Le Palais des Ombres – Maxence Fermine
Paris, quelque part dans les années 1960. Nathan Thanner, un marionnettiste d’une trentaine d’années, réservé et délicat, vit confiné dans sa boutique où il confectionne avec passion ses poupées.
Un jour, il reçoit une lettre de son père, un ex-écrivain à succès, devenu fou, à qui il ne parle plus depuis dix ans. Cette missive lui annonce, outre le décès de son père, l’héritage que celui-ci lui laisse, la mystérieuse bâtisse où il vivait cloîtré, le Palais des Ombres.
Inquiété par cette étrange correspondance, et apprenant que tous les occupants de cette maison énigmatique sont morts les uns après les autres de façon étrange, Nathan se livre à une enquête et va se heurter à des révélations qui entraîneront toujours plus d’investigations, pour mener à la vérité…
Un roman magnifique qui réunit une série d’ingrédients, tous plus subtils les uns que les autres. Ainsi, l’auteur évoque de nombreuses thématiques, la solitude, les mystères de la famille, le tout sur fond de suspense suggestif subtilement glissé entre les lignes de façon magistrale. Point de scènes baignées d’hémoglobine ni de terreur livrée lourdement, de but en blanc, non, ici séjourne une frayeur larvée mais plus efficace encore.
L’auteur balaye avec une plume redoutablement énergique, mais sans jamais toutefois, tomber dans l’horreur à deux balles ou le thriller saumâtre, évite les atmosphères pesantes et les longueurs stériles, pour nous mener vers une fin inattendue mais toujours aussi raffinée.
Un récit magnifiquement ficelé, envoûtant, une danse d’émotions et de mystère conduite par un maestro de l’écriture.
Se hâter vers le dénouement mais sans jamais lâcher des yeux le moindre balbutiement de mystère, les soupçons de romantisme qui s’immiscent entre les lignes…
Percutant. Riche. Un ravissement…
Le Palais des Ombres de Maxence Fermine, éd. Michel Lafon
Mentir n’est pas trahir – Angela Huth
Gladwyn Suter vit dans une maison cossue de la banlieue de Londres. Sa belle épouse Blithe s’occupe du foyer, lui prépare de bons petits plats lorsqu’il rentre du travail et son fils est un garçon exemplaire. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Un jour, alors qu’il se rend chez sa mère à la campagne, Gladwyn croise Lara, une jeune femme qui a fait une chute de vélo. Il la conduit à l’hôpital et donne à son épouse un prétexte futile pour justifier son retard au domicile.
Après seize ans de mariage sans anicroche ni remous, Gladwyn multiplie les absences, les escapades improvisées, les alibis et noue une relation intense avec Lara. Et l’amour s’installe entre les deux amants… Glaswynl se retrouve emporté par une danse effrénée de sentiments, une aventure équivoque qui le désarçonne et le rend heureux à la fois. Dans sa tête se bousculent moult questions… Peut-on aimer deux femmes à la fois ? Certes, mais d’un amour différent, de raison et de stabilité d’un côté, de passion et de fougue de l’autre… murmure-t-il dans sa tête.
Et il découvre ce qu’il a toujours blâmé et rejeté auparavant : jongler avec deux téléphones, imaginer des scenarii invraisemblables, se réjouir de retrouvailles clandestines, de baisers volés, frissonner de peaux enlacées.L’auteur dépeint ici les chaos amoureux à travers un paysage désolé de la campagne britannique. Dans cette valse de sentiments et d’impostures s’immisce un voisin étrange qui rend l’atmosphère plus lourde et plus mystérieuse encore. Il nous invite à suivre ce trio amoureux orchestré par Gladwyn.
L’écriture est sobre et glisse comme du papier glacé. Une belle histoire d’amour hachuré, de soubresauts du cœur, d’émois larvés. Un roman entre gris-clair et gris foncé, imprégné tantôt d’exaltation tantôt d’amertume. Dans cet estuaire d’amour, l’auteur nous promène et pose la question fondamentale de la duplicité, non comme une fourberie mais plutôt un débordement de sentiments que l’on partage avec deux personnes à la fois sans blesser, sans condamner.
Aimer ailleurs mais autrement, recharger la batterie d’un cœur las de tant de monotonie, se laisser bercer par une âme proscrite, s’enivrer d’une peau confidentielle. Est-ce concevable ? Ou essentiel ?
Mentir n’est pas trahir d’Angela Huth, éd. La Table ronde
Date de parution : 08/01/2015
Le retour – Robert Goddard
Chris Napier, l’héritier d’une famille nantie, se rend en Cornouailles, terre de son enfance, à l’occasion du mariage de sa nièce. Mais très vite, la fête est bâclée par une série de révélations inquiétantes qui sèment un mystère entourant la fortune familiale et un meurtre commis en 1947, celui du grand oncle de Chris.
Pendant son séjour dans cette demeure qu’il avait désertée des années auparavant, Chris décide de sortir de l’ombre les secrets gardés scellés par la famille. Mais il se rend compte rapidement qu’il est préférable parfois de laisser dormir les secrets, pour se protéger des dangers que la mise en lumière de ceux-ci pourrait engendrer.
On retrouve ici une thématique abordée mille fois et traitée de moult façons selon que l’auteur, au travers de sa plume, fait rejaillir des meurtrissures longtemps enfouies et qu’il ressente le besoin de les coucher sur papier.
Cependant, l’auteur ne se borne pas ici à livrer d’immuables conflits familiaux qu’un héritage fait ressurgir, il ajoute une part de suspense larvée qui vous tient d’abord suspendu, mais très vite l’exaltation s’essouffle et s’épuise.
Un récit qui embaume le thé, la guimauve et la rosée d’un matin anglais, sur fond d’énigmes et mystères jamais élucidés.
L’auteur invite aussi à une réflexion sur l’influence et l’impact aux générations qui suivent des blessures, des non-dits, des écorchures familiales.
Les personnages, tous porteurs d’une cicatrice larvée, sont attachants et se démènent tant bien que mal dans cette demeure en pleine nature désolée, recelant mille confidences naguère tues et enterrées…
J’ai lu avec enthousiasme cette fresque anglaise au parfum désuet mais me suis un peu ressaisie après avoir tourné la dernière page, pour n’avoir pas été pleinement ravie par cette histoire, même s’il y a certes de beaux passages, beaucoup de longueurs stériles aussi. Le fil du récit est parfois obscur et soporifique. La fin est vraiment décevante voire bâclée.
Le retour de Robert Goddard, éd. Sonatine
La disparition du nombril – Emilie de Turckheim
« Je le regarde comme je ne l’ai jamais regardé. Il est grand. 1,91 mètres. Il me plaît. Même son air débile et déraciné me plaît. Il n’a rien à faire à Paris. Il rêve de désert et de terre rouge craquelée. Demain, il s’en va. Je ne l’enlacerai pas. Ni accolade ni baisers. Pas d’au revoir. C’est un cactus. F. et moi l’avons acheté il y a neuf mois. Nous l’avons choisi parce qu’il était conforme à l’idée que nous nous faisions d’un cactus d’appartement. Il avait tout pour me plaire… »
Son fils Marius a deux ans lorsque Émilie attend un deuxième enfant. Elle couche dans un calepin ses émois, ses joies, ses bouts de vie. On s’imagine d’emblée contraint de lire le journal d’une sempiternelle histoire de grossesse puis de couches culottes, d’une banalité affligeante. Mais l’on est happé par l’histoire d’Émilie, une jeune femme comique qui n’a pas l’intention de nous ennuyer avec ses histoires de future maman inquiète.
À travers son journal intime, Émilie dévoile tout avec une sincérité étonnante. Depuis l’annonce de son test de grossesse positif jusqu’à la métamorphose de sa silhouette, la « petite prune » comme elle dit, lui déforme le ventre jusqu’à esquiver son nombril. Toujours avec le même élan de franchise, elle nous parle de ses amours, ses désamours, surtout de son amoureux, le beau F, de ses amis, ses voyages, de ses passions. Ainsi on découvre qu’elle aime le Japon, les gâteaux aux amandes et surtout le sexe… Entre ses multiples activités – elle est auteure, visiteuse de prison, maman – Émilie a une vie exaltante qui regorge de rebondissements.
Et l’histoire débute avec le même piment que les écrits d’Émilie puisque qu’elle décide de rapatrier du balcon au salon un grand cactus. Enceinte, est-ce raisonnable ? F. prend le relais car, non, c’est interdit pour elle.
On suit avec beaucoup de plaisir les péripéties insolites d’Émilie jusqu’à même se prendre d’amitié pour elle. Et les lignes retranscrites d’un quotidien banal sonnent en écho dans le cœur de chacun de nous.
Neuf mois de bonheur mais aussi une invitation à fouiller dans le tiroir des amours qui ont traversé une vie, de celui disparu qui comptera à jamais, ceux qui se sont échappés sans laisser de trace, celui, indélébile, installé à jamais, les incertitudes, les doutes, les désarrois qui grouillent dans ce monde de désolation. L’auteur ne se borne pas à nous saper le moral mais nous divertit, nous fait passer du rire aux larmes, à travers une écriture à la fois rectiligne et élégante mais pointue et révoltée aussi.
Cocasse, émouvant aussi…
La disparition du nombril d’Emilie de Turckheim, éd. Héloïse d’Ormesson
L’incolore Tsukuru et ses années de pèlerinage – Haruki Murakami
Tsukuru Tazaki est étudiant en deuxième année à l’université. Depuis le mois de juillet il est hanté par la mort… À Nagoya, il avait quatre amis. Chacun était représenté par une couleur. Ainsi, il y avait Akamatsu, qui était Rouge, Ômi, était appelé Bleu, Shirane était Blanche et Kurono était baptisée Noire. Seul Tsukuru Tazaki n’avait pas de surnom en couleur. Alors que Tsukuru est parti à Tokyo pour ses études, tous ses amis sont restés. Puis il y eut ce jour maudit où ses amis lui ont annoncé, sans la moindre explication, qu’ils ne voulaient plus jamais le voir. Ainsi Tsukuru a vécu comme oublié de tous, inexistant, mort dans le souvenir des autres.
Plus tard, alors qu’il est ingénieur et dessine des gares, il rencontre Sara et c’est comme une étincelle dans sa vie, un soubresaut d’émois dans son âme moribonde. Sara est d’emblée déconcertée par Tsukuru qu’elle ressent comme un être détaché du réel, vivant dans un univers inaccessible. Elle invite Tsukuru à lever les démons de son passé et à explorer les secrets enfouis, Il se sent incompris et pour ne pas perdre son amour, il décide de se rendre à Nagoya, puis en Finlande, pour tenter de comprendre ce qui a pu se passer pour que ses amis le rejettent et l’écartent définitivement du groupe.
Cahin-caha il poursuit son chemin et moult questions resteront sans la moindre ébauche de réponse, laissant Tsukuru dans une sorte de thébaïde jalonnée de mystère et de non-dits.
Ici encore l’on retrouve toute la richesse de la littérature japonaise, où l’émotion s’immisce entre les lignes avec grâce et délicatesse. L’auteur nous livre une histoire très belle, intense, et nous rejoint dans ce que sont nos bouts de vie faits de doute, d’incertitudes et d’ambiguïtés. Et nos réponses tant espérées qui jamais n’arrivent mais nous torturent l’âme et le cœur, nos désarrois impossibles à surmonter, aussi les séparations, les indifférences qui tombent comme un couperet, comme la mort.
Les personnages sont émouvants de sensibilité et de délicatesse et touchent le lecteur au fond du cœur. Le récit coule comme une rivière dans son lit de secrets. Tantôt le courant lèche les cailloux, inlassablement, tantôt il se heurte à des branchages freinant sa course comme les incompréhensions et les appréhensions encombrent les méandres de nos âmes meurtries.
Un roman à découvrir absolument, pour l’élégance et la sensibilité qui en imprègnent chaque ligne. Une invitation à la réflexion qui remue en chacun de nous les fragments déchirés du passé…
L’incolore Tsukuru et ses années de pèlerinage de Haruki Murakami
Pars avec lui – Agnès Ledig
« L’espace d’un instant, je repense au SMS que j’ai reçu ce matin de Carine. Elle me quitte.
«Je m’en vais, je ne t’aime plus, désolée.»
Elle me quitte par SMS. La honte ! Elle est désolée, c’est déjà ça. La honte quand même ! Mais au-dessus du vide, du vrai vide, face à cet immeuble, je dois me concentrer. Un gosse m’attend là-haut, et sa maman me supplie au sol. Alors sans plus penser à rien je regarde vers la fenêtre transformée en cheminée. Arrivé à mi-hauteur, je distingue une voix derrière le bruit de ma propre respiration qui résonne sous le masque. Il est encore vivant. Les fumées noires qui se dégagent de la fenêtre laissent deviner la violence des flammes à l’intérieur. Je ferai tout pour le sauver. Tout. »
Alors que Roméo, pompier professionnel, fait une chute très lourde en voulant sauver la vie d’un enfant, Juliette, l’infirmière du service de réanimation fait tout ce qu’elle peut pour soigner ses séquelles physiques et panser les blessures de son cœur. A deux ils unissent leurs souffrances respectives… Roméo se désole de ne pouvoir s’occuper mieux de Vanessa, sa fille, une adolescente en pleine crise et Juliette nourrit le rêve d’avoir un enfant mais rencontre des difficultés à tomber enceinte et aussi à assumer les comportements dégradants et brutaux de son compagnon. Et il y a aussi Malou, la grand-mère de Juliette, un peu désabusée. Et puis Guillaume, le collègue infirmier en perdition.
Tous les personnages se croisent et partagent le même chemin jalonné d’embûches, une vie déchirée, des secrets enfouis, de douleur et de blessures. Mais ensemble ils vont réussir à se reconstruire et à faire renaître des joies larvées, des désirs éteints, des soubresauts d’espoir, parce que derrière cette grisaille, l’amour est là en demi-teinte, en douce lumière, prêt à rayonner à nouveau, à irradier les cœurs d’un nouvel élan…
Et voici qu’à travers les attaches que tissent ces hommes et femmes au cours de leur traversée du désert, les destins retrouvent un nouvel envol, avec l’amour en toile de fond.
Le récit coule tantôt comme le fleuve qui se jette dans la mer, houleuse et déchaînée, puis comme un cours d’eau paisible qui a retrouvé la sérénité et la douceur des cliquetis légers et des flots baignés de soleil, sous un vent léger.
La plume est très belle, sans fioriture, les mots sont justes et les personnages sont tous aussi attachants les uns que les autres.
Je m’attendais à une sempiternelle histoire de cœurs meurtris par les méandres de la vie, ô combien tourmentée, traversée de douleurs, mais ici l’auteur nous entraîne dans une réflexion sur le bonheur fondé sur l’avenir, les lendemains d’amour et de joie, et surtout nous invite à faire fi des flétrissures du passé, à ne pas ressasser les échecs d’antan.
Et au lieu donc de refermer ce roman l’âme et le cœur désespérés, l’on trouve ici quelque espoir, quelque réconfort.
Une belle histoire empreinte de vérité et d’espoir…
Je conclurai simplement en disant que ce livre m’a fait du bien…
Pars avec lui d’Agnès Ledig
Une éducation catholique – Catherine Cusset
Dans ce court récit, la narratrice épluche ses aventures sentimentales et sexuelles depuis sa jeunesse. Et le tout sur fond de chapelet de ses expériences sentimentales et sexuelles depuis l’enfance. Mais à travers ses ferveurs et amours pour Xiména, David, Samuel et Guillaume, elle recherche une sorte de refuge, d’antre spirituel, religieux même.
Dans son journal, elle parle de désir, de passion et d’amour, sur fond d’amertume et de pénitence avant qu’arrive le salut.
Ainsi, une enfance entre un père dévot et une mère athée l’ont laissée perplexe, l’âme en plein chaos et le corps enflammé par des passions hétéro et homos.
Même s’il y a çà et là quelques passages plus intéressants, certes bien écrits, l’on n’arrive pas à accrocher à ce journal intime qui coule comme un feuilleton de série B. Le titre ne correspond en rien à l’histoire qui se résume à relater l’apprentissage amoureux et sexuel d’une jeune fille tiraillée entre deux parents aux antipodes.
Autant j’avais apprécié l’écriture plus réaliste, plus corrosive, plus enlevée de précédents romans de Catherine Cusset, autant ce roman-ci me laisse un grand sentiment de vide et me donne l’impression que l’auteure s’est bornée à coucher sur papier l’acrimonie et le dégoût des premiers balbutiements de l’amour et du désir charnel.
L’histoire est d’une banalité affligeante et, bien que l’écriture soit agréable, l’auteur ne sauve pas le peu d’intérêt que suscite ce journal d’une jeune femme désabusée, balancée entre passions charnelles et amoureuses et repères d’un enseignement religieux.
Un récit qui distille un érotisme suggestif sur fond de « bondieuserie » larvée…
Une éducation catholique de Catherine Cusset, éd. Gallimard