Comment peut bien écrire une Autrichienne primée par le Nobel de littérature ?
Avec soin, rigueur, profondeur, talent…? En apparence, les Amantes est tout sauf ça. Une histoire chaotique, écrite sur un ton brut de fonderie, avec ses scories.
On dirait que Jelinek l’a griffonnée le matin dans la cohue de l’autobus, sur un calepin, vite, entre deux arrêts. Les majuscules ? inutiles ! les répétions ? peu importe ! Pas envie d’écrire un nom ? la première lettre suffit… Pourtant cette écriture est assez cohérente et donne bien le ton. Coup de massue, rupture avec la tradition de l’idylle germanique, contestation véhémente de la société autrichienne bien pensante.
Brigitte est ouvrière dans une usine. Elle rêve d’amour et d’enfants, croit trouver le bonheur avec Heinz, qui ne voit en elle que la chair.Ils vivent dans l’instant et se préoccupent de la fin de semaine, de leurs noces, de leur bouffe. Parallélisme avec Paula, qui lit des romans-photos et va au cinéma. S’entiche d’un bucheron, motard et alcoolique. Deux perditions, différentes.
L’écriture tempétueuse rend à merveille l’état de déliquescence de ces familles affolées. Jelinek laisse libre court à sa fureur et son esprit débridé d’artiste. Après, on raffole ou on déteste. Il faut se prendre au jeu et apprécier ce ton brut, brutal même, sarcastique, sans fioriture, sans traitement. Un roman qui a trouvé son lectorat au milieu des années ’70, auprès d’un public souvent jeune et contestataire. Re-publié en poche chez Points. A voir, fût-ce par curiosité…
Extraits :
le mieux est toujours mieux que le bien.
souvent, ces femmes se marient ou périssent d’une autre façon.
mon dieu, comme je te hais pour ça, pense b. heinz est heureux d’avoir enfin quelqu’un à baiser.
… il ne faut pas proposer et laisser dieu disposer, mais laisser les autres proposer et disposer soi-même.
on peut dès à présent garantir à l’enfant qu’il n’aura pas beaucoup d’autres plaisirs par la suite, sauf quand les beaux-parents ou un client important seront en visite. l’humiliation de la mère rejaillira sûrement sur le petit enfant. on commencera par battre et esquinter le premier, et puis en toute hâte on fera le suivant. un enfant peut être victime de l’usure générale des choses ou de la circulation dans les grandes villes, il en faut donc un de réserve. il est préférable d’en avoir un en stock, en prévision de l’usure
Les amantes- Elfriede Jelinek. éditions J. Chambon,Points.
Article publié par Noann le 18 juin 2010 dans la catégorie
Cru bourgeois
Quatre textes présentés comme des nouvelles… plutôt de courts romans en fait. La définition de la nouvelle est variable, entre la novella et la short story. Mais le plus souvent, elle est définie comme ‘un texte avec peu de personnages, centré sur un événement, une écriture vive qui se lit d’une traite et se termine par une chute finale. Ici, s’il y a bien une chute, en revanche le récit s’attarde, s’égare parfois, et se déroule sur de longues périodes de vie.
Des êtres face à leurs tourments, des personnes au caractère bien trempé, qui sont coupables de faits graves, mortels tant qu’à faire, et se retrouvent confrontés à leur conscience. Certains s’amenderont, d’autres pas. EE Schmitt écrit avec fièvre et force, comme sous l’emprise d’un démon. Un journal en annexe explique son envie pressante de conter, une sorte de besoin naturel ou un désir libidineux. Écriture riche, précise, rigoureuse. A contrario, quelques longueurs et répétitions enlèvent de l’intensité. Le rabâchage fatigue un peu, on dirait qu’il veut nous convaincre de faits déjà fort convaincants en soi. Comme l’écriture est musclée, le côté répétitif donne un résultat proche d’une séance interminable de musculation. J’ai lu sans déplaisir mais par petites doses. Les textes ont suscité en moi des réactions diverses. C’est surtout le troisième qui m’a ému, lequel a d’ailleurs donné son titre au livre. Histoire de deux amis, rivaux dans l’art, l’un laisse mourir l’autre pour guigner un prix…
Je pense que le talent d’EE Schmitt ne se révèle pas pleinement dans ce recueil. A mon avis, quelques coupures et élagage n’auraient pas fait de tort. Le style pourrait être parfois plus nuancé et moins en force. Le résultat aurait pu être encore meilleur.
Extraits :
“Pas étonnant qu’il ait pourri dans un poste d’enseignement, sans rencontrer le public, il n’avait jamais pigé que tout est duel, toujours”
“Pas un homme mais un graffiti d’homme, un brouillon, une esquisse, un raté…”
‘Car Greg n’avait fabriqué que des filles, sa semence était impuissante à générer du mâle…”
Concerto à la mémoire d’un ange – Eric-Emmanuel Schmitt. Albin Michel
Article publié par Noann le 9 juin 2010 dans la catégorie
vin de table
L’histoire poignante met à nu les ravages d’un héritage familial maudit… L’auteur se réfugie dans l’écriture, qui deviendra alors l’instrument de son expiation, ses souvenirs d’enfance et d’adolescence. Mais ce sera aussi un moyen de garder près de lui ceux qu’il a aimés …
Lionel Duroy cultive son talent de conteur pour sonder l’histoire de sa famille. D’un logement cossu à Neuilly, le père aristo et la mère qui se prend pour une duchesse se voient obligés de déménager vers un HLM avec leurs dix enfants et plus un sou en poche. Alors que le papa sombre dans une profonde mélancolie, la mère se met à malmener ses enfants à qui elle fait porter le chapeau de cette chute sociale. Elle se montre si furieuse qu’elle oublie de les aimer.
Et plus tard, ce fils d’un homme de droite deviendra un homme de gauche essayant de comprendre ce qui dans cette saga familiale désastreuse a fait de lui le mari et le père qu’il est devenu et l’écrivain détesté parles siens pour avoir révélé ce dont chacun d’entre eux avait souffert …
L’écriture éblouissante, émouvante, vous transperce le cœur de part en part. De la lecture de ce récit, on sort troublé, ému. A certains moments, on sent que l’auteur reprend une bouffée d’oxygène quand les souvenirs qui lui reviennent le plongent dans un chagrin trop lourd à porter et l’étouffent …
Le Chagrin – Lionel Duroy, Editions Julliard
Article publié par Catherine le 6 juin 2010 dans la catégorie
Grand vin
Léonce n’est plus ce petit garçon de huit ans, secret et craintif, qui a vu partir son père, cédant aux attraits de la vie coloniale, un jour d’hiver, Il s’imaginait y faire facilement fortune, sur les traces de Brazza ou de Stanley, c’est à tout le moins ce que lui avait promis Toinet, le notaire, comme il lui avait certifié qu’il reviendrait bientôt, fortune faite, évidemment puisqu’il ne pouvait en être autrement… Léonce vit maintenant, soixante ans après, avec sa vielle mère, dans cette grande maison triste coincée maintenant entre la rivière et la route nationale et les nouveaux lotissements… C’est mieux pour elle que la maison de retraite, autant dire le mouroir, mais quand même, cela aurait pu être autrement!
Aux yeux de son père, l’enfant n’était pas autre chose qu’un petit être insignifiant, transparent, qui ne méritait même pas qu’on s’intéressât à lui qui serait donc mis en pension, pour l’endurcir et le préparer à la vie… Le père est donc parti, seul, abandonnant sa femme qu’il n’aimait pas vraiment, son poste de directeur à l’usine de son beau-père, ses beaux-parents qui avaient fait sa fortune et avec qui il vivait dans cette maison pourtant agréable et ce décor de province qu’il ne supportait plus… Il avait fait des promesse de réussite et renouvelait souvent par lettre son intention de les faire tous venir en Afrique, auprès de lui, mais…
Léonce est vieux maintenant, mais il évoque la façon dont son père est arrivé, un peu par hasard dans cette maison, accompagné et invité par celui qui allait être son grand-père. Il se remémore la façon un peu cavalière et sans grande élégance, avec laquelle il s’est établi dans cette famille et en a séduit la fille. Ce mariage s’est donc fait, à cause de la promesse d’un enfant à naître, Léonce, mais il n’a jamais été heureux! Son père s’est révélé être une sorte d’écornifleur, mais aussi un ingrat, abandonnant tout ce petit monde pour entreprendre cette aventure africaine, parce que dans les années 192O il y avait ce rêve suscité par l’Empire français et les encouragements du notaire Toinet qui lui prêta aussi quelque argent. Mais cette escapade exotique a rapidement tourné au cauchemar et les rêves d’aventure et de réussite sociale de ce père se sont vite transformés en quotidien bureaucratique, pratiques douteuses et risques inconsidérés qui finirent par lui couter la vie. Pour Léonce et sa mère, ce fut aussi la ruine…
C’est donc l’histoire d’une fuite, d’une recherche vaine de quelque chose d’inaccessible, faite de souvenirs tristes, dans un décor décrépis face à la réussite des autres… L’épilogue surprend un peu.
J’ai lu ce roman jusqu’à la fin, un peu par goût, un peu par curiosité. Le style en est agréable mais Frédérique Clémençon fait des phrases un peu longues, ce qui ne favorise pas la lecture.
Colonie – Frédérique Clémençon. Éditions de Minuit.
Article publié le 3 juin 2010 dans la catégorie
vin de table
Daniel Fattore est bien connu pour son site littéraire. Mais il est aussi auteur de nouvelles, et depuis fort longtemps !
Comment définir les textes de ce recueil ? Je dirais qu’il s’agit de brèves de comptoir, avec un traitement littéraire. Des anecdotes, de l’humour plus ou moins glauque, à boire et à manger, le tout avec une rigueur d’écriture.
Qu’en penser ? Le style est assez personnel. Une certaine précision dans les descriptions, une syntaxe impeccable. Et un ton gouailleur parfois un rien excessif… Fattore a eu le soucis du détail. Une bière n’est pas un simple liquide jaune qui ne se distingue en rien de l’urine de jument, c’est une Blanche de Bruges. Un whisky, c’est du Teacher’s. Du coup je me suis rappelé cette soirée en Angleterre il y a quinze ans. Et ce concours de potache, où on se revoit sur les bancs de l’école… le cahier est un Clairefontaine, le livre que le prof lit, ce n’est pas n’importe quoi, c’est le Matin des Magiciens. Les personnages sont réalistes mais pourraient être plus touchants, à mon goût. Les nouvelles se terminent parfois de façon surprenante, en points de suspension, et il m’est arrivé de me dire : où est-ce que Fattorius veut en venir ? Mais au lecteur d’imaginer la suite…
En conclusion, pour un premier c’est une réussite. On sent l’homme de lettres derrière, lecteur et traducteur. Textes à lire, à boire… De la ripaille, des aventures, jamais on ne s’ennuie. Des bouts de textes retrouvés dans des fonds de tiroir, sans prétention. Une lecture agréable dans l’ensemble.
Le noeud de l’intrigue – Daniel Fattore. Editions de la Plume noire.
Article publié par Noann le 2 juin 2010 dans la catégorie
Cru bourgeois
Richard Bach est l’auteur de “Jonathan Livingston…”, tiré à 40 millions d’exemplaires, propulsé par le cinéma et la bande musicale de Neil Diamond. Suite à ce fulgurant succès, Richard, malgré son prénom, a été ruiné par des financiers véreux, ce qu’il raconte dans le très beau livre “un pont sur l’infini”. 50 ans plus tard, que devient-il ?
“Vole avec moi” est l’histoire d’un aviateur qui rencontre deux hypnotiseurs, grâce à qui il va découvrir “la vérité”, de son moi supérieur à l’univers de 36 dimensions. Richard nous donne par le biais de ses personnages de nombreuses leçons de philosophie. Toutefois, je soupçonne qu’il se soit inspiré de Ron Hubbard et de Raël (le demi-frère de Jésus)
Extraits :
“La règle n°1 de la vie dans l’espace-temps est évidente : il faut croire à l’espace-temps”
“…l’hypnotiseur avait usé de son entrainement pour se déshypnotiser de la Conscience conditionnée, des milliards de suggestions qu’il avait acceptées…”
“Nous sommes des points de mire de la conscience, immensément créatifs. Lorsque nous pénétrons dans l’arène autobâtie que nous appelons espace-temps, nous nous mettons instantanément à générer des particules de créativité, nommées imajons, dans un déluge pyrotechnique ininterrompu”
Conclusions : Que de concepts innovants ! Mais un peu ardu pour mon esprit fatigué de lutter contre ses ions négatifs poussés par la force invisible de leur pouvoir suggestif. Finalement, je suis désemparé, j’ai voyagé dans l’espace-temps à X dimensions et je me suis perdu, j’ai dévalé les escaliers de la pensée, je suis tombé et j’ai eu du mal à remonter. Déboussolé. Au secours ! Faites-moi revenir dans l’espace-temps du présent !
Mon avis : cette suite de leçons de philosophie ésotérique manque un peu d’argumentation. Mon cerveau cartésien, même en phase de ressourcement bêta-positif, n’a pas apprécié.
Vole avec moi – Richard Bach. Éditions Flammarion
Article publié par Yves Rogne le 2 juin 2010 dans la catégorie
Comestible ?
Il ne s’est laissé que le temps d’un baiser pour sa femme et ses fils, puis il est parti, direction le cosmos …
Ivan, médecin, père de deux enfants a été choisi pour un voyage en orbite autour de la terre durant 400 jours. Et il se vante, houspille son entourage, se montre empressé.
Ce voyage dans l’espace va lui ouvrir les yeux sur les valeurs qu’il avait négligées et lui donnera une leçon d’humilité.
Nous voici donc embarqués aux côtés d’Ivan et l’on suit pas à pas les pérégrinations de ce personnage qui a toute notre sympathie. Depuis l’adieu déchirant à la famille, l’embarquement, la vie à bord, jusqu’au retour sur Terre, tout est livré avec une vérité étonnante.
On se laisse entraîner dans un huis clos oppressant mais l’on ne s’ennuie jamais. L’auteur donne tant de relief à des événements simples qui s’enchaînent jusqu’à la dernière page que les 400 jours rythmés par les épreuves, les tensions, les moments de fous rires passent en fin de compte très vite …
Les dernières pages – le retour sur Terre – sont un pur florilège … On partage avec Ivan la redécouverte des parfums que la Terre exhale, la joie d’être debout sur un soubassement solide, loin de cet univers poudreux et désolé …
Je n’ai pas dansé depuis longtemps – Hugo Boris. Editions Belfond
Article publié par Catherine le 31 mai 2010 dans la catégorie
Premier Grand Cru Classé
Henning Mankell est un auteur suédois, spécialisé dans le polar, qui passe une partie de sa vie au Mozambique et a écrit de nombreux textes sur l’Afrique. On se serait attendu pour son dernier titre, “les Chaussures italiennes”, à une histoire mouvementée et chaleureuse. Oh surprise ! Mankell installe son récit dans un bled perdu, une île à trois nautical miles au large de la Suède. Pas un voisin à des kilomètres. -25 °C. Rien de bien folichon a priori. Je me suis dit: 340 pages sur ce trou perdu, on va s’ennuyer ferme. Le personnage principal, médecin de 66 ans désabusé, vit reclus après avoir commis une erreur médicale. Alors il ressasse.
Chaque matin, le sexagénaire creuse un trou dans la glace et s’y enfouit complètement nu. Drôle de pratique, même pour un Suédois. Et un jour, une vieille amante délaissée débarque, 37 ans après, transie de froid. Décidément, ce peuple est original ! Elle lui remémore une promesse faite quand il avait dix ans et lui demande de la respecter. En passant elle lui révèlera un secret…
Nous sommes ici clairement dans le roman nordique, lent et figé comme l’hiver boréal. Mais la froideur n’est qu’apparente. Ce récit est d’une profondeur insondable et les personnages sont attachants. Quand ils écrivent, les gens du Nord vous pondent des chapitres à n’en plus finir sur leur existence paisible, mais c’est riche et aussi chaleureux qu’une soirée à Ibiza, le calme en plus.
Ce conte philosophique est émouvant. En revanche, on pourrait être lassé par le ton un peu monotone et introspectif. Le style à mon avis aurait pu avoir plus de caractère. Il n’échappe pas au côté un rien formaté et scolaire de la traduction, peut-être trop littérale ? J’ai cru deviner les résidus de l’influence germanique sur la langue suédoise, un peu comme cette rigueur et cette géométrie qui se ressentent parfois dans les livres traduits de l’allemand.
Les Chaussures italiennes – Henning Mankell – Le Seuil
Article publié par Noann le 29 mai 2010 dans la catégorie
Grand vin