.2.2014):
J’ai écouté une émission où Edouard Louis parlait de son livre. Voici en gros le résumé de l’émission : « Au commencement était l’injure ». Ce livre est une invitation à être ce que l’on est, ce que l’on veut être et non pas ce que l’on veut faire de nous. Le roman de sa vie (il a souhaité en faire un roman pour moins blesser ses proches entre autres raisons) est de fait le récit de son enfance et adolescence, un « récit littéraire sur la violence» C’est une histoire universelle, l’expérience de la différence, de l’exclusion, de la domination, des préjugés. L’injure se faufile par les fissures de l’être (que l’on soit gay, étranger, moche, différent) génère la honte avant qu’on soit capable de se construire, et de changer ce sentiment de honte en fierté et l’assumer. Ce livre est un livre sur la violence physique, verbale et morale. Tout est moche dans la violence. Le livre parle de la honte de ne pas correspondre à l’attente des autres ; il est constitué de scènes. Le jeune garçon va se « vider » de sa violence et devenant homophobe et en se déchargeant avec violence sur les autres, pour montrer aux siens qu’il est un homme et déteste les « pédés ».
C’est un roman sur la domination. Les pauvres sont dominés par la société, et ils dominent plus « méprisables » qu’eux pour ne pas être au plus bas.
Dans ce village, on le traite de « Pédé » avant même qu’il en soit conscient. On le marginalise en le considérant comme anormal, différent et on induit en lui des comportements.
Le livre est un appel politique à la révolte des dominés ; la colère est omniprésente (chez le père, la mère). Seul Eddy n’est pas révolté. Lui il rêve de conformité ; il finira par fuir « par défaut ». Il se construit « contre sa famille », toujours par défaut. Le livre est en quelque sorte un éloge de la fuite. Il faut fuir non par lâcheté mais pour mieux se constituer. Il faut laisser l’insupportable derrière soi et partir pour vivre et être soi-même. Les différences deviennent une force mais il faut se façonner des armes pour les affronter et les accepter, pour ensuite comprendre les autres et les excuser. Les actes des individus sont induits par le système, les discours entendus parlent par la bouche des miséreux. Le danger est dans les mécanismes collectifs de la haine. L’exclusion conditionne toute la vision du monde ; ce livre est une mise en lumière d’une réalité sociale que tout le monde – politique et social – réfute ; Le « petit noir », le gros, le moche, le « pédé », tout ce qui est différent canalise la violence. Et il convient de dénoncer la participation du dominé à sa propre domination (la femme battue qui rentre chez elle pour se faire battre)…
Mon avis :
L’histoire se passe dans le petit village d’Hallencourt, dans la Somme (petit village de Picardie). Ce livre est très violent, il met très mal à l’aise. Surtout car il est tellement hallucinant que je me suis mise à douter de la véracité du récit. Comment à la fin du XXème siècle vit-on comme il y a plusieurs siècles ? Trop de sordide tue le récit. Je n’ai pas pu rentrer dans le récit. Tellement crispée à la lecture que je suis restée spectatrice incrédule et que je n’ai même pas éprouvé d’empathie. Je me disais « quelle horreur » et au fur et à mesure je me suis blindée et détachée en me réfugiant derrière un « trop c’est trop ». De plus il le dit bien il a construit son livre comme un projet politique et cela nuit à la sensibilité. Tout sent l’analyse de ce jeune homme qui a suivi des études de sociologie et qui nous donne à lire un récit sociologique sur la violence plutôt qu’un roman sur l’enfance détruite. Il sort de la fange, de la misère, et dans son récit si bien écrit, il se distancie tellement de son passé que j’ai eu l’impression de lire un reportage sur des gamins du quart monde.. et non pas sa propre histoire. Trop de distance entre lui petit et lui maintenant…
Extraits :
Au collège : J’errais sans laisser transparaître l’errance, marchant d’un pas assuré, donnant toujours l’impression de poursuivre un but précis, de me diriger quelque part, si bien qu’il était impossible pour qui que ce soit de s’apercevoir de la mise à l’écart dont j’étais l’objet.
Les histoires du village : Une volonté, un effort désespéré, sans cesse recommencé, pour mettre d’autres gens au-dessous de soi, ne pas être au plus bas de l’échelle sociale
Révolte du corps : Je n’avais pas envisagé qu’il ne suffisait pas de vouloir changer, de mentir sur soi, pour que le mensonge devienne vérité.
En finir avec Eddy Bellegueule – Edouard Louis
Date de parution : 02/01/2014
Article publié par Yves Rogne le 19 février 2014 dans la catégorie
Cru bourgeois
Le précédent livre de Murielle Magellan m’avait particulièrement emballé, j’en parlais ici. Je me demandais comment l’auteure allait rebondir, ce qu’elle aurait à nous offrir comme suite.
Dès les premières pages, elle confirme son talent. Nous sommes immédiatement happés dans un flux d’émotions. Les mots sortent du cœur d’une jeune femme de 20 ans, l’auteure même. Des pensées que l’on devine intimes, et qui ont la puissance du vécu. La jeune Murielle est attirée par un professeur, nettement plus âgé qu’elle. Mais dans ce milieu du spectacle, les tentations sont nombreuses, et le professeur papillonne sans vraiment s’intéresser à son élève. Ils se perdent de vue, se revoient, de fil en aiguille font un pas de plus, finissent par s’épouser et avoir un enfant.
Murielle Magellan nous conte avec une force très personnelle cette aventure chaotique, qui s’étale sur tout un pan d’existence. Elle sait donner vie à ses émois, qu’ils soient faits de joie ou de peine. Elle explore les intimités et nous livre les tourments de l’âme avec magnificence. L’histoire est intéressante, bouleversante même. Nous suivons la vie de cette jeune femme jour après jour, avec l’aide de notes personnelles griffonnées dans de petits cahiers, qui sont des copies de vraies pages de l’époque. Mais il manque une trame forte à laquelle s’accrocher, comme c’était le cas de son précédent livre, qui nous menait du début à la fin sans que l’on voie le temps passer. Le récit tourne tout autour de cette liaison passionnée et un peu folle, car la jeune femme s’attache désespérément à cet homme qu’elle sait volage, contre toute raison, jusqu’à la fin. L’homme en question, le “slave”, est intéressant parfois, répugnant souvent, dans son ego sur-dimensionné, et le mépris des autres. Quant à elle, sa naïveté dépasse tout entendement. Cependant, l’exploration intimiste de l’auteur nous donne à voir cette histoire complexe sous des angles édifiants, et nous aide à comprendre les infimes rouages de cette relation singulière. L’auteure sait faire parler les âmes et explorer leurs moindres replis. Chacun reconnaîtra sans problème une histoire déjà vécue ou entendue dans ce livre, tant les facettes explorées nous sont familières. Mais l’auteur parvient à donner une lumière particulière, à la fois authentique, forte et convaincante.
Le récit aurait pu avoir toutefois un fil conducteur plus captivant, et être centré sur les arts dramatiques par exemple, la création d’une pièce ou autre, avec d’autres personnages à l’appui, et l’histoire d’amour en filigrane. Mais au contraire, il est porté uniquement par l’amour irraisonné et sans limite pour ce professeur. Dès lors, les 330 pages paraîtront peut-être longues et quelque peu monotones, en dépit du talent de l’auteure à en exploiter les infinis aspects. L’auteur n’échappe pas totalement au piège pourtant bien connu du mode auto-biographique : la tendance à se faire plaisir en parlant de soi, à livrer des anecdotes… Oubliant le lecteur. J’ai dévoré le roman précédent de M Magellan, tandis que celui-ci a traîné des semaines sur ma table de chevet. L’un n’est pas meilleur que l’autre pourtant. Mais bien que j’aie adoré de nombreux passages, l’ensemble m’est apparu comme une sorte de tournage autour du pot.
N’oublie pas les oiseaux de Murielle Magellan
Date de parution : 13/01/2014
Article publié par Noann le 12 février 2014 dans la catégorie
Cru bourgeois
Que s’est-il passé un matin de septembre, à Châtillon-en-Bierre ? Les habitants se retrouvent du jour au lendemain coupés du monde, sans moyen de communication, sans téléphone ni réseau internet… Même les routes ne mènent nulle part et il est donc impossible de quitter le village. Le village semble s’être effacé de la carte de France.
Surgissent alors moult questions… Comment trouver les moyens de subsistance, de soins ? Puis viennent les énigmes abstraites… Le village a-t-il été propulsé hors de l’univers et est désormais seul ? Est-ce un signe du destin, une manœuvre d’une autre entité ?
Dans ces instants surréalistes s’ensuivent les affrontements entre villageois, les découragements, les angoisses face à l’inattendu. La vie s’organise tant bien que mal, mêlant peurs démesurées et instinct de survie. Dans cette communauté imposée, on découvre la personnalité de chacun, les égoïstes peu soucieux du sort des autres, qui se démènent seuls pour sortir de leur galère, les meneurs qui dirigent les autres, ceux qui vivent dans leur thébaïde en attendant les jours meilleurs… Dans ce petit monde suspendu, la survie devient aléatoire… Ainsi sous le joug de l’église toujours puissante, des groupuscules qui apparaissent, la vie s’essouffle doucement.
Dans ce conte philosophique et fantastique, l’auteur remue nos inquiétudes d’humains assistés et connectés virtuellement au monde entier. La situation vécue par les personnages est tantôt teintée d’humour, tantôt bouleversante.
Une belle réflexion sur la mondialisation et ses dérives mais aussi sur le sens de l’existence… Indéniablement.
Cependant, autant le récit est passionnant au départ, autant il s’embourbe vers le milieu. Il en devient même un peu monotone. L’auteur nous dévoile pourtant toutes les facettes d’une intrigue passionnante, dépose çà et là tous les ingrédients d’un suspense bien enlevé et mène le lecteur vers un dénouement de l’histoire, hardi et surprenant. Malgré cela, le cours de cette fable impassible fléchit un peu par moment et le style du récit un peu pesant embarrasse le lecteur qui s’attendait à trouver le même enthousiasme qu’aux premières pages…
Le village évanoui par Bernard Quiriny
Date de parution : 15/01/2014
Article publié par Catherine le 11 février 2014 dans la catégorie
Cru bourgeois
Un matin de février. Simon Limbes, une vingtaine d’années, tout en émotion, vif, espiègle, s’adonne aux joies du surf et brave les vagues, insouciant et heureux… Puis retour au bercail, épuisé, la mémoire encore imprégnée de ce beau début de journée… L’accident. Simon a une hémorragie cérébrale se retrouve dans le coma. L’équipe médicale doit affronter le désarroi des parents et leur annoncer que la vie de Simon tient à un fil, celui qui le relie à une machine pour un instant encore, avant d’être déconnecté…
Viennent alors s’entrechoquer dans la mémoire des parents le sentiment d’injustice, l’insoutenable douleur, la réponse attendue des médecins quant à l’autorisation de prélever des organes… L’enfer, l’horreur… Une fraction de temps entre vie et trépas, une journée où tout bascule…
Sans jamais user d’artifice, avec une grande pudeur, l’auteur décortique à la manière d’un orfèvre les meurtrissures et les ressentis de ses personnages terrassés par le drame.
L’écriture est bouleversante d’émotion. Pas à pas, l’auteur nous invite à accompagner les personnages dans leurs tourments, leurs drames pour les uns, leurs joies larvées pour d’autres. Ainsi, l’on se plonge tour à tour dans les âmes d’une mère en perdition, d’un médecin réanimateur, d’une infirmière spécialisée, d’une malade qui attend le cœur d’un autre pour lui redonner vie… Au milieu de ces destins suspendus, le lecteur se faufile discrètement et se laisse porter par la bourrasque d’émotions nées d’un matin tranquille qui vire à la tragédie en quelques heures.
L’auteur réussit un coup de maître en décryptant et couchant sur le papier des sentiments si forts, si graves et si difficiles à exprimer.
Je retrouve l’écriture et le style remarquables, dignes d’éloges, de “Naissance d’un Pont”, que j’avais chroniqué ici il y a quelque temps.
Un récit très fort qui nous remue à l’intérieur et réveille nos questionnements, nos contredits, nos incertitudes. Et la question fondamentale de la mort d’un corps qui peut donner la vie à un autre…
Un ravissement… Une tornade d’émotions…
Réparer les vivants par Maylis de Kerangal
Date de parution : 02/01/2014
Article publié par Catherine le 19 janvier 2014 dans la catégorie
Premier Grand Cru Classé